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et de rénovation de l'art moderne. Rien d'étonnant en cela, tout art vrai étant né du peuple et destiné au peuple.

Des essais et des efforts admirables furent faits, on le sait, en Russie, en Bohême, en Roumanie, pour la renaissance des arts rustiques, et plusieurs expositions récentes furent fort instructives à ce sujet. Il était temps que la France s'y mette et comprenne, elle aussi, dans la force actuelle du mouvement qui la pousse vers une renaissance de l'art décoratif, où elle est malgré tout en tête, que ce dernier a en somme sa source et ses racines dans le peuple.

L'auteur de cette brochure consacre son activité au côté artistique trop négligé jusqu'ici et trop fragmentaire (le folk-lore traditionnel, contes, légendes, récits, proverbes, chansons, a été beaucoup plus étudié). Je ne pense pas que dans un siècle de démocratie comme le nôtre de telles études puissent désormais être négligées, non seulement par les artistes qui savent très bien ce qu'ils doivent au vieux fonds populaire, toujours ancien et toujours neuf pourtant, mais par ceux qui s'efforcent d'éduquer le peuple en développant en lui l'estime des belles choses, le goût de produire et de créer, l'attachement au sol et aux traditions qui font la force d'une race. La Provence plus que toute autre région méritait d'attirer l'attention du chercheur, car, plus que les autres régions de la Gaule, elle a conservé les vestiges du passé.

6. Le titre de l'ouvrage de M. Duhem, Impressions d'art contemporain, indique d'une façon satisfaisante son contenu. La variété des sujets ne manque pas. Les vingt-cinq chapitres qui le composent y traitent tour à tour d'art social, de décentralisation artistique, de Turner, de Besnard, de Rodin, du métier de peindre, etc. Quelques-uns sont très courts et empruntent à l'actualité une part de leur intérêt, part trop grande peutêtre parfois et qui aurait besoin d'un cadre pour se mieux tenir. Pourtant une saveur d'art est répandue dans tout le livre et lui donne de l'unité.

« Nombre de ces études, nous dit l'auteur, que leur côté commun ont fait choisir pour être réunies, et qui dans leurs sujets relatifs aux mêmes choses prennent la liberté d'user des mêmes termes, sont le libre exposé d'impressions naturellement nées de la contemplation d'œuvres contemporaines inspiratrices d'amour et de reconnaissance. »

M. Duhem ne s'attarde pas dans de vaines théories esthétiques. Il est de ceux qui sont vraiment épris de beauté et sentent d'instinct l'espèce de profanation qu'il y a à vouloir l'endiguer ou la réglementer, et c'est pourquoi la plupart de ses jugements, écrits sous l'impression directe des œuvres et contrôlés même, nous affirme l'auteur, « par une expérience déjà

durable », sont empreints du charme ou du caractère de ces mêmes

œuvres.

Le témoignage de Stéphane Mallarmé, qui appréciait ces jugements « à cause d'une si vivante esthétique toujours marquée elle-même au reflet de la beauté dont elle traite », est ici tout à fait à sa place. L'idée, d'ailleurs, qui domine tout le volume est surtout de montrer que le sentiment qui crée les œuvres est parmi nous aujourd'hui plus vivace que jamais, et pour certaines catégories de personnes ou de lecteurs il n'était pas inutile de mettre cette idée en lumière. Trop de gens s'imaginent, en effet, et parfois ils sont excusables devant l'avalanche de productions modernes maladives ou nulles, que l'art contemporain n'existe pas ou est du moins fort inférieur à l'ancien. Ceux-là ne prennent garde qu'à la quantité énorme d'œuvres, parmi lesquelles, faute d'éducation artistique, ils ne savent distinguer ce qu'il y a de vital.

C'est donc œuvre louable que de faire connaître d'une façon ou de l'autre à nos contemporains en quelles mains se trouve aujourd'hui le flambeau qui ne s'éteint pas, et mettre à leur vraie place dans l'histoire les artistes qui ne le cèdent pas aux plus grands du passé. Pourquoi être pessimiste? Le pessimisme n'est le plus souvent qu'un masque pour cacher l'ignorance.

7. Voici maintenant un ouvrage qui devra figurer dans la bibliothèque de tout artiste et de tout historien, à côté de ceux de M. Mâle sur l'art religieux du moyen âge. Il se compose de dix leçons, prononcées en 1912 sous les auspices de la Société de Saint Jean, pour la propagation de l'art religieux.

Ce caractère de leçons est conservé dans le livre. Une place de choix y est faite aux Franciscains et aux Dominicains fils de ces deux grands patriarches, « d'où rayonna pendant plus de quatre siècles une si grande somme d'idéal et qui valurent au monde plus de chefs-d'œuvre qu'aucun monarque, même les Médicis et Louis XIV en son Versailles, n'a su en inspirer ».

L'âme religieuse du x1° siècle y est étudiée à grands traits, car ce fut le siècle qui vit éclore les Ordres mendiants, et l'auteur passe en revue dans la suite des chapitres les principaux problèmes capables de retenir l'attention du chercheur en vue de se faire une idée de l'influence énorme des Ordres religieux sur la chrétienté. Les Églises des Mendiants, les Fresques d'Assise, la Légende dorée, le Miroir théologique et moral, les Mystères, les Danses macabres, les Confréries et Dévotions nouvelles, le Couvent de Saint-Marc, tout cela est étudié jusqu'à la fin de la Renaissance, jusqu'aux derniers chefs-d'œuvre de Rubens et de Murillo, jusqu'à

la décadence des Ordres mendiants et l'avènement des Jésuites et du style baroque.

Beaucoup des idées et points de vue développés par l'auteur étaient déjà familiers aux lecteurs de M. Mâle, dont les Ouvrages restent pour le moment à la base de toute étude sur ce sujet. Mais il faut savoir gré à M. Gillet d'avoir su utiliser ces précieuses ressources et d'autres, en y joignant ses recherches et ses vues personnelles, et d'avoir coordonné le tout dans un ensemble plein d'intérêt.

L'auteur connaît fort bien son moyen âge, et ce n'est pas le lieu ici de s'attarder à des critiques de détail, alors que la peinture est fidèle et captivante dans son ensemble. Il aurait pu toutefois insister davantage sur la part plus directe des Dominicains dans la direction ou l'exécution des œuvres d'art, et même dans leur inspiration au XIIIe siècle, l'influence franciscaine reprenant le dessus surtout à partir du xive siècle.

Il faut aussi savoir gré à M. Gillet de s'être abstenu des discussions aussi faciles que stériles dans un pareil sujet. La question de Lorette, par exemple, et celle du Rosaire y figurent à un point de vue strictement historique, c'est-à-dire quand on commence à en parler et à en suivre la trace, et l'auteur les situe fort bien dans leur milieu. Tout le chapitre sur les Confréries et Dévotions nouvelles est à lire. Il ouvrira plus d'un jour à ceux qui ne sont pas initiés à ces disciplines et qui trouveront à côté de l'historien consciencieux l'artiste épris des beautés de son sujet.

En somme, tous les éléments de vie d'un art religieux, cette collaboration intime qu'avait signalée Mâle, du penseur et du saint, du peuple et de l'artiste, de l'imagination, du rêve et de la foi, tous ces éléments y sont étudiés et mis en lumière par mille exemples frappants qui donnent de la vie au récit.

Il serait bon que tous ceux qui s'intéressent aux rapports de la religion et de l'art, à cette apologétique si palpitante, lisent ces pages où on leur montre comment l'art, l'image, conçus, créés par la piété, créent à leur tour celle-ci et aident les fidèles à pénétrer les mystères du divin. Il devient aussi d'actualité pour beaucoup, à notre époque où les ordres religieux sont si méconnus, de savoir quel fut leur rôle pendant des siècles dans la chrétienté. Ces études désintéressées les renseigneraient souvent mieux sur l'esprit, même actuel, de ces Ordres, que beaucoup de déclamations contraires ou favorables, vaines à coup sûr la plupart du temps.

Car pendant des siècles nous les avons vus remplissant en quelque sorte le rôle moderne de la presse, servir de lien et faire régner des sentiments communs chez les peuples, à défaut d'unité politique et de nationalité centralisée. Ils remplissent alors les fonctions d'enseignement, de communication, les services d'information et de vulgarisation, et c'est avec raison

que M. Gillet peut dire, dans une phrase pittoresque, qu'ils « furent le système nerveux de l'Europe au moyen âge, assurant la cohésion de la famille humaine », car « la vie morale de l'Occident jusqu'à la Renaissance serait inexplicable sans l'action universelle des Ordres religieux, et en particulier des Ordres mendiants ».

Les plus précieux documents pour pénétrer et comprendre le jeu de cette vie intense, M. Gillet se plaît à les retrouver dans les œuvres d'art, et il a raison. Faut-il parler encore ici du « Miroir de la Vie », du langage désintéressé de l'art? Il est certain que les variations de sensibilité nous sont connues surtout par les images, les meilleures confidences de nos pères sont là. Tout cela laisse au second plan les guerres et les conquêtes, qui ne sont au fond que des épisodes. L'âme du passé est dans sa littérature et dans ses œuvres d'art, parce que là est, sans que l'artiste y pense ou le veuille, l'âme des masses, de la multitude, qui ne laisse pas de traces, mais sur laquelle pourtant repose l'œuvre divine.

Et ce spectacle, somme toute, est consolant, car, nous fait remarquer M. Gillet, grâce à l'art, on peut croire que la somme du bien dans ce triste univers l'emporte sur celle du mal. Quelle belle place occupent dans l'histoire ceux qui, loin des ambitions ou des conquêtes mondaines, ont semé par le monde le goût des choses idéales! L'idée juste, semée par eux grâce à l'art, de la douleur et de la mort, du péché, du salut et de la rédemption et celle de nos destinées, a élaboré pendant des siècles nos plus précieuses notions morales et « perfectionné les sentiments humains ».

Telles sont les conclusions, et il y en a bien d'autres, du beau livre de M. Gillet. Puisse-t-il avoir des imitateurs pour continuer à écrire, grâce à ces vieilles œuvres qui parlent pour nos pères, la plus belle histoire, celle du divin dans le monde. Elle reste encore à écrire. Qu'on rende enfin leur place parmi les grands hommes « à ces héros de la sainteté et de l'imagination, à ces apôtres, à ces chefs qui tracèrent pour des générations entières le cadre de leur rêve et de leurs méditations »; que l'on sache enfin « qu'en définitive ce sont les petits, les simples, les humbles de cœur, qui font encore le mieux les affaires de l'humanité ».

8. J'avais eu l'occasion, dans un des derniers comptes rendus sur l'Esthétique, de signaler aux lecteurs de la Revue plusieurs ouvrages à lire sur l'Art chrétien, entre autres ceux de M. l'abbé Broussole et du P. Sertillanges. Il faut y ajouter ceux de M. Abel Fabre, dont je vais m'occuper et qui ne sont que le commencement d'une série qui se continuera, il faut l'espérer.

C'est là une œuvre de divulgation excellente, que la variété des sujets traités d'une façon brève, mais substantielle et très personnelle, l'abon

dance et la bonne tenue des gravures et, il faut ajouter, la modicité du prix, rendent abordables à tous.

L'auteur a déjà abordé bien des sujets les Images du Christ, le Crucifix, les Vierges, Saint-Pierre de Rome et Notre-Dame de Paris, la Généalogie des Cathédrales, Giotto et Raphaël, Michel-Ange, les Portails imagés, le Rêve de l'imagier, les Anges, les Primitifs français, l'histoire de l'autel, le Néo-Gothique et le Moderne, et enfin une dernière série qui forme le quatrième volume de la collection, où l'auteur a fait, sous le titre de la « Filiation d'Ingres », un résumé succinct et nouveau de l'histoire de la peinture religieuse moderne et contemporaine.

Il faut avant tout louer M. Abel Fabre d'avoir voulu donner aux catholiques une œuvre de vulgarisation. Les travaux de vulgarisation sont ce qui nous manque le plus à cette heure. Il ne serait pas difficile d'énumérer nombre de travaux scientifiques qui soient aussi, par leur caractère scientifique même, des œuvres d'apologétique. Mais ces ouvrages, souvent chers d'ailleurs, ne sont pas à la portée du grand public et ne s'adressent guère qu'à une élite. Leur influence est donc restreinte. Qui se chargera d'instruire le plus grand nombre, la masse, ceux qui n'ont pas le loisir d'étudier, mais qui désirent pourtant se rendre compte de certains problèmes et acceptent volontiers, si elle leur paraît sûre et logique, une solution? Ce sera l'œuvre du vulgarisateur, et elle n'est point si facile. N'est pas vulgarisateur qui veut. J'imagine qu'il faut pour cette tâche une compréhension exacte de l'état d'esprit du public et une compréhension non moins exacte et très détaillée du sujet, telle que peut l'avoir un savant de profession. Pour résumer et synthétiser, il faut analyser d'abord, et l'analyse ne doit pas être faite avec des yeux de myope, mais, au contraire, d'un regard perçant et scrutateur qui pénètre jusqu'à l'essence des choses et ne se laisse point trop distraire par les apparences. Ce n'est que quand il possède à fond sa matière que le vulgarisateur peut entreprendre de la dominer et de tirer des faits partiels la conclusion qui s'impose.

Et pourtant, quand tout ce travail est fait, rien n'est fait, si le savant qui connaît sa matière n'est doublé de l'artiste et de l'écrivain qui sait la mettre en œuvre et la présenter d'une façon acceptable et intéressante. L'écueil du vulgarisateur est que, ne voulant pas tout dire, il ne dit quelquefois pas assez et que, pour ne pas ennuyer par l'abondance des preuves, il diminue parfois singulièrement leur valeur.

Enfin, il est une qualité que j'apprécie avant tout dans un manuel, c'est le tact; et le tact ici, c'est le respect de la personnalité du lecteur, laisser à ce dernier le soin de conclure et d'admirer, lui être un guide, guide aimable auquel on se confie volontiers, et non pédagogue austère et intransigeant. C'est beaucoup d'être savant, c'est bien mieux de ne pas le laisser

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