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CHAPITRE III

Moyens de prévenir la Guerre.

<< La meilleure politique, c'est l'honnêteté. »

FRANKLIN.

Le remède préventif le plus efficace, j'ose dire le plus infaillible, ne saurait exister que dans les institutions des peuples. Pour qu'ils ne puissent plus être lancés dans les aventures, au gré d'un caprice mobile et effréné, pour qu'ils ne dépendent plus d'un froncement de sourcil, qu'ils ne soient plus à la merci d'une humeur fantasque ou criminelle, d'un accès de délire, d'une mauvaise digestion royale, des fumées de l'ivresse, ou de toutes autres fumées spéciales à certains cerveaux, il faut, avant tout, que les peuples s'appartiennent, il faut qu'ils ne soient plus comme des bombes explosibles placées dans les mains de leurs despotes, il faut qu'ils revendiquent leur liberté individuelle, c'est-à-dire le droit de se

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conduire et de se gouverner eux-mêmes, le droit de marcher où ils voudront, mais de ne marcher que librement et à bon escient.

Comme je le lis encore en ce moment dans M. Beulė (Portraits du siècle d'Auguste), la bonté d'un souverain ne forme pas la garantie d'un peuple. Au milieu de l'enivrement et du vertige du pouvoir suprême, la bonté est un accident, comme la méchanceté est une maladie. Ni l'une ni l'autre ne sont héréditaires; elles ne sont même pas constantes dans le même homme. Le jeune fou Caligula avait commencé aussi par mériter l'amour de l'univers. Néron avait été les délices des Romains pendant cinq ans. Domitien, le plus intelligent des Césars, disait de son frère Titus qu'il avait été heureux plutôt que vertueux (1), déclarant sans doute qu'il n'avait pas assez vécu pour se heurter à l'écueil placé par la destinée sur la route des despotes. Felix brevitate regendi, disait le poète Ausone heureux que la briéveté de son règne ne lui ait pas donné le temps de se démentir.

(1) Titus lui-même, ce monstre qui fut si féroce au siége de Jérusalem, qui livra trois mille Juifs à dévorer aux bêtes, pour célébrer la fête de son père Vespasien et mérita ainsi le titre adulateur de Délices du genre humain, peut nous faire apprécier, par comparaison, ce qu'ont valu tous les Césars.

Que les nations, au lieu de s'endormir dans le giron de leurs sauveurs, ne s'en rapportent qu'à elles-mêmes et à elles seules du soin de leur salut. Songeons que nous sommes encore reduits à nous entr'égorger, alors même que personne individuellement ne veut la guerre. Les rois, jusqu'à ce jour, ne semblent pas vouloir renoncer à faire usage de leurs sanglantes prérogatives. On sait aussi que <«<les mauvais ministres rendent souvent les guerres inévitables, pour se rendre eux-mêmes nécessaires. Ce fut la politique de Louvois » et d'autres bien plus voisins de nous.

Depuis assez longtemps, l'histoire devrait avoir justifié, chez les peuples, la plus élémentaire des prudences. << Je ne suis pas, dit M. Marc Dufraisse, » de l'école historique où l'on assigne les moindres >> origines aux plus grands évènements. . . . . . . . . » Toutefois, je ne puis m'empêcher de reconnaître » que la guerre eut souvent de tristes causes: J'ai » vu, disait Mirabeau, l'Europe incendiée pour » le gant d'une duchesse trop tard ramassé. » Si l'on en croit l'abbé de Saint-Pierre, la rivalité » de Colbert et de Seignelay, son fils, contre les » frères Louvois et Le Tellier, alluma la guerre de » Hollande en 1671. Tout le monde sait également » que Henri IV, dans sa verté et galante vieillesse,

>> tomba violemment amoureux de Henriette de >> Montmorency, et que, pour l'avoir à sa main, » il maria la jeune personne, à la cour, au prince » de Condé. On sait aussi que l'époux mal-appris » résolut d'emmener sa femme hors de France. On »sait encore que la fugitive fut longtemps poursuivie » ou plutôt précédée sur la route, de relai en relai, » par Henri-le-Grand, déguisé en postillon, avec un >> emplâtre sur l'oeil gauche; et qu'enfin, sous pré» texte de Juliers et de Clèves, les régiments de >> France partaient déjà pour la conquête de la » dame, quand le vieux satyre, ayant trompé et » déshonoré une sœur de Ravaillac, cet exécrable » vengeur de la sainteté de la famille arrêta d'un >> coup de couteau l'exécution du grand dessein.

» Les contemporains connaissent rarement, rare>>ment ils soupçonnent la cause d'une guerre dont » ils endurent les malheurs. Les peuples ont tou>> jours foi au prétexte, et ne croient jamais au motif » vrai. Les révélations arrivent avec le temps; » l'histoire découvre peu à peu les ressorts du » mouvement des empires, du choc des armées, » des sacrifices de sang humain. Quand la lumière » est faite, on est tout surpris du mobile vain d'une » longue, d'une grande guerre; honteux de la gloire >> plus vaine encore dont la fumée nous enivra; et,

» tout confus d'avoir été dupe, on va se faire » prendre à la même piperie. »

Sait-on le saint motif de cette rude guerre ?

C'est l'affaire du prince, et nous n'y songeons guère.
Une fille de joie est peut-être l'enjeu.

J. SOULARY.

Témoins, les Hérodiade, les Aspasie, les Eléonore, les Diane.... et autres.

« Les âmes des empereurs et des savetiers, écrivait Montaigne, sont jectées à mesme moule. Considérant l'importance des actions des princes et leur poids, nous nous persuadons qu'elles sont produites par quelques causes aussi poisantes et importantes; nous nous trompons : ils sont menez et ramenez en leurs mouvements par les mesmes ressorts que nous sommes aux nostres. La mesme raison qui nous faict tanser avec un voisin, dresse entre les princes une guerre; la mesme raison qui nous faict fouetter un laquais, tombant en un roy, luy faict ruyner une province. »

On se rappelle, par exemple, ce que valut à la France le lardon de Philippe Ier, raillant l'obésité de Guillaume-le-Conquérant: « Quand est-ce que ce gros homme aura fait ses couches? <<< Je ferai bientôt mes relevailles, dit à son tour Guillaume, et

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