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principe, le meme prétexte : le droit de guerre, le droit du plus fort. Nous avons répudié l'un, nous répudierons nécessairement l'autre. Jusqu'à ce que la liberté ait fait son œuvre infaillible de fusion de l'humanité, il faut savoir attendre. Il est des lois d'histoire dont les

peuples doivent se souvenir. Le sang appelle le sang; ce que le crime a fait, le crime le défait; l'honnêteté vaincue dans le monde a ses vengeances justicières. Quiconque a grandi par le glaive, en défiant la Providence, a mérité et préparé son propre sort; qu'il redoute, à son tour, de périr par le glaive. Voilà, comme on l'a remarqué, le secret de toutes les décadences d'ici-bas. Combien de temps ont duré ces vastes empires conquis à la pointe de l'épée? Qu'ont donc fondé de durable tous ces fléaux de Dieu, ces ravageurs des nations? Que sont devenus leurs rêves de suprématie universelle? Ils ont saccagé le monde; ils ont laissé sur leurs pas une immense traînée de feu et de sang, et leurs châteaux de cartes se sont envolés au premier souffle; ils ont bâti sur la tempête, et la tempête a balayé leurs œuvres. Quant à leurs titres à la reconnaissance de l'humanité, leurs bienfaits et les monuments de leur gloire peuvent tous se résumer dans le splendide trophée que Tamerlan fit ériger à Bagdad: cette colonne du Tartare, composée de 90,000 crânes, voilà leur symbole, voilà.

leur testament; c'est le seul legs qu'ils puissent faire à la postérité.

Oui, la guerre porte en elle-même ses terribles enseignements. La fortune, les flots et les destins sont changeants. Le châtiment peut couver et se faire attendre. La justice marche quelquefois d'un pied boiteux. Son heure arrive. Combien de conquérants sont réduits, après avoir subi toutes les vicissitudes du sort, à se féliciter, comme suprême consolation, d'avoir tout perdu, fors l'honneur !!! (Qu'est-ce donc que l'honneur?)

Sans remonter bien haut dans le passé, rappelonsnous, par exemple, les victoires de l'ambitieux Charles-Quint, conduisant finalement ce prince, dans les Etats duquel le soleil ne se couchait jamais, à Marseille, à Alger, à Cérisoles, à Metz, à Renty.... et, de revers en revers, de déception en déception, derrière les grilles du cloître de Saint-Just.

On sait aussi ce que devint l'Espagne de Philippe II, Philippe III, Philippe IV..., pour avoir voulu demander ses richesses, non au travail et à la justice, mais à la violence et à l'extorsion. La violence, on l'a dit, paralyse tout ce qu'elle souille.

Quant à Louis XIV, « qui se donna le plaisir de la guerre comme on se donne celui de la chasse, et qui, toute sa vie, exposa ses peuples comme on lan

cerait une meute, » (C. Desmoulins) les triomphes. de Turenne et de Condé aboutissent, pour ce grand sire, à Carpi, à Chiari, à Crémone, à Hochstædt, à Ramillies, à Turin, à Gibraltar, à Oudenarde, à Malplaquet... terribles retours de la victoire, qui mettent le pays, après toutes ses conquêtes, à deux doigts de sa perte. La France, épuisée, affamée, ruinée en hommes et en argent pour un demi-siècle, réduite à emprunter au taux de 400 p. %, et débordant d'exaspération contre ses tyrans : voilà leur œuvre ! Au dix-huitième siècle, le malheureux Charles XII, pour avoir fini par faire prédominer une politique de représailles sur les stricts droits de la légitime défense, usera sa fortune et son génie comme ceux qu'on appelle les « météores; » il clôra sa brillante et victorieuse carrière par Pultava et Frédéricshall.

Dans notre propre siècle, il s'est rencontré un homme qui a résumé tout le génie et toutes les frénésies des Attila et des Tamerlan, des Alexandre et des César, des Genséric et des Gengis-Khan. Ce foudre de guerre, qui avait rêvé de tenir l'univers entier sous le talon de sa botte, et d'être « le plus ancien monarque de l'Europe (1), » n'a communiqué

(1) Lire le chapitre de M. Marc Dufraisse (Droit de paix et de guerre), intitulé : Les guerres de Napoléon, instruments de règne. Napoléon tombé a réprouvé lui-même la guerre

à sa patrie adoptive tout « le chaos de sa tête et l'enfer de son cœur, » que pour mieux faire éclater, aux sinistres jours de l'expiation, sur sa personne

de Russie et condamné « l'immoralité par trop patente et l'injustice par trop cynique » de la guerre d'Espagne. Il faut juger la guerre dans la personne de ses plus fameux grandsprêtres et sacrificateurs.

Pourrait-on se rappeler, sans exécration, la parole de Napoléon, repoussant toutes les propositions de paix, pour tomber avec majesté : « Je serai vaincu, soit ! Je veux obtenir la gloire des revers. » Voilà ce que comptait la Patrie, pour ce violateur des traités! On comprend, après cela, qu'un pareil chef de gouvernement soit « le seul que la nation française, durant quatorze siècles d'existence, ait laissé tomber sous les coups de l'étranger. >> (NOTA Ces lignes sont antérieures à Sedan. C'est là un privilége des Bonaparte.)

et

Y eût-il jamais guerrier plus barbare que Bonaparte en Italie, en Egypte, en Syrie? On connaît ses ravages et ses massacres d'ennemis désarmés. Du reste, il s'en glorifiait, écrivait au Sénat : « Je ferai brûler les villes et les villages où se commettra un assassinat. Je ferai brûler les maisons qui donneront asile aux assassins et punir exemplairement les magistrats qui les souffriront. Il faut que le meurtre d'un Français porte malheur aux communes entières qui ne l'auraient pas empêché. »

Cet homme, comme le révèle sa vie d'un bout à l'autre, depuis la proposition d'empoisonnement faite au médecin Desgenettes, depuis la fusillade du duc d'Enghien et la fusillade du libraire Palm, jusqu'à tant de crimes avoués crûment dans ses lettres ou mémoires; cet homme, qui rétablit l'esclavage et la traite des noirs, qui ordonnait de décimer ses soldats

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aussi bien que sur la nation complice, les terribles châtiments de l'histoire et l'anathème si insolemment bravé de la Providence. Le superbe vainqueur de la France et de l'Europe, le grandissime empereur romain, le gloriosissime Charlemagne, qui avait élevé son trône sur une litière de sceptres et de couronnes, sur un piédestal de sept millions de cadavres, finira par engloutir sa gloire dans les neiges de la Russie et le patriotisme brûlant de l'indomptable Espagne. Poursuivi, à son tour, de désastre en désastre, par la véritable << saintealliance des peuples; » écrasé, au son de notre Marseillaise, sous les pieds des patriotes qu'il avait foulés lui-même; honni, maudit et vilipendé par les tolle d'un peuple, la veille encore idolâtre, et, pour comble d'ignominie, outragé, gisant à terre, par le coup de pied de l'âne de sénateurs reptiles; enfin,

présumés coupables sans même les faire passer devant une justice militaire, si sommaire qu'elle fût, semblait n'avoir pas l'ombre de sens moral. Il personnifie complètement, dans son caractère public ou privé, la guerre avec tous ses crimes. C'est elle qu'on doit détester en lui.

N'oublions pas, toutefois, que la nation qui renie la liberté pour lâcher les rênes au despotisme, est plus que complice; elle est la cause première, presque seule responsable de ses maux; elle n'a pas le droit de se décharger sur un seul bouc émissaire, après lui avoir donné carte blanche.

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