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<< Trois ans de langueur ne sont pas donnés à tout le monde. » Le monde dirait : Trois ans de prospérité ne sont pas donnés à tous; l'Église a un autre langage; son pontife ne fait que commenter le texte saint: Heureux ceux qui souffrent !

4. Fragments de quelques autres exordes.

Les tristes dépouilles d'une illustre morte, les larmes de ceux qui la pleurent, des autels revêtus de deuil, un prêtre qui offre attentivement le sacrifice que l'Eglise appelle terrible, un prédicateur qui, sur le sujet d'un seul nom, va décrire la vanité de tous les mortels, tout cet appareil de funérailles vous a sans doute déjà touchés. A la vue de tant d'objets funèbres, la nature se trouve saisie; un air triste et lugubre se répand sur tous les visages; soit horreur, soit compassion, soit faiblesse, tous les cœurs se sentent émus, et chacun, regrettant la mort d'autrui et tremblant pour la sienne propre, reconnaît que le monde n'a rien de solide, rien de durable, et que ce n'est qu'une figure qui passe. Oui, Messieurs, les profondes amitiés finissent; les honneurs sont des titres spécieux que le temps efface, les plaisirs sont des amusements qui ne laissent qu'un long et funeste repentir; les richesses nous sont enlevées par la violence des hommes ou nous échappent par leur propre fragilité; les grandeurs tombent d'elles-mêmes, la gloire et la réputation se perdent enfin dans les abîmes d'un éternel oubli. Ainsi, le torrent du monde s'écoule, quelque soin qu'on prenne à le retenir. Tout est emporté par cette suite de moments qui passent; et par cette révolution continuelle nous arrivons, sans y avoir pensé, à ce point fatal où le temps finit et où l'éternité com

mence.

Heureuse donc l'âme chrétienne qui suivant le précepte de Jésus-Christ, n'aime ni ce monde, ni tout ce qui le compose; qui s'en sert comme de moyens par un usage fidèle, sans s'y attacher comme à sa fin par une passion déréglée; qui sait se réjouir sans dissipation, s'attrister sans abattement, désirer sans inquiétude, acquérir sans injustice, posséder sans orgueil et perdre sans douleur. Heureuse encore une fois l'âme qui, s'éle

vant au-dessus d'elle-même, et malgré le corps qui l'appesantit, remontant à son origine, passe au travers des choses créées sans s'y arrêter, et va se perdre heureusement dans le sein de son Créateur.

Ce passage de l'exorde de l'oraison funèbre de la duchesse d'Aiguillon est beau, mais non pas irréprochable. D'abord une amplification qui n'est pas sans faiblesse. « La nature se trouve saisie les cœurs se sentent émus,>> est une répétition.—«A la vue de tant d'objets funèbres, un air triste et lugubre; » style commun et chargé. — Ce qui suit est très-beau; l'amplification continue, mais elle s'agrandit; la période tombe avec grandeur sur cette chute sévère « se perdent enfin, etc. » puis « le torrent du monde s'écoule ; » grande image. La phrase qui suit est savante pour l'expression comme pour le nombre, son trait final approche du sublime. Il y a un accord allégorique parfait entre ce torrent qui s'écoule, ces moments qui passent et emportent tout, et ce point fatal où nous arrivons. - La reprise, « Heureuse donc l'âme chrétienne, » est un mouvement d'une éloquence vraie. Voyez l'extrême justesse des substantifs servant de restriction à tous ces actes qui constituent la vie chrétienne, et surtout ceci : « posséder sans orgueil et perdre sans douleur. » Mais l'idée grandit encore dans la phrase suivante. On voit le voyage de l'âme « à travers les choses créées,» jusqu'au terme du temps où il lui est enfin permis de « s'arrêter. » Une partie de l'exorde du discours sur la reine de France.

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L'Esprit de Dieu nous apprend dans ses Écritures, qu'il faut déplorer le sort des pécheurs. Leur vie passe comme l'ombre ; il vient un jour fatal oùipérissent toutes leurs pensées; leur mémoire fait un peu de bruit et va se perdre dans un silence éternel, Les biens qu'ils ont acquis échappent de leurs mains avares, leur gloire sèche comme l'herbe, leurs couronnes se flétrissent et tombent presque d'elles-mêmes. Il est vrai, ce qui sert à la vanité, n'est que vanité, et tout ce qui n'a que le monde pour fon

dement, se dissipe et s'évanouit avec le monde. Mais le même Esprit nous enseigne que la grandeur est solide, quand elle sert à la piété. Il y a des couronnes qu'on jette aux pieds de l'A gneau, des richesses qu'on répand dans le sein des pauvres, un royaume qui appartient à Jésus-Christ et qui n'est pas de ce monde; une gloire qu'on tire de la croix même du Sauveur, et une élévation des justes qui demeure éternellement, parce qu'elle est fondée sur la pierre, et que cette pierre, selon l'Apôtre, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Je ne viens donc pas ici vous désabuser des grandeurs humaines, mais vous montrer le bon usage qu'on en peut faire. Ce n'est pas mon dessein de vous émouvoir par mes discours, mais de vous instruire par des exemples; et je vous exhorte aujourd'hui non pas à pleurer une reine, mais à imiter une sainte. Malheur à nous, si nous louons ce que Dieu n'a pas approuvé, si nous consacrons sans discernement ces victimes purifiées à la hâte, sur le point de recevoir le coup mortel, et si nous excusons des années de vanité, en faveur de quelques jours de pénitence.

Ce tableau de la vanité des grandeurs pécheresses est plus élégant qu'énergique; pas un de ces traits que Bossuet n'ait rendu avec la supériorité qui lui appartient; par exemple, au sujet de cette phrase: « leur mémoire fait un peu de bruit et va se perdre... » on se rappelle ce trait: «< tant qu'enfin, après avoir fait un peu plus de bruit les uns que les autres. » Le morceau qui suit, sur le détachement des grandeurs dans les âmes pieuses, est d'une vraie beauté. « Il y a des couronnes qu'on jette aux pieds de l'Agneau, » et la suite, où chaque proposition croît en dignité, à mesure qu'elle peint la grandeur et l'abnégation. - «Non pas à pleurer une reine mais à imiter une sainte; » c'est à ce titre seul que le prêtre est appelé à faire entendre l'éloge des grands dans la chaire de vérité. Pour lui, ce n'est pas une sainteté éphémère, une conversion de quelques jours qu'il vient célébrer; sur ce point, il y a ici une admirable figure, un souvenir des victimes an

tiques, auxquelles il ne devait pas suffire d'être « purifiées à la hâte, et sur le point de recevoir le coup mortel. »

Deux mois auparavant, le 1er septembre 1683, Bossuet avait prononcé l'éloge funèbre de la reine de France devant le dauphin. L'ouvrage de Fléchier est bien inférieur à celui du plus grand des orateurs chrétiens. Fléchier a aussi prononcé un éloge funèbre du chancelier Letellier, quatre mois après Bossuet. Par une singulière coincidence, l'évêque de Meaux était célébrant, et il entendit le discours de l'évêque de Nîmes. Enfin, l'exordede l'Oraison funèbre de la dauphine, sur ce texte: Dies mei sicut umbra declinaverunt. L'orateur commence ainsi :

C'est ainsi que parlait autrefois un roi selon le cœur de Dieu, quand ses jours défaillants et ses infirmités mortelles l'approchaient du tombeau, et lui laissaient encore un reste de vie pour sentir sa langueur et sa chute, et pour adorer la grandeur et la durée éternelle du Dieu vivant. Il regarde la vie, tantôt comme la fumée qui s'élève, qui s'affaiblit en s'élevant, qui s'exhale et s'évanouit dans les airs; tantôt, comme l'ombre qui s'étend, se rétrécit, se dissipe, sombre, vide et disparaissante figure; tantôt comme l'herbe qui sèche dans la prairie, qui perd à midi sa fraîcheur du matin, et qui languit et meurt sous les mêmes rayons du soleil qui l'avaient fait naître. De combien de tristes idées son esprit est-il occupé, et combien trouve-t-il partout d'images sensibles de nos fragiles plaisirs et de nos grandeurs passagères ! Mais lors qu'il se regarde du côté du Seigneur, comme une de ces créatures qui sont faites pour le louer, comme un de ces rois qui doivent servir à sa gloire, il demeure en suspens entre la confusion et la confiance. Il excite son humilité à la vue du néant; il anime ses espérances à la vue de la bonté et de l'éternité de Dieu. Il voit une vanité qui passe, et il dit: Vous les changerez, et ils seront changés. Il voit une vérité qui demeure, et il s'écrie : Pour vous, mon Dieu, vous êtes toujours le même, et vos années ne finissent point. Il tremble à la face de l'indignation et de la colère de ce Dieu qui coupe le fil de ses jours, et qui le brise après l'avoir élevé, mais il se rassure par la pensée de ses miséricordes, qui se

réveillent ordinairement dans le temps de nos plus grandes misères.

Ne connaissez-vous pas, Messieurs, dans les sentiments de ce prince, ceux de la princesse que nous pleurons? Ne vous semble-t-il pas qu'elle vous dit d'une voix mourante : La lumière de mes yeux s'éteint, un nuage sans fin s'élève entre le monde et moi, je meurs et je m'échappe insensiblement à moimême! Tristes moments! Terme fatal de ma languissante jeunesse! Mais si je sens qu'il n'y a qu'un petit nombre de jours pour moi, je sais aussi qu'il y a des années éternelles. La main qui me frappe me soutiendra, et, comme par la loi du corps je tiens à ce monde qui passe, par l'espérance et par la foi je tiens à Dieu qui ne passe point.

Tous ces exordes de Fléchier se ressemblent pour le fond, comme pour la forme; toujours le tableau de la fragilité des grandeurs, mais un tableau où l'élégance se fait plus admirer que la force; les qualités qui séduisent plus que celles qui entraînent.Toutes ces imitations du Psalmiste ont un peu perdu de leur haut caractère, dans la prose facile et fleurie de l'orateur qui les emploie. «Sombre, vide et disparaissante figure; » incise de style précieux, outre que disparaissante n'est pas français. —L'herbe qui sèche « et meurt sous les mêmes rayons de soleil qui l'avaient fait naître; » Bossuet dit plus simplement : « qui passe du matin au soir; » son rival substitue trop la grâce française aux austères beautés du langage sacré. — « Lorsqu'il regarde du côté du Seigneur ; » belle expression; de même de ceci : « un de ces rois qui doivent servir à sa gloire. » Du reste, les nobles expressions abondent ici : « Animer ses espérances à la vue de la bonté et de l'éternité de Dieu; » -«la face de l'indignation de Dieu; » - « Dieu qui le brise après l'avoir élevé. » << La miséricorde qui se réveille. » Il faut louer aussi ce tour contrastant : « Il voit une vanité qui passe ; il voit une vérité qui demeure. » Toutes ces paroles du Psalmiste sont heureusement appliquées à la mort de la Dauphine. Là, encore, il y a une très-belle proso

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