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pruntant au premier chapitre des Ouvrages d'esprit un petit nombre de pensées qui brillent par la finesse des aperçus et des jugements en matière de critique.

Les sots lisent un livre et ne l'entendent point; les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement; les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier; ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est pas, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.

Cela est fort spirituel; on reconnaît de suite la différence entre trois sortes de personnes : les sots, qui n'entendent rien; les beaux esprits, qui entendent à peine; les grands esprits (il aurait pu dire les bons esprits), pour qui ce qui est obscur est obscur, ce qui est clair est clair. Ce qui suit est plus élevé.

Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux la semence de toutes les vérités et de tous les sentiments; rien ne leur est nouveau; ils admirent peu, ils approuvent.

C'est une admirable pensée et supérieurement exposée que celle-ci : « Les hommes d'esprit ont en eux, etc. » Ils admirent peu, ils jugent, et trouvent l'œuvre conforme à ce qui est en eux, c'est pour cela qu'ils approuvent. On voit ici la plus parfaite distinction entre ces deux mots, admirer, approuver.

L'éloquence peut se trouver dans les entretiens et dans tout genre d'écrits; elle est rarement où on la cherche, et elle est quelquefois où on ne la cherche pas.

La Bruyère comprend qu'on ne saurait définir l'éloquence; elle est un je ne sais quoi qu'on ne cherche pas, mais qu'on trouve.

Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole. Parole sublime, il n'y a même entre les grands génies que les plus élevés qui en soient capables.

Il en est du sublime comme de l'éloquence; La Bruyère ne le définit pas, il sait seulement qu'il ne faut pas le confondre avec l'emploi des figures. - «S'assouvir de l'hyperbole, » expression riche et qui convient à ces écrivains insatiables d'images et de fausses couleurs.

La gloire ou le mérite de certains hommes est de bien écrire; et de quelques autres c'est de n'écrire point.

Avis spirituel et plein de sens, qui s'adresse à plus d'un qui l'avoue ou qui ne l'avoue pas.

Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu'il lit pour la première fois, où il n'a nulle part, et que l'auteur aurait soumis à la critique, et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu, seulement à cause qu'on s'entend soi-même, mais parce qu'en effet on est intelligible.

Ici toute prétention à l'esprit cesse, c'est l'expression pure et parfaite du bon sens.

On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecture, on a entièrement abandonné l'ordre gothique que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples; on a rappelé le dorique, l'ionique et le corinthien. Combien de siècles se sont écoulés avant que l'on ait pu revenir au goût des anciens, et reprendre enfin le simple et le naturel!

La Bruyère, ainsi que Bossuet et Fénelon, en d'autres lieux, traite avec beaucoup de dureté cette architecture gothique dont de si grands hommes, dans un siècle si chrétien, n'auraient pas dû méconnaître la beauté et la

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merveilleuse appropriation au culte chrétien. Le penchant exclusif de ces grands écrivains vers le goût des anciens a ici son excès. Concluons sur La Bruyère par ces judicieuses paroles d'un critique: « Aucun de nos grands écrivains n'a paru réunir au même degré la variété, la finesse et l'originalité des formes et des tours qui étonnent dans La Bruyère. Il n'y a peut-être pas une beauté de style propre à notre idiome, dont on ne retrouve des exemples et des modèles dans cet écrivain. »

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Ce prosateur, dont la haute réputation ne s'est pas entièrement maintenue, peut être encore compté parmi le petit nombre des écrivains classiques du dix-septième siècle. Il possède à un degré remarquable l'art d'attacher le lecteur, de captiver l'esprit, d'intéresser l'imagination par la rapidité et l'éclat du trait, surtout par la chaleur vive, quoique de peu d'éclat, qui anime ses tableaux. D'ailleurs, par l'objet même de cet ouvrage, et pour la variété que l'on doit y chercher, quelques citations de Vertot ne seront pas ici sans utilité. Ce n'est pas un de ces modèles qui effraie par sa supériorité; il peut, au contraire, être aisément imité par les élèves dans les exercices de narration.

1.

Portraits de Pompée et de César.

Par tant de victoires et de conquêtes, Pompée était devenu plus grand que les Romains ne le souhaitaient et qu'il n'avait osé lui-même l'espérer. Dans ce haut degré de gloire où la fortune l'avait conduit comme par la main, il crut qu'il était de sa dignité de se familiariser moins avec ses concitoyens.

Il paraissait rarement en public, et, s'il sortait de sa maison, on le voyait toujours accompagné d'une foule de ses créatures, dont le cortége nombreux représentait mieux la cour d'un

grand prince que la suite d'un citoyen de la république. Ce n'est pas qu'il abusât de son pouvoir, mais dans une ville libre on ne pouvait souffrir qu'il affectât des manières de souverain. Accoutumé dès sa jeunesse au commandement des armées, il ne pouvait se réduire à la simplicité d'une vie privée. Ses mœurs, à la vérité, étaient pures et sans tache; on le louait même avec justice de sa tempérance, personne ne le soupçonna jamais d'avarice, et il recherchait moins, dans les dignités qu'il briguait, la puissance qui en est inséparable, que les honneurs et l'éclat dont elles étaient environnées; mais, plus sensible à la vanité qu'à l'ambition, il aspirait à des honneurs qui le distinguassent de tous les capitaines de son temps.

Il est facile de remarquer comme le tour des phrases est souple et facile, le style élégant, les images heureuses, les figures bien graduées. — « Dans ce haut degré de gloire où la fortune l'avait conduit comme par la main; » justes images. «Accoutumé dès sa jeunesse au commandement des armées, il ne pouvait se réduire, etc. ; » coupe de phrase élégante et très-classique.

La nature, qui semblait avoir fait César pour commander au reste des hommes, lui avait donné un air d'empire et de commandement dans ses manières; mais cet air de grandeur était tempéré par la douceur et la facilité de ses mœurs. Son éloquence insinuante et invincible était encore plus attachée aux charmes de sa personne qu'à la force de ses raisons. Ceux qui étaient assez durs pour résister à l'impression que faisaient tant d'aimables qualités, n'échappaient point à ses bienfaits, et il commença par assujettir les cœurs, comme le fondement le plus solide de la domination à laquelle il aspirait.

Né simple citoyen d'une république, il forma, dans une condition privée, le projet d'assujettir sa patrie. La-grandeur et les périls d'une telle entreprise ne l'épouvantaient pas. Il ne trouva rien au-dessus de son ambition que l'étendue de ses vues. Les exemples récents de Marius et de Sylla lui firent comprendre qu'il n'était pas impossible de s'élever à la souveraine puissance; mais, sage jusque dans ses désirs immodérés,

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