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popée; les accents mis dans la bouche de la princesse mourante respirent une douce et vraiment sainte poésie. Voici qui est très-beau : « Je meurs, et je m'échappe insensiblement à moi-même. » Dans tout le reste il y a sans doute trop d'antithèses; mais, prise à part, chacune de ces figures est vive, et rappelle un souvenir cher et doux, ou contient une noble pensée sur laquelle l'esprit aimerait à s'arrêter.

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Les détails biographiques sur Fénelon, et son éloge, sont partout. Nous n'avons pas à nous en occuper. Inutile aussi d'analyser, dans son ensemble, le Télémaque, beau livre, dont la renommée est si justement établie. Nous nous bornerons à faire l'analyse de quelques passages dans lesquels se montreront les qualités, éminentes et diverses, soit de la pensée, soit du style de Fénelon :

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Pendant qu'ils oubliaient ainsi les dangers de la mer, une soudaine tempête troubla le ciel et la terre. Les vents déchaînés mugissaient avec fureur dans les voiles, les ondes noires battaient les flancs du navire qui gémissait sous leurs coups. Tantôt nous montions sur le dos des vagues enflées, tantôt la mer semblait se dérober sous le navire et nous précipiter dans l'abîme. Nous apercevions auprès de nous des rochers contre lesquels les flots irrités se brisaient avec un bruit horrible.

Tous les poëtes épiques les plus célèbres ont fait la description d'une tempête, Homère, Virgile, Fénelon. Ici, en peu de traits, mais bien choisis, on sent tout ce qu'il y a de terrible dans le spectacle d'un faible navire qui est le jouet des éléments conjurés. Les deux adversaires contre lesquels le vaisseau doit lutter sont les vents et les ondes ;

c'est là aussi ce que nous présente Fénelon. Mais comme toutes les expressions sont graduées et précises! les vents sont déchaînés, ils mugissent avec fureur; les ondes battent les flancs du navire; l'épithète « noires » fait image; « le navire gémit sous leurs coups, » fait comprendre la force des vagues. La phrase d'après est d'une riche facture; l'arrangement des syllabes est tel, elles sont choisies avec un tel discernement de l'harmonie mécanique, que nous suivons de l'œil et de l'oreille les diverses circonstances qui condamnent les voyageurs à ces cruelles perplexités. Remarquez la position pittoresque de l'épithète « enflées, » et l'effet harmonique de ce mot dactylique « précipiter, »> et surtout des syllabes finales « bruit horrible. »

2.

Marche triomphale de la déesse Amphitrite.

Pendant qu'Hazaël et Mentor parlaient, nous aperçûmes des dauphins couverts d'une écaille qui paraissait d'or et d'argent; en se jouant ils soulevaient les flots avec beaucoup d'écume. Après eux venaient des tritons qui sonnaient de la trompette avec leurs conques recourbées. Ils environnaient le char d'Amphitrite, traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui, fendant l'onde salée, laissaient loin derrière eux un long sillon dans la mer. Leurs yeux étaient enflammés et leurs bouches étaient fumantes. Le char de la déesse était une conque d'une merveilleuse figure; elle était d'une blancheur plus éclatante que l'ivoire, et les roues étaient d'or. Ce char semblait voler sur la face des eaux paisibles; une troupe de nymphes couronnées de fleurs nageaient en foule derrière le char; leurs beaux cheveux pendaient sur leurs épaules et flottaient au gré du vent.

C'est la richesse du coloris poétique qu'il faut admirer dans cette description, avec la justesse des expressions et l'heureux choix des circonstances. Telle est celle-ci : « Ils soulevaient les flots avec beaucoup d'écume; » un détail, un trait de pinceau que les peintres (et Fénelon est un

peintre) ne sauraient négliger; ce trait donne le mouvement, la vie aux flots. « Avec leurs conques recourbées; » épithète qui ajoute une image et qui termine heureusement un membre de phrase dont l'harmonie imitative est sensible à l'oreille. Le char d'Amphitrite, les chevaux blancs, le sillon dans la mer, trois circonstances poétiques, mises chacune à leur place de manière à ménager l'effet. La grande difficulté, pour des descriptions de cette nature, c'est d'éviter le convenu, la description colorée sans le coloris, tourmentée, sans le vrai mouvement; tel n'est pas le dessin de Fénelon, toujours vif, plein d'âme et pur quoique abondant. Après les chevaux il fallait peindre le char; il vole, et le choix des syllabes l'indique assez ; « paisible, »> à la fin de la phrase, fait image, et rien n'est plus gracieux que le tableau des nymphes, qui font le cortège de la déesse des mers. D'abord on voit toutes leurs têtes couronnées de fleurs; puis les yeux s'arrêtent sur le mouvement de leurs beaux cheveux « qui flottent au gré du vent. »

La déesse tenait d'une main un sceptre d'or pour commander aux vagues; de l'autre elle portait sur ses genoux le petit dieu Palémon, son fils, pendant à sa mamelle. Elle avait un visage serein, et une douce majesté qui faisait fuir les vents séditieux et toutes les noires tempêtes. Les tritons conduisaient les chevaux et tenaient les rênes dorées. Une grande voile de pourpre flottait dans l'air au-dessus du char; elle était à demi enflée par une multitude de petits zéphyrs qui s'efforçaient de le pousser par leur haleine. On voyait au milieu des airs Éole empressé, inquiet et ardent; son visage ridé et chagrin, sa voix menaçante, ses yeux pleins d'un feu sombre et austère, tenaient en silence les fiers aquilons et repoussaient tous les nuages. Les immenses baleines et tous les monstres marins, faisant avec leurs narines un flux et reflux de l'onde amère, sortaient à la hâte de leurs grottes profondes pour voir la déesse.

Nous avons vu le tableau dans son ensemble; voilà les

détails de cette toile, si riche et si splendide. Amphitrite nous est montrée avec les deux plus beaux caractères de la femme, fût-elle déesse. Reine, elle commande avec le sceptre d'or; mère, elle tient son fils entre ses bras « avec un visage serein; » ce tableau est vivant et complet; les tritons conduisent les chevaux, les zéphyrs enflent la voile; cette voile est de pourpre, noble couleur qui rehausse toute cette peinture. Eole, dans les airs, est antique et idéal; le style, mélodieux pour peindre le souffle du zéphyr, devient pénible et heurté, sous le souffle du roi des vents impétueux. Il faut remarquer cette belle alliance de mots « un feu sombre; » les yeux du dieu « qui tiennent en silence les fiers aquilons, » forte image. Le concours des monstres marins qui sortent de leurs grottes profondes « pour voir la déesse; » nombre et poésie. Le dernier trait attire le regard et la pensée sur la déesse, dont le triomphe est l'objet de la description.

3. Entretiens d'Hazaël et de Mentor.

Fénelon, considéré comme écrivain, est surtout un moraliste. Toute la poésie de Télémaque est un cadre splendide qui enveloppe un enseignement austère autant que varié; le passage suivant est l'expression d'une sublime métaphysique; on y voit, sur les vérités éternelles, des considérations analogues à celles de Bossuet rapportées plus haut; ce rapprochement ne peut qu'offrir beaucoup d'intérêt.

Pendant le voyage, Hazaël s'entretenait avec Mentor de cette première puissance qui a formé le ciel et la terre; de cette lumière simple, infinie, immuable qui se donne à tous sans se partager, de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le soleil éclaire tous les corps. Celui, disait-il, qui n'a jamais vu cette lumière pure, est aveugle comme un aveugle-né, il passe sa vie dans une profonde nuit, comme le peuple que le soleil n'éclaire pas pendant plusieurs

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