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que du Dieu des armées des anges.) Il y a un procédé trop commode et trop en honneur en certains temps, de se décharger de la responsabilité de ses crimes, c'est de les rejeter impudemment sur la Providence.

Evitons, par le même motif, d'insulter Dieu par des Te Deum en l'honneur des guerres de brigandage. Ce sont là d'affreux blasphèmes inconscients ou hypocrites.

Enfin, tant de statues et d'arcs de triomphe qui encombrent nos voies publiques parlent aussi aux yeux du peuple le langage le plus significatif. La plupart sont édifiés à la gloire de gens rien moins qu'aimables, ou sont, au moins, une sorte de défi fanfaron jeté perpétuellement à la face des visiteurs étrangers. Ces bravades réciproques produisent leurs fruits. Il faut changer le sens de ces monuments. Ceux-là mêmes qui sont élevés à la mémoire des héros morts pour la défense de la Patrie, ne doivent pas outrager leurs mânes, en servant de brandons de guerre. Qu'une noble et simple inscription fasse des symboles de notre orgueil autant de monuments expiatoires, sur lesquels chaque peuple, en s'accusant de ses propres folies et de ses crimes, gravera un généreux appel à la concorde et à la paix du monde (1).

(1) Je recommande, à ce propos, la lecture de La Colonne, par P. Brandat et Frédéric Passy.

Nous donnerons ainsi la meilleure des leçons et le plus noble des exemples. Quant à ceux qui, sous prétexte de rectification de frontières et d'équilibre, ou sous prétexte de civilisation, aspirent encore à opprimer le faible et à martyriser l'humanité..., apprenons-leur, du moins, à détester eux-mêmes leur propre crime. Je le sais, la Patrie a sur nos cœurs de si brûlants attraits, que les âmes éprises de son amour peuvent, parfois avec candeur, pousser l'enthousiasme jusqu'au plus délirant fanatisme et jusqu'à perdre la notion du bien et du mal. Plaignons. certaines âmes dévoyées, emportées au-delà du but par l'excès même de la noblesse de leurs sentiments; éclairons, dans la mesure du possible, quelques esprits aveuglés, quelques monomanes du sabre, quelques enfants perdus du patriotisme. Répétonsleur qu'on ne sert pas sa Patrie en la déshonorant; appelons sur eux la lumière, toujours la lumière; et, ici encore, ayons foi dans le grand jour que répand la saine liberté.

Comme moyens de rapprocher et d'unir les peuples, en facilitant leurs relations, on a parlé (à défaut de langage universel ou seulement de signes et de caractères écrits communs à tous les

idiomes) (1), de vulgariser l'enseignement des langues vivantes; on a demandé l'uniformité des poids et mesures, et notamment des monnaies (2), etc., etc... On a parlé de l'aplanissement de toutes les barrières qui s'opposent à la circulation des hommes, à la liberté du commerce et à la sociabilité. «<< Abaisser les barrières matérielles, c'est affaiblir les barrières morales. » (F. Passy.) Tout en reconnaissant que la grosse question du libre échange n'est pas de celles qu'on puisse trancher dictatorialement et ruineusement, à coups de décrets et de surprises, je suis enclin à dire aussi : « que les peuples n'aient désormais d'autre émulation que celle de produire le plus et le mieux pour le bonheur de l'humanité; » qu'ils

(1) Nous avons déjà les chiffres dits arabes, et nous savons qu'il existe des caractères ou symboles représentatifs uniformément les mêmes pour plusieurs idiomes orientaux. Un Code commercial de signaux à l'usage des bâtiments de toutes les nations est aussi adopté par les diverses puissances maritimes, depuis 1866.

(2) Au dernier moment, nous apprenons une nouvelle bien glorieuse pour la France et pour le monde, je veux parler de l'adoption du mètre par la commission internationale réunie à Paris. L'unité métrique devient aujourd'hui commune à plus de 400 millions d'hommes. Constatons ce grand pas vers une plus complète unité. C'est, on l'a remarqué, la première fois depuis l'existence du monde, que la majeure partie de l'espèce humaine se sera mise d'accord pour prendre une même résolution.

n'aient plus d'autre rivalité que celle du travail, et la fraternité sera fondée par l'enchevêtrement même des intérêts.

En recherchant les remèdes préventifs contre la guerre, on pourrait peut-être se rappeler que toute une moitié de l'espèce humaine est, je le crois, unanime dans son amour de la paix et sa haine de la guerre je veux parler de nos mères, de nos sœurs ou de nos filles. Il ne serait donc peut-être pas toutà-fait hors de propos de se demander quelle part de légitime influence la femme doit exercer sur les affaires humaines. Ce qu'il y a d'incontestable, c'est qu'elle pourrait faire pencher la balance en faveur du cœur et de l'idéal. Sans se prononcer pour l'égalité politique des deux sexes (1), on pourrait se poser la question du rôle éducateur de la femme. La question est à l'ordre du jour. Je renvoie aux grands maîtres qui l'ont approfondie.

(1) On a cependant fait remarquer certaine contradiction, au moins apparente, des nations qui estiment la femme digne d'être reine et indigne d'être citoyenne, qui jugent la même main assez forte pour un sceptre et trop faible pour un bulletin de vote, capable d'exercer peut-être la totalité de la souveraineté, incapable d'en exercer une fraction infinitésimale. (E. Pelletan.)

CHAPITRE IV (

DE L'ORGANISATION MILITAIRE

Des Armées permanentes et de ce qu'elles coûtent.

Quelqu'attristante que soit la situation faite à la France par la dernière guerre, il faut garder assez de sang-froid pour voir l'immensité du mal, au moins aussi clairement qu'avant ses récentes conséquences. Il faut le signaler, sans trève, avec plus d'énergie que jamais. Chaque nation doit stimuler le zèle de ses hommes d'Etat et leur imposer, pour souci constant, de travailler à supprimer la guerre dans son germe, en provoquant le désarmement de l'Europe. Il n'est pas de question internationale plus urgente, ou, plutôt, c'est la seule et véritable question. La France

(1) Si peu autorisée que soit ma voix, j'ai hésité à publier, à l'heure actuelle, le chapitre ci-dessous; mais je ne vois pas que la France paraisse exposée au danger de faire une imprudente et folle application d'idées que je persiste à croire souverainement dignes d'attention.

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