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rois; cet enseignement est l'objet de l'éloge funèbre de la reine d'Angleterre ; ils s'instruisent aussi par la mort des royaumes; des deux parts, « belle leçon de la vanité des grandeurs humaines. » C'est une expression énergique que celle-ci : « Voir mourir les royaumes » aussi bien que les rois; les princes ne s'instruisent pas seulement par la mort des rois, ils s'instruisent aussi par celle des royaumes. Dans ce grand drame ouvert par Bossuet, où passent tour à tour, non-seulement les rois et les empereurs, mais les empires et les royaumes, ceux-ci sont des personnes réelles et vivantes, qui meurent également; seulement les rois passent vite et avec un peu plus ou un peu moins de bruit; mais les empires s'écroulent, ils « tombent avec fracas; la poussière qu'ils font en tombant nous instruit; elle montre ce qu'il y a de vain dans ces choses humaines, qui n'ont en partage que « l'inconstance et l'agitation. » L'idée dans Bossuet, inséparable de son expression, monte toujours et s'achève dans une image qui étonne par sa grandeur! Ici c'est le fracas des empires « tombant les uns sur les autres. >>

Mais ce qui rendra ce spectacle plus utile et plus agréable,, ce sera la réflexion que vous ferez, non-seulement sur l'élévation et sur la chute des empires, mais encore sur les causes de leurs progrès et sur celles de leur décadence. Car ce même Dieu qui a fait l'enchaînement de l'univers, et qui, tout-puissant par lui-même, a voulu, pour établir l'ordre, que les parties d'un si grand tout dépendissent les unes des autres; ce même Dieu a voulu aussi que le cours des choses humaines eût sa suite et ses proportions; je veux dire que les hommes et les nations ont eu des qualités proportionnées à l'élévation à laquelle ils étaient destinés, et, qu'à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu voulait que sa main parût toute seule, il n'est point arrivé de grand changement qui n'ait eu ses causes dans les siècles précédents.

Voilà le point de vue principal de l'historien, il consiste

à étudier les causes de l'élévation et de la chute des empires.

De même que Dieu a fait de l'univers matériel un grand tout; ainsi a-t-il enchaîné l'univers même, et « donné au cours des choses humaines, la suite et les proportions. >> Ce dernier terme a un sens profond sur lequel reposera tout le système des interprétations de l'historien; proportion entre les moyens et les buts, entre « les qualités données et l'élévation à laquelle les peuples sont destinés. >> Il y a une pondération, une attraction réciproque dans l'ordre des sphères morales, comme dans celui des astres du firmament. Tout s'enchaîne, tout se lie, les changements ont leurs causes dans ceux qui ont précédé, excepté, comme Bossuet dit, dans ce langage qui n'est qu'à lui : << certains coups extraordinaires où Dieu voulait que sa main parût toute seule. »>

Et comme dans toutes les affaires il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre et ce qui les fait réussir, la vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque temps les secrètes dispositions qui ont préparé les grands changements et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver. En effet, il ne suffit pas de regarder seulement devant ses yeux, c'est-à-dire de considérer ces grands événements qui décident tout à coup de la fortune des empires. Qui veut entendre à fond les choses humaines, doit les reprendre de plus haut; et il lui faut observer les inclinations et les mœurs, ou pour tout dire en un mot, le caractère, tant des peuples dominateurs en général, que des princes en particulier, et enfin de tous les hommes extraordinaires. qui, par l'importance du personnage qu'ils ont eu à faire dans le monde, ont contribué en bien ou en mal, au changement des États et à la fortune publique.

Dans toutes les choses humaines, il faut considérer ce qui les prépare et ce qui les fait réussir. Bossuet détermine à cet égard, avec une extrême précision, le double objet de la science de l'histoire : « les dispositions secrètes et les

conjonctures importantes. » Il développe les dispositions secrètes; ce sont, dit-il, « les inclinations, les mœurs, le caractère des peuples et des princes. » Les conjonctures importantes, ce sont les hommes extraordinaires qui doivent déterminer l'accomplissement des projets de Dieu. Ainsi, voyez comme la ligne du dessin de Bossuet est correcte et suivie, en ce sens qu'il marche toujours développant et expliquant, sans dévier, la pensée qu'il n'a fait d'abord qu'indiquer.

Telle est la méthode de Bossuet dans l'étude et l'explication des faits de l'histoire. « Il est, comme dit Laharpe, l'historien de la Providence ; il s'attache à saisir l'enchaînement des causes secondaires, en les rapportant toujours à la cause première. Chez Bossuet, ajoute ce célèbre critique, tout est conséquent, et les résultats moraux tirent leur évidence des faits. Sa pensée marche avec le temps et les événements, depuis la naissance du monde jusqu'à nous; elle jette des traits de lumière qui éclairent tout, et font tout voir, les siècles, les hommes et les choses. >>

9.

Dieu gouverne les choses humaines.

Quelle que soit la pénétration avec laquelle Bossuet explique les causes politiques des événements, on devine qu'il se sent à l'étroit dans cet ordre de considérations, il a hâte de revenir au caractère qui est le sien propre, celui de l'historien de la Providence, comme on vient de le dire, et c'est surtout à la fin du discours, et en terminant ses vues et ses aperçus historiques, qu'il nous montre, avec une grandeur suprême, Dieu, modérateur des volontés humaines, et sachant les conduire à ses fins, malgré leurs résistances et les troubles que suscite dans le domaine moral le trop libre exercice des passions.

Souvenez-vous que ce long enchaînement des causes particulières qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets

de la Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes; il a tous les cœurs en sa main; tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride, et par là il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conquérants, il fait marcher l'épouvante devant eux, et il inspire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible. Veut-il faire des législateurs, il leur envoie son esprit de sagesse et de prévoyance; il leur fait prévenir les maux qui menacent les États, et poser les fondements de la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine, toujours courte par quelque endroit; il l'éclaire, il étend ses vues, et puis il l'abandonne à ses ignorances; il l'aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même; elle s'enveloppe, elle s'embarrasse dans ses propres subtilités, et les précautions lui sont un piége. Dieu exerce par ce moyen les redoutables jugements selon les règles de sa justice toujours infaillible. C'est lui qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contre-coup porte si loin. Quand il veut lâcher le dernier, et renverser les empires, tout est faible et irrégulier dans les conseils.

<< Dieu tient les rênes de tous les royaumes. » Les cœurs sont dans sa main, car les cœurs renferment ces passions que Dieu dirige comme des coursiers impétueux. Dieu <«<retient ou lâche la bride aux passions humaines; » tout est là, c'est le secret de toutes les révolutions; s'il lâche la bride, « il remue tout le genre humain. » Il faut renoncer à caractériser un tel style, si puissant dans sa nudité. Écrivons ce mot: Sublime, et passons.

D

- L'homme ne doit pas se glorifier de sa sagesse; « elle est toujours courte par quelque endroit ; » métaphore empruntée à la vue, que l'on appelle courte lorsque sa pénétration est bornée. Toutes les expressions qui suivent contiennent cette métaphore de la sagesse, comparée à la vue trop courte : « Il l'éclaire », puis « il l'aveugle ; » une fois aveuglée, « il la précipite. » Ce dernier mot, sans complément indiqué, est toujours d'un grand effet, il suppose un abîme. «A ses ignorances», pluriel rare et d'un grand

style. Puis quand Dieu l'a précipitée, cette âme, elle suffit à sa propre ruine, «elle se confond, s'enveloppe, s'embarrasse dans ses subtilités. » Comme tout cela est gradué. Une fois renversée, la sagesse ne peut plus que s'envelopper dans les plis de ses vêtements; ce vêtement qui l'enveloppe est un embarras, parce qu'il est subtil, d'un tissu léger; tels sont les arguments de la sophistique, et ses efforts, pour ne pas tomber ou pour se relever, «lui sont un piége. » C'est Dieu qui fait tout cela pour tout conduire à ses fins; il prépare les effets dans les causes; il frappe les grands coups, «dont le contre-coup porte si loin. >> Dieu suscite les premières révolutions qui retentissent longtemps et en produisent d'autres; il frappe bien des coups, mais il y en a un dernier qu'il médíte et qui doit «< renverser les empires.» Qui l'emporte ici, de la parole ou de la pensée ?

L'Égypte, autrefois si sage, marche enivrée, étourdie et chancelante, parce que le Seigneur a répandu l'esprit de vertige dans ses conseils; elle ne sait plus ce qu'elle fait, elle est perdue. Mais que les hommes ne s'y trompent pas; Dieu redresse quand il lui plaît le sens égaré, et celui qui insultait l'aveuglement des autres, tombe lui-même dans des ténèbres plus épaisses, sans qu'il faille souvent autre chose pour lui renverser le sens que ses longues prospérités. C'est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune, parlons-en seulement comme d'un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains, est un dessein concerté dans le conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin, et c'est faute d'entendre le tout que nous trouvons du hasard et de l'irrégularité dans les rencontres particulières.

L'auteur prend l'Égypte pour un exemple de l'égarement des peuples que Dieu abandonne. Cet antique royaume

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