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Chambre des Députés, affirma audacieusement avoir communiqué la pièce elle-même aux quelques fidèles d'une commission. Ses collègues et lui se gardèrent bien de la communiquer à l'Assemblée, malgré les instances pressantes d'une minorité parlementaire. C'eût été chose impossible; car, d'après les déclararations mêmes de M. E. Ollivier, poussé dans ses derniers retranchements, on ne connaissait cette dépêche que par les ouï-dire de deux agents de l'extérieur. C'est sur ce simple on-dit, sans aucun échange d'explications, sans même demander connaissance du prétendu document, que l'Empire français déclara la guerre.

Primus adresse une lettre ou une dépêche confidentielle à Secundus. Tertius entend, par hasard, raconter qu'il est vaguement question de lui dans cette confidence, et, sans autre forme de procès, se jette sur la famille de Primus pour l'assassiner. Telle est l'histoire de 1870. Non, ce n'est pas un cauchemar; c'est bien une réalité...

L'Assemblée législative, élue elle aussi à l'aide de professions de foi pacifiques, pouvait mettre un frein à la fureur belliqueuse du pouvoir exécutif. Mais,

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hélas ! issue d'un régime électoral à jamais répudié, elle était trop absolument dévouée à l'Empire pour avoir la clairvoyante fermeté de le contrecarrer. Elle ne voulut entendre ni M. Thiers, qui, avec une indomptable énergie, la pressait d'accomplir, avant toute décision, son devoir le plus élémentaire de contrôle, ni les sages défenseurs des idées pacifiques et libérales. Elle étouffa leurs voix, prenant leur courageux et patriotiques efforts pour des actes de mauvais citoyens. Le mot fusiller fut prononcé. Nos législateurs repoussèrent jusqu'à la timide motion de 84 de leurs collègues qui, avec quelque sang-froid, demandaient, ne fût-ce que pour gagner le temps de la réflexion, à s'assurer de visu des pièces diplomatiques concernant l'insulte prétextée à notre honneur. La Chambre vota par acclamation le massacre des deux races, sans vouloir même s'occuper des offres de médiation faites par l'Angleterre (conformément à l'esprit du traité de Paris, qui posait l'arbitrage en principe obligatoire.)

Ainsi fut consommé, comme disait le Times, «<le plus grand crime national commis depuis le premier Empire (1). »

(1) P.-S. Une lettre révélatrice, insérée, en septembre

Peuples du dix-neuvième siècle, voilà donc où vous en êtes dans la voie du progrès et de la civilisation! Glorifiez-vous, enorgueillissez-vous... Un ministre, dans l'exercice de ses fonctions, fera une communication secrète à ses subalternes; cette communication, d'une forme plus ou moins hypothétique, aura le malheur de troubler l'imagination d'un ministre nerveux ou d'un empereur jaloux, et 400,000 hommes seront égorgés !

Pauvres troupeaux humains, si vous ne relevez la tête, si vous continuez de tendre bénévolement la gorge

1872, dans le Courrier de France et reproduite par les autres journaux, établit, avec l'autorité du nom de M. Robert Mitchell, que M. E. Ollivier était intimement partisan de la paix, et qu'après avoir déclaré publiquement « l'incident vidé, » après avoir, le 13 et le 14 juillet, affirmé que « l'honneur de la France était satisfait,» il n'a cédé, le lendemain 15 juillet 1870, qu'à la pression de l'Empereur et aux menaces d'une coalition. de Députés que la tache originelle de la candidature officielle condamnait à une complaisance inconsciente et fatale envers le Prince. Le ministre, qui avait résisté jusqu'à la dernière heure, finit par obéir, en disant pour s'excuser : « Puisque la guerre est inévitable, notre devoir est de la rendre populaire. >>

Voilà l'explication de la séance publique du 15 juillet et de l'attitude du premier ministre devant le Corps Législatif.

au couteau, c'est que vous ne méritez rien de mieux; et si vous répondiez encore par le mot gloire, ah! vous seriez donc bien dignes d'aller pourrir dans la plaine, et de faire de vos cadavres une montagne de fumier, pour réjouir l'œil et l'odorat de vos maîtres!

Mais non, il est aujourd'hui indubitable, d'après les documents impériaux et les révélations précitées de l'enquête officielle de juillet 1870, que l'immense majorité de la nation ne voulait pas la guerre. La presse indépendante avait énergiquement protesté. L'opinion, dans l'Europe entière, se prononçait alors en faveur des idées pacifiques. Les peuples demandaient partout, à haute voix, l'allègement de ce fardeau militaire triplement écrasant pour « la prospérité, la moralité et la santé publique. » L'Angleterre réduisait ses dépenses d'armement de cent millions de francs en deux ans. Le Gouvernement français donnait un semblant de satisfaction à l'opinion publique; ce qui ne l'empêchait pas de dépenser énormément pour nous laisser sans défense.

A Berlin, la motion du docteur Virchow, tendant « à réduire les dépenses militaires et à agir diplomatiquement auprès de tous les autres gouvernements,

en vue d'un désarmement général, » obtenait 99 voix dans le Parlement prussien. Une autre partie considérable de la Chambre, dont le chef était le docteur Lasker, déclarait ouvertement qu'elle acceptait le principe de la mesure, et elle aurait assuré la majorité à cette motion, si elle n'avait été arrêtée par un scrupule de conscience, se croyant liée par un vote précédent jusqu'à l'année 1871. Le parti national lui-même était contraint de se poser devant les électeurs en partisan de l'allègement des charges militaires et de la réduction du service de trois années à une. Notre ambassadeur à Berlin, M. Benedetti; écrivait au Gouvernement français : « Il faut rendre cette justice aux Allemands, c'est que les sentiments qu'ils nous témoignent leur sont généralement inspirés par le souvenir et la crainte des invasions dont leur pays a été le théâtre; rassurés contre une si funeste calamité, ils emploieraient toutes leurs forces à peser sur leurs gouvernants, pour les contraindre à accepter franchement, dans toutes leurs conséquences, les institutions des États libres. » (Ma Mission en Prusse.)

A Dresde, le docteur Lowenthal jetait les bases d'une union de paix et de désarmement; la grande

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