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vent rappeler aux êtres passifs ce vieux proverbe romain, aux termes duquel l'homme qui voit et laisse consommer un mal qu'il peut contribuer à empêcher, est coupable, par consentement, du méfait commis.

Eh quoi! nous nous indignons, à juste titre, quand nous apprenons qu'une seule personne a été assassinée ou tuée sans jugement, et nous resterions froids devant un crime cent mille ou deux cent mille fois plus immense, devant le massacre de deux peuples, par simple fantaisie princière! Sommesnous donc dénués, lorsque le forfait revêt un caractère public, du plus élémentaire rudiment de conscience et de bon sens ?...

Unissons-nous, au moment des élections, pour arriver à un résultat positif : qu'aucune guerre agressive ne puisse plus être entreprise sans l'agrément préalable, fort peu vraisemblable assurément, — du peuple même, dont on voudrait faire à la fois l'instrument et la victime du sacrifice. Réservonsnous, en mains propres, le droit de paix et de guerre, en le proclamant indélégable.

Faisons chacun tout notre possible; nous aurons, au moins, la conscience nette. Ecoutons la parole de

l'un des plus éminents créateurs de notre Société, le R. P. Gratry: «Sans rien prédire sur ce qui sera, j'affirme que le devoir et la gloire de tout homme serait de travailler jusqu'à son dernier souffle à établir la paix de Dieu au sein du monde entier. Qui osera me contredire?» «Que chacun sache qu'il aura à rendre compte du monde entier ! » disait aussi saint Jean Chrysostôme, cité par M. F. Passy.

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En d'autres termes : Homo sum et nihil humani a me alienum puto.

Fais ce que dois..... Suivant une pensée de notre secrétaire général, le laboureur qui répand les grains de la bonne semence, sans cependant être assuré de rien récolter, vu tous les risques qu'il court, est plus pratique mille fois que celui qui voudrait se borner à récolter les épis mûrs ou prétendrait ne faire crédit à la terre qu'avec la complète certitude de se payer lui-même de ses peines et de ses avances.

A l'œuvre donc et protégeons-nous bien vite, sans quoi le coup de tonnerre viendra demain nous surprendre encore dans notre béate et bête quiétude. N'imitons pas ce stupide mouton légendaire qui, après avoir vu nombre de ces compagnons successi

vement dévorés par le loup, se contente d'espérer que l'appétit de la bête féroce est peut-être satisfait; puis, sans plus de souci, replonge sa tête sous l'herbe et recommence à brouter.

Nous, qui formons le troupeau d'égorgement, n'avons qu'à nous réunir pour parler en maîtres, et, d'un mot, arrêter les criminels. Ayons un signe de ralliement, tel que, par exemple, cette croix de Genève qui a déjà fait reculer d'un pas la barbarie? Nul ne récuserait son pacifique présage In hoc signo vinces.

CHAPITRE Ier

La Guerre d'Agression.

Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez qu'on vous fit.

pas

<< Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait le droit de me tuer, parce qu'il demeure au-delà de l'eau, et que sor prince a querelle avec le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui? Pourquoi me tuez-vous ?

- ((

- ((

Eh quoi! ne demeurez-vous pas de l'autre

côté de l'eau ?

» Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais, puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave et cela est juste. »

(Pensées de PASCAL.)

Qu'est-ce que la guerre offensive, qu'est-ce que l'agression de peuple à peuple, qu'est-ce que la guerre de conquête ? Qu'est-ce que l'agression réciproque, autrement dit la guerre acceptée d'un commun accord, convenue le cœur léger, acclamée de primesaut par les gouvernements respectifs et despotique

ment imposée aux peuples comme un moyen plus noble que tout autre de vider une querelle internationale?

J'ai honte d'avoir le droit de poser publiquement cette question. Quoi? le dix-neuvième siècle serait encore réduit à l'écouter sérieusement, sans laisser échapper une immense huée, sans accabler l'interrogateur d'une dédaigneuse pitié, ou sans le séquestrer dans une maison d'aliénés, avec les fous nuisibles, s'il est privé de raison, -sans le garrotter sur-lechamp, si, au contraire, il jouit de ses facultés mentales, comme coupable d'apologie directe ou indirecte d'un fait qualifié crime, alors qu'il a pour but de soulever, ne fût-ce que des doutes, sur la criminalité du meurtre voulu et prémédité d'hommes innocents !....

Eh bien! oui, j'en rougis pour mon siècle; il laisse encore impunément formuler la question. Que dis-je? La question n'en est pas une pour l'immense majorité des hommes; et trop heureux le questionneur professant une morale différente de celle en usage dans les cours et cabinets ministériels, si, pour prix de son honnête point d'interrogation, il n'est pas poursuivi et emprisonné comme coupable, tout au moins, du délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement établi.

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