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Notre pays est aujourd'hui dans une situation exceptionnelle. Si quelques lecteurs sympathiques font à ces feuillets l'honneur d'y jeter les yeux, et, sur la recommandation de la Société des Amis de la Paix, d'y chercher une idée digne d'être répandue, qu'ils veuillent bien ne pas méconnaître la pensée de l'auteur et ne point lui prêter une exagération dangereuse. Avec certaine attention à leur lecture, ils verront qu'en poursuivant un idéal peut-être moins éloigné qu'on ne le suppose, le soussigné redoute grandement tout ce qui pourrait compromettre le salut ou la légitime influence de sa Patrie.

LEON HENRY.

Kergresk, en PLOUGRESCANT (Côtes-du-Nord), novembre 1872.

PRÉFACE

Est-ce bien le moment, dira-t-on, de nous parler de paix? Soyons dignes, au fort même de nos épreuves, et, vaincus, sachons garder, avec la foi en l'avenir, le respect du malheur de nos propres concitoyens.

-Ah! certes, nul ne peut voir sans frémissement le sanglant tronçon que le fer a ravi à la France; nul ne peut rester sourd aux soupirs de tristesse et de ferme espérance que poussent vers la Mère-Patrie nos frères d'Alsace-Lorraine. Qui donc est demeuré froid devant le dernier témoignage de leur inviolable attachement? Non contents d'avoir donné leur sang pour défendre la Patrie française, ils ont encore voulu aider à payer sa rançon, et, à l'appel de leurs femmes, ils nous ont sacrifié leurs épargnes,

Nous n'aurons pas l'ingratitude d'oublier les Alsaciens-Lorrains; tous assurément nous avons le même désir, c'est de pouvoir les restituer à eux-mêmes et à la liberté. Mais par quelles armes devrons-nous poursuivre ce but? L'expérience nous aura suffisamment appris que le procédé le plus brutal et le plus barbare n'est pas toujours le plus sûr. Nous savons aujourd'hui ce qu'il faut penser de la légèreté de cœur d'un gouvernement qui ne craint pas de jouer criminellement le sort de la Patrie sur l'échiquier des champs de bataille.

Nous sommes délivrés de l'Empire, qui, comme une tunique de Nessus, semblait attacher fatalement le poison de la guerre à nos flancs. Que le pays de France devienne le champion pacifique du droit; et, pour cela, qu'il cherche infatigablement la seule justice et non point la vengeance.

En face des dominations conquérantes, nous aurons toujours pour point de mire la liberté des populations; et cette politique triomphera. Nous imiterons les pays libres, et, au lieu de chercher à nous faire justice nousmêmes, en courant le risque de fonder à jamais l'injustice, nous en appellerons à la sagesse des nations;

nous aiderons de tous nos efforts ces congrès, ces arbitrages déjà si fréquents dans notre siècle. Le tribunal arbitral de Genève, constitué pour l'affaire de l'Alabama, vient encore de remporter, à l'actif de la cause de la paix, le plus éclatant des triomphes. Gloire aux Américains et aux Anglais, qui se sont élevés si haut, par leur sage honnêteté, au-dessus des peuples de notre continent !

Nous nous efforcerons de donner le caractère d'institution et de règle légale à ce qui n'est encore qu'une pratique facultative pour la diplomatie. Nous serons tenaces et persévérants, sachant bien que la vertu de patience est un élément indispensable du patriotisme. Nous nous souviendrons de ce mot que la bataille tranche les questions, ou plutôt les complique, sans les résoudre; la guerre n'engendre que la guerre et les perturbations sociales. Nous comprendrons qu'un nouveau conflit avec l'Allemagne pourrait bien avoir ce résultat de déplacer le mal, de le doubler, de le décupler ou de l'éterniser (4), mais point de le guérir.

(1) Avec le système de revanche par les armes, nous en aurions jusqu'à la fin du monde, comme le disait le bon sens de Jacques Bonhomme, sous la plume de M. H. Bellaire,

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