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dans Tite-Live. C'est du reste un utile exercice pour former aux procédés de l'éloquence; il fixe l'esprit sur les événements de l'histoire, apprend à les approfondir, à chercher leurs causes; il éveille l'imagination et lui imprime un mouvement généreux. Plusieurs des meilleures qualités de l'esprit sont mises en jeu pour composer un bon discours. Il faut considérer la chaîne des idées, celle des preuves, leur déduction; puis l'élégance du style, l'harmonie, et le mouvement. En général, un discours de classe se divise en trois parties: l'exorde ou du moins le préambule, la position de la question; le corps du discours où se trouvent la réfutation et la confirmation; en troisième lieu, la péroraison, qui doit se fondre avec le corps du discours et en naître. C'est surtout dans ces simulacres de l'éloquence antique, vrais jeux de classes, que les préceptes de la rhétorique sont essentiels; c'est elle qui donne toutes les règles relatives aux diverses parties d'un discours; si la logique enseigne à éviter les discours vides, l'éloquence creuse et sans substance, la rhétorique enseigne l'art de dire, les figures, les mouvements, et cet art du pathétique qu'il faut employer avec tant de mesure, parce que, selon la parole d'un ancien, rien ne se sèche plus vite que les larmes. Enfin, la composition d'un discours, soit en latin, soit en français, est une sorte de gymnastique, qui ne peut qu'être utile à fortifier l'esprit, en l'accoutumant aux luttes de la discussion.

Rollin, au deuxième volume du Traité des Études (1), suppose que l'on a donné aux élèves, pour sujet de composition, le discours de Pacuvius à son fils Pérolla. En voici le sujet. La ville de Capoue, par les intrigues de Pacuvius, s'est rendue à Annibal; une journée se passe en festins et en joie. Le fils de ce même Pacuvius, Pérolla, qui tenait pour les Romains, déclare à son père qu'il a le dessein de tuer Annibal durant le banquet. Pacuvius le

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détourne de cette action par un discours. Quels arguments emploiera-t-il? Il y en a trois principaux : 1o le danger que court le jeune homme, en attaquant Annibal au milieu de ses gardes; 2° il lui faudra percer son père pour atteindre Annibal; 3° le chef carthaginois est l'hôte de Pacuvius ; ce meurtre est une perfidie, un crime odieux. Voilà pour l'invention. La disposition s'inquiète de l'arrangement de ces motifs. Il lui paraît que le plus fort est la crainte de frapper son père, en attaquant Annibal ; ce sera le dernier; le second en force est la pensée de la crainte des dieux; c'est par là qu'il commencera ; le plus faible est le danger que court le meurtrier; ce motif, sur un jeune homme intrépide, étant le moins grave, sera placé entre les deux autres. Quant au détail de l'élocution, les artifices du style, surtout au début, les expressions et les tours, la transition, la variété et la vivacité des figures, pour tout cet arsenal de l'éloquence il faut lire le discours de Tite-Live, qui est d'une parfaite beauté, et le commentaire qui en a été donné par le célèbre recteur.

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C'est un exercice assez négligé dans les classes, mais très-important, parce qu'il porte sur quelque chose de positif, d'utile, sur une idée philosophique, morale, littéraire, qu'il faut développer. Il est à croire que par la suite les jeunes gens qui sortent de leurs études, à moins de vocation spéciale, n'auront guère l'occasion d'écrire des narrations, des descriptions ou des discours; mais, dans la société où nous vivons, dans ce temps si compliqué, il n'est personne qui puisse s'assurer qu'il ne sera pas amené à mettre la main à la plume pour discuter quelque question de politique, de morale, de jurisprudence. L'exercice du lieu commun est très-utile pour se former à l'art d'écrire sur des matières de discussion. Or, pour cet or

dre d'exercices, quelle est la principale règle à recom mander? C'est une règle qui est nécessaire à tous les genres, mais particulièrement à celui-ci ; Boileau la formule ainsi :

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.

C'est là, dans la pensée, dans la méditation d'un sujet, qu'il faut chercher son point d'appui. L'invention est importante surtout dans cet ordre de travail, mais il s'agit ici de la véritable invention, qui cherche plutôt les motifs de raison que ceux d'imagination, qui établit les principes, en tire les conséquences, et ne s'arrête que lorsqu'elle a trouvé toutes les idées accessoires, soit celles qui se groupent autour de l'idée principale pour la fortifier, soit celles qui découlent nécessairement des principes établis.

On prendra garde aussi de négliger la disposition : si les idées ne s'enchaînent pas, qu'avez-vous dit? qu'avezvous prouvé? Il faut répartir ses matériaux en un certain nombre de paragraphes ou d'alinéa; les élèves ne se doutent guère de l'art de l'alinéa, qui pourtant est essentiel, un seul leur suffit; cela prouve qu'ils n'ont rien inventé, et qu'ils n'ont rien à disposer. Pour un devoir de classe, il convient de placer cinq à sept alinéa au moins, et que chacun contienne une idée principale, avec les développements gradués; cela est fort technique, un simple conseil, mais utile aux étudiants.

Quant à l'élocution, elle est simple ou tempérée ; elle emploie les figures ainsi que les mouvements avec sobriété. Toutefois le lieu commun, ou, pour parler plus généralement, le sujet de discussion, ne repousse pas le style vif, animé, coloré à propos et dans une juste mesure. On ne doit pas oublier non plus que ce genre est loin d'exclure les mouvements. Il ne faut jamais être froid; le calme n'est pas la sécheresse, et souvent même en discutant il faut savoir le secret d'émouvoir le cœur. Si l'on vousdonne

à traiter l'amour de la patrie, de la terre natale, de la famille, ou si vous avez quelque sujet qui vous porte dans le domaine des idées religieuses, votre style croîtra avec vos idées, et pourra atteindre jusqu'au sublime.

Admettons que l'on ait donné aux élèves ce programme : Extrême grandeur et extrême petitesse de la nature, et qu'on leur ait dicté le canevas suivant : Contemplez tous les objets qui tombent sous vos sens, surtout les plus éloignés de votre regard, la vaste étendue des cieux; ne vous bornez pas à vos yeux, concevez par l'esprit tout ce qui est possible; eh bien ! tout ce que vous atteindrez n'est qu'un rien dans l'immensité de la nature. Contraste de la faiblesse de l'homme, de sa petitesse avec la grandeur du monde. Maintenant considérez ce qui est le plus petit et le plus délicat ; allez au delà de l'extrême petitesse, audelà des plus minimes objets que vous puissiez apercevoir. Quel abîme n'est-ce pas que vous, si petit dans l'infini de grandeur, si grand dans l'infini de petitesse! Voilà donc ce que vous avez à développer.

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Comme il vous faudra méditer votre sujet, d'ailleurs si grand, pour voir naître les idées accessoires qu'il contient, subordonnées aux idées générales! Là vous n'avez guère à chercher ni arguments, ni ornements, ni mouvements passionnés ou pathétiques, mais des idées, de grandes idées, sublimes, si vous pouvez, de ce sublime de trait, où l'expression est si simple qu'elle semble s'effacer pour ne laisser voir que la pensée pure. Puis, une disposition naturelle mais serrée : les idées en leur lieu, de telle manière que rien ne puisse être dérangé ni retranché, et que dans votre œuvre on s'imagine sentir le double infini de petitesse et de grandeur. L'élocution sera fondue avec la pensée, elle fera corps avec lui, et il n'y aura pas deux ordres de beauté. Par le seul fait de la grandeur de la pensée et de l'émotion sereine qu'elle produit, l'harmonie sera forte, pénétrante; le tour périodique, et même la richesse du

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style ne vous feront pas défaut. Essayez ce sujet, et vous demanderez à Pascal un incomparable corrigé.

Je viens de caractériser sommairement les principaux genres de composition littéraire qui peuvent être donnés comme sujet de devoirs dans les classes. On peut aussi composer des dialogues, des portraits, des parallèles, des lettres surtout, genre à part si important, si pratique, et qui est si mal ou si peu enseigné. Pour ces genres accessoires, il faut recueillir certains préceptes, s'y conformer avec soin, et ne pas oublier que tout, en matière littéraire, est obtenu, si l'on sait remplir ces trois conditions générales trouver, arranger, écrire.

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Nous arrivons enfin au genre qui est l'objet de ce volume; il est inutile de nous y arrêter dans cette introduction, puisque le livre entier est un essai de modèle en ce genre. Une observation seulement. L'analyse littéraire est un exercice essentiel, fondamental et de tous les instants dans les études; il ne saurait se faire d'explication d'un texte sans analyse. Or l'analyse porte ordinairement sur trois points de vue: 1° grammaticale, elle enseigne les tours particuliers d'une langue, les règles de syntaxe et les idiotismes, les mots, leur étymologie, leur signification propre; 2° historique et géographique; 3° littéraire (c'est notre objet), elle traite tout ce qui tient au mérite de la composition et du style. Pour ce genre de devoirs, l'élève se propose un seul but, celui de développer les beautés d'un texte comme le lui inspirent son goût naturel et ses connaissances acquises des règles littéraires. Son procédé sera à peu près tel que nous venons de l'indiquer d'abord quelques réflexions sur le morceau à analyser, sur ses idées principales et son plan; puis tout le détail des observations de goût sur l'élocution. Il faut

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