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ait recours aux armes pour des questions d'administration; car la politique doit être et sera réduite à ce rôle, elle ne comportera plus que l'expédition des affaires. »

Ne nous dissimulons pas, toutefois, qu'il peut y avoir encore des menaces et des dangers à l'horizon (ce qui ne saurait être qu'une raison sans réplique pour nous confirmer dans le sang-froid et dans une sage prudence, en nous pénétrant des nécessités de notre temps). La Commune nous a rappelé ce que les basfonds d'une cité de deux millions d'âmes doivent né– cessairement renfermer de lie humaine. Nous avons vu ces frénétiques, presque tous plus à plaindre qu'à blâmer, se ruer avec une égale bestialité contre les gendarmes et les prêtres.

La question religieuse reste toujours une de celles que la presse soucieuse de liberté doit s'astreindre à ne traiter qu'avec la plus grande discrétion, la plus grande délicatesse et les plus grands ménagements. Des excès ont été commis de part et d'autre. Il y a des gens, au moins fort maladroits, qui croient devoir présenter leur religion sous les apparences d'une citadelle d'égoïsme ou d'un arsenal d'anathèmes. On a

cité, par exemple, un journal français qui, en 1851, sous la signature d'un célèbre écrivain (rappelé naguère à ses devoirs de charité par la Cour de Rome), avait l'audace de demander la mort des hérésiarques (1). Ces excès-là n'ont pas de conséquences redoutables aujourd'hui; ils peuvent tout au plus inspirer quelques abus de zèle réprimés par nos lois; mais ils servent d'excuse ou de prétexte à des excès contraires, dont les effets, quant à la paix publique, peuvent être beaucoup plus graves, en provoquant le fanatisme antireligieux au sein de masses ignorantes, grossières et passionnées.

Il faut bien reconnaître que le fanatisme religieux ne présente aucun sérieux danger parmi nous; et, d'autre part, quiconque s'occupe des grands intérêts de son pays, devrait peut-être, à un point de vue purement politique et patriotique acceptable par tous, abstraction faite des croyances de chacun, méditer quelque peu les paroles suivantes de Jean-Jacques

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(1) « L'hérésiarque examiné et convaincu par l'Eglise était livré au bras séculier et puni de mort. Rien ne me semble plus naturel et plus nécessaire. »

Rousseau, avant de se lancer dans de trop agressives

polémiques :

<< L'irréligion, et en général l'esprit raisonneur et philosophique, arrache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l'intérêt particulier, dans l'abjection du moi humain, et sape ainsi, à petit bruit, les vrais fondements de toute société. »

N'est-ce point Voltaire qui a dit : « Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer »?

Quiconque a devant les yeux une voie nettement tracée, a chance de marcher plus sûrement dans la vie et de travailler plus pratiquement. Celui qui ne sait et ne peut savoir d'où il vient ni où il va (1), dévoré

(1) Sans manquer de respect à la philosophie, et sans contester l'utilité de son étude au point de vue de la gymnastique intellectuelle, on a le droit de dire que, si elle peut contribuer à fortifier une croyance acquise, il est difficile qu'elle suffise à en faire naître une bien ferme sur les grands et insondables problèmes. La philosophie toute seule ne peut guère être une règle très-pratique, puisqu'il y a autant de philosophies que de philosophes. Au lieu d'être le chemin des solutions précises, elle risque de devenir une école de scepticisme antisocial. M. Renan explique l'impuissance de la science pure et du seul raisonnement en matière de foi régu

d'un souci rongeur, le matin s'interroge et, le soir, se retrouve avec sa tristesse inquiète, roulant son rocher de Sisyphe, qui le détourne d'autres labeurs. Véritable âme en peine, il appelle, il frappe et cherche sans paix ni trève.

M. Thiers a aussi exprimé quelque part une idée analogue, à peu près en ces termes : « Si j'avais dans mes mains la foi, je les ouvrirais sur mon pays; une nation croyante est plus inspirée dans ses arts et plus héroïque pour défendre la grandeur de son pays. » (1).

latrice des consciences, par cette idée que les meilleurs doivent primer les plus savants dans la poursuite des vérités de l'ordre moral; il remarque qu'« il eut été inique que le génie et l'esprit constituassent ici un privilège, et que les croyances, qui doivent être le bien commun de tous, fussent le fruit d'un raisonnement plus ou moins bien conduit, des recherches plus ou moins bien favorisées. » (De l'Avenir de la Métaphysique.)

(1) A un autre point de vue, les trop fougueux champions d'un despotisme radical, aujourd'hui bien déconsidéré, devraient se pénétrer d'une remarque très-judicieuse de la Neuie Freie Presse, de Vienne, reproduite par le Temps du 6 juillet 1870 : « Les fractions libérales n'ont jamais été renversées directement par la réaction; l'avant-garde de celle-ci a toujours été le parti radical. »

M. le comte de Tocqueville constatait hier aussi cette écla

Heureusement, les passions en matière religieuse ne semblent plus bien redoutables (1) que dans l'un de ces bouleversements généraux et dans l'une de ces ivresses de sang, comme il en résulte de la guerre.

Les passions dites sociales ou haines de pauvres à riches, peuvent également se faire jour dans de semblables crises. Il faut des souffrances exceptionnelles, telles aussi spécialement que celles engendrées par la guerre, pour exalter ces passions au point de faire éclater les batailles civiles. Le sort du prolétaire n'est plus ce qu'il a été jadis. Nous n'avons plus cet esclavage qui a causé de si furieuses révoltes, ni même les

tante vérité que « si la forme républicaine a été si facilement acceptée en Amérique, c'est que la religion y a été universellement respectée. » En même temps, il rappelait aux ministres de la religion que « leur premier devoir est de rester audessus et en dehors des partis, » et il s'autorisait du sage conseil que donnait dernièrement l'évêque de Perpignan aux membres de son clergé : « Renfermez-vous strictement dans le domaine de vos attributions spirituelles, et soyez surtout des hommes de prière. La croix qui est votre drapeau n'a pas de couleur, et la houlette pastorale ne vous a pas été donnée pour soutenir des trônes fragiles. »

(1) Malgré le caractère ignominieux des dernières scènes de Nantes.

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