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PRESERVATION REPLACEMENT REVIEW 3/1987

SD no funds

IMIA OL

APao R34 1911:5

LES FRONTIÈRES DU CŒUR"

PREMIÈRE PARTIE

I

Doucement, doucement, petite!

Marthe Ellangé leva ses beaux yeux bruns vers le vieux visage qui grommelait, et sourit :

Pardon, grand-père ! Je ne pensais plus...

A mes soixante-dix-huit ans, hein?

Oh! tu ne les parais pas!...

Le commandant redressa son buste voûté. Ses larges épaules se carrèrent dans la redingote vert sombre, sanglée à la taille ainsi qu'une tunique militaire. La Légion d'honneur épanouit largement à la boutonnière sa rosette pourpre. Un éclair de malice brilla sous les paupières lourdes.

Ta! ta! ta!...

Elle rougit:

C'est qu'aussi nous sommes en retard. Il doit être là depuis un quart d'heure déjà...

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C'est beau, l'amour!... Mais veux-tu que je te dise?... Ne nous pressons pas trop. L'attente a du bon. Elle attise le désir...

Oh! grand-père, voilà un an que nous nous attendons!...

(1) Copyright by Victor Margueritte, 1911.

233395

VIMU

Vous ne vous en aimerez que mieux. Vois-tu, petite, les poètes ont quelquefois raison :

L'absence est à l'amour comme est au feu le vent

Qui éteint le petit et avive le grand!

Mais où diable sont passés les autres?

Perdus! Encore une fois!... Je suis sûre qu'ils le font

exprès...

Il haussa les épaules, montra le fleuve humain qui les charriait, l'incessant remous de la foule, montante et descendante. Toutes les nations y mêlaient leurs caractères, leurs costumes, leurs idiomes. Une rumeur d'océan grondait, un roulement de marée sous l'énorme voûte de l'allée centrale, le cintre vitré d'où tombait l'étouffante chaleur de juin. Comme une gaze dorée, un voile de poussière flottait, palpable, sur la profondeur des galeries. Elles ouvraient de toutes parts, riches de merveilles, leurs étendues circulaires. Les têtes au loin moutonnaient, innombrables. Une odeur âcre et puissante prenait à la gorge, une griserie alourdissait l'émanation de cette gigantesque fournaise où se pressaient cent mille êtres. L'Exposition de 1867, ce dimanche-là, battait son plein.

Ouf! fit-elle.

Ils venaient de sortir de la rue de Belgique, entraient dans l'avenue d'Europe. Derrière eux s'apaisait, assourdi, le bruit du monstrueux palais aux toits de verre. On eût dit, posé à plat, avec ses dômes annelés, un immense coquillage ovale, dont diminuait, murmure formidable et confus, le bourdonnement marin. La splendeur du jour tombant les enveloppa. La fraîcheur des verdures, semées de constructions claires, leur semblait douce. Le commandant mit sa main en cornet sur ses yeux rougis, tourna de côté et d'autre sa tête branlante. Ses grosses moustaches hérissaient sur la peau grenue, pareille à une antique pierre rongée de lichen, leur broussaille blanche. Cuit par tous les soleils et ratatiné par l'âge, l'ancien soldat de Napoléon, le colon brésilien, le vieux rentier amiénois n'était plus qu'une ruine. Mais il avait encore fière mine, avec sa haute et corpulente stature, sa joue balafrée, son air rude et bon...

Décidément, je ne les vois plus.

Une moue plissa les lèvres de Marthe. Grande, mince, avec son buste plein et ses hanches rondes, elle faisait, au bras du

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