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le comprendra, aussitôt qu'elle sera libérée de l'occupation étrangère.

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Universaliser la dette militaire, afin d'en répartir et d'en alléger de plus en plus le fardeau, telle est la tendance de notre époque. L'obligation générale pour tous d'être soldats doit aboutir à ce résulat idéal, que personne ne soit plus contraint d'être soldat, dans le sens actuel du mot. Msr Dupanloup rappelait, à la tribune, cette parole prononcée en 1848, qu' « une société, où tout le monde serait soldat, deviendrait bientôt une société de barbares. » Vienne le jour où l'impôt du sang ne sera plus, en pleine paix, la confiscation temporaire de la personnalité humaine, mais seulement l'obligation à une dette bien définie, dont le paiement momentané sera compatible avec l'accomplissement de tous les autres devoirs! Même souhait a été exprimé par plus d'un grand homme de guerre.

Sans ignorer que l'épidémie européenne n'est pas de celles qu'on puisse guérir d'un trait de plume, voici, pour ma part, comment je comprendrais, dans l'avenir, l'organisation militaire des nations:

1o Des cadres admirablement constitués d'officiers et même de sous-officiers parfaitement instruits, recrutés par le libre concours, maintenus en haleine par des travaux continuels. (Le mode de nomination

et d'avancement est sans doute appelé à des progrès successifs.)

2o Instruction militaire obligatoire de quatorze à vingt ans. Six ans d'études, d'exercices et de marches fort hygiéniques, au lieu même de la résidence, et sans préjudice des autres études ou travaux, perfectionneraient, chez tous les jeunes gens, l'apprentissage des armes. Lorsqu'à vingt ans, ils tomberaient sous le coup de la loi, il leur suffirait de quelques manœuvres d'ensemble, de quelques réunions rendues le moins vexatoires possibles, pour qu'ils n'eussent plus rien à ignorer.

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3o Jusqu'à ce que des congrès européens, de plus en plus radicaux, nous en aient dispensés, des corps d'armes spéciales, pourvus par le libre enrôlement avec haute paye. On pourrait avoir, sur toutes les frontières, de profonds et impénétrables remparts d'artillerie, toujours prêts à vomir une pluie de feu sur l'agresseur.

4° En cas de guerre ou de crainte de guerre, mobilisation instantanée (1) de l'ensemble des citoyens valides, suivant l'ordre des différents bans. Les grandes nations, comme la France, pourraient

(1) La Prusse sait déjà mobiliser tous ses hommes en quelques jours.

ainsi, en très-peu de jours, réunir sous les armes des millions d'hommes déjà complètement et continuellement exercés. Ces miliciens formeraient la solide cuirasse protégée elle-même par un premier bouclier.

L'adoption d'un tel système déchargerait l'Europe de ce grand esclavage des temps modernes, que la civilisation du siècle semble avoir pris à tâche de développer, sans mesure, sur les ruines de l'ancien, comme pour prouver à nous tous, qui croyons naïvement au progrès, que la liberté n'est qu'un leurre.

La grande nation de 89 avait cependant voulu abolir les servitudes personnelles dans cette mémorable nuit du 4 août, à jamais glorieuse pour les trois ordres qui composaient alors la France. Les ministres de Louis XVI, depuis Turgot, Necker..., furent d'accord avec les voix de millions d'électeurs, pour considérer la servitude militaire comme l'une des plus exorbitantes des servitudes personnelles (1).

Les penseurs n'ont cessé de mettre en lumière

(1) Voir L'Armée et la Révolution, par M. Chassin. - Lois du 16 décembre 1789, du 28 février 1790 et du 4 mars 1791. Cette dernière abolit positivement le servage des armes, en supprimant l'ancien système de recrutement forcé.

les dangers et les fléaux qui sont le cortège inséparable des grandes armées permanentes; ils ont sollicité le remède. On pourrait donc se demander si, même au point de vue des chances de succès à la guerre, les grandes armées permanentes sont bien d'une inéluctable nécessité.

En 1789, Camille Desmoulins concluait déjà, trop radicalement, après Mirabeau, à l'abolition des troupes réglées et perpétuelles: -«A Rome, écrivait-il, les troupes réglées, sous les empereurs, perdirent tout ce qu'avaient conquis les milices bourgeoises sous les consuls. Ces Grecs si fameux avaient-ils des troupes réglées? Les Suisses en ont-ils? Le jeune Scipion, Lucullus, Narsès, Torstenson, Alexandre, Annibal et tous les grands capitaines ont montré que ce n'est point la poussière des camps et l'expérience qui donnent le génie des batailles, et, pour remporter des victoires à dix-neuf ans, comme Pompée, il n'a manqué à notre cher et illustre général, M. de la Fayette, que d'avoir des armées à commander. Aujourd'hui que l'artillerie el les ingénieurs décident presque seuls des évènements d'une campagne, que l'esprit de conquête s'est perdu, que l'impraticable paix de l'abbé de Saint-Pierre commence à n'être plus le rêve d'un homme de bien, que la philosophie et l'esprit de liberté ne sauraient

manquer de franchir les Alpes, les Pyrénées et les mers; que je ne désespère pas de voir la cocarde au grandTurc, au roi de Prusse et à la Czarine, et que les étals généraux de l'Europe pourraient bien se tenir dans une cinquantaine d'années, pourquoi fouler le peuple, afin d'entretenir, à grands frais, tant d'oisifs? En attendant cette diète européenne, ayons d'excellentes écoles d'artillerie et de génie, une excellente marine; que chaque ville ait son champ de Mars; point de privilége exclusif de porter les armes. Soyons tous dans la paix quirites, dans la guerre milites. Qu'il n'y ait de troupes réglées et perpétuelles qu'une maréchaussée formidable aux brigands, étant elle-même une des divisions de la milice. bourgeoise, et en portant l'uniforme. Ayons surtout la liberté et une patrie, et ces armées... ne pourront tenir contre nos légions républicaines. »

Constatons d'abord que les armées permanentes et surtout le recrutement forcé de ces armées, loin d'être, en quelque sorte, de droit divin, dans les institutions humaines, n'ont été, au contraire, qu'une greffe tardive et ne peuvent pas, au moins, invoquer en leur faveur la complicité de l'histoire. L'antiquité dédaigna ces sortes d'armées; le moyen-âge, au milieu même de ces immenses élans qui le soulevaient par delà les monts et les mers, s'appuya sur d'autres

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