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donna-t-il bientôt la preuve des pertes énormes subies par la Russie.... (1)

» Et la propriété foncière, que devenait-elle pendant ces trois années? Les levées qui enlevaient à l'agriculture trois fois plus de paysans censitaires qu'à l'ordinaire, n'était-ce pas, pour la propriété foncière, une charge accablante? Une levée de 300,000 serfs, au-delà du recrutement ordinaire, dit M. Léon Faucher, c'est un impôt de 300 millions sur le capital foncier, sans parler de l'équipement mis à la charge des seigneurs, et qui représente encore une somme de 50 millions de francs. Qu'on y joigne les réquisitions en vivres, en fourrages, en charriots de transports; qu'on y ajoute la perte causée par l'impossibilité de l'exportation des blés et des matières premières.

» Que dire du cours forcé, du désavantage du change, de la baisse des billets de crédit, qui, dès la première année de guerre, au lieu de 4 fr. le rouble, ne valaient plus que 3 fr. 08 c., et, de chute en chute, arrivèrent à ne plus valoir que 1 franc? Que dire des détournements de dépôts confiés à la banque d'emprunt, à la banque de commerce, aux lombards, aux hospices d'enfants trouvés ? Toute cette désorganisation économique, toute cette instabilité dans les rapports des valeurs, de combien de faillites et de banqueroutes ne furent-elles pas la cause?

» Ces pertes indirectes, colossales, croit-on que la Russie fût seule à les supporter?.... »

(1) Ce tarif, qui établit une effrayante réduction du commerce extérieur, indique l'immensité des ruines particulières.

L'auteur passe en revue les pertes indirectes éprouvées par les grandes nations d'Occident, et résultant, par exemple, de la difficulté ou de l'impossibilité d'importation et d'approvisionnement.

« N'est-il pas certain encore, » ajoute-t-il, « que la France et l'Angleterre se firent à elles-mêmes un dommage permanent en ruinant la Russie? La masse d'affaires que l'on peut faire avec un peuple, aussi bien qu'avec un particulier, est proportionnée à ses ressources: tout ce qui appauvrit une nation, est dommageable pour celles qui commercent avec elle; c'est folie de ruiner son acheteur ou son vendeur, c'est lui ôter les moyens d'acheter ou de produire. En réalité, c'était contre l'industrie anglaise et française, autant que contre l'industrie russe, que nos croisières bloquaient les ports de la Baltique; et la flotte qui fermait les ports de la mer Noire, ne nuisait pas moins aux populations affamées de l'Angleterre et de la France qu'aux propriétaires russes.

>> Nous avons essayé d'analyser les ruines que cette guerre de Crimée, si légèrement entreprise, a accumulées : huit milliards et demi ont grevé, à cause d'elle, les finances de l'Europe; mais à combien s'élèvent toutes ces pertes indirectes que nous avons notées, et une foule d'autres qui nous ont échappé : le calculer est impossible; l'évaluer, même approximativement, ce serait de la présomption.

Guerre d'Italie.

Voici le chiffre des pertes comprenant tués, blessés et disparus dans les trois armées :

38,650 Autrichiens.

17,775 Français.

6,575 Sardes.

TOTAL: 63,000

Le nombre des morts a été évalué, pour l'armée française, à 15,000, et, pour les trois armées, à 45 ou 50,000.

Les dépenses de la guerre d'Italie se sont élevées, pour la France, à 375 millions et demi.

L'Autriche eut recours aux surélévations d'impôts poussées jusqu'aux dernières limites; mais rien n'égala la plaie du papier-monnaie et les souffrances causées par sa dépréciation et les ruineux désavantages du change. Après avoir imposé un emprunt forcé, l'Autriche fut réduite à la faillite; elle suspendit le paiement en espèces métalliques. Ses dépenses extraordinaires, pour la guerre d'Italie, furent de 254 millions de florins, ou environ 650 millions de francs.

Quant à l'Italie, elle aura aussi à lutter longtemps

contre le déficit que la guerre a créé, contre la désorganisation de toutes ses forces productives, commencée par la lutte de 1859, achevée par celle de 1866. Comme l'Autriche, le Piémont dut infliger au peuple les calamités incalculables du papiermonnaie; il dégagea la banque nationale de l'obligation de payer ses billets et leur donna cours forcé, privilége qui fut étendu à la banque de Gênes. Il emprunta et frappa les impôts d'une surélévation permanente.

La guerre de 1859 coûta au Piémont 255 millions de francs, sans compter l'augmentation de 10 pour 100 sur tous les impôts.

Le total, pour les trois puissances, des frais de la guerre, est donc de 1,280 millions.

Cette guerre provoqua, en outre, dans l'Allemagne, des armements extraordinaires qui exigèrent des crédits supplémentaires et des emprunts. La Prusse autorisa le ministre des finances à surélever de 25 pour 100 l'impôt du revenu, l'impôt de classes, l'impôt de mouture et d'abatage, et l'augmentation subsista bien après la fin de la guerre. Le gouvernement prussien négocia en outre un emprunt de 30 millions de thalers (112 millions et demi de francs), motivé par l'état d'inquiétude et de qui-vive dans lequel le plaçait cette même guerre.

Les petits Etats d'Allemagne firent tous des dépenses extraordinaires, relativement plus considérables que celles de la Prusse, et motivées par la même situation d'inquiétude et d'alarme. (1)

Les dépenses des trois puissances belligérantes étant de 1,280 millions, la dépense totale des belligérants et des neutres dépasse certainement 1,500 millions.

<< Ainsi, dit encore le consciencieux auteur auquel j'emprunte ces éléments de satistique, un milliard et demi de charges pour les finances de l'Europe centrale, des surélévations d'impôts, accidentelles par leur origine, mais que la force des choses fit permanentes, l'augmentation des budgets de la guerre, qui ne revinrent jamais complètement à leur niveau antérieur, la désorganisation économique et industrielle de l'Italie et de l'Autriche, voilà ce que coûta à l'Europe cette guerre si courte, qu'un peu de bonne volonté.... eût si facilement évitée. »

(1) Cette contagion des armements à outrance atteignant les puissances neutres, semble la conséquence de toutes les guerres. Nous venons de la voir encore se reproduire à l'occasion des évènements de 1870-1871.

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