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dont le dernier contient de nombreuses questions sur cette autre partie de la Géométrie, que nous avons appelée l'Analyse géométrique des Anciens.

Pascal, dont le génie géométrique est proverbial, enrichit, dans sa trop courte carrière, toutes les parties des mathématiques. La pénétration avec laquelle il appliqua la méthode des indivisibles aux questions les plus difficiles, le fit toucher de près au calcul intégral. Il sut découvrir de nombreuses propriétés de la cycloïde, cette courbe merveilleuse qui occupait alors tous les esprits.

Sa supériorité ne fut pas moindre dans cette autre partie qu'on pourrait appeler la Géométrie d'Apollonius. La généralité de vues qu'il y apportait ne se trouvait encore que dans les conceptions analytiques de Viète et de Descartes, dont il n'eut pas besoin de se servir.

Malheureusement il ne nous reste que quelques indications bien restreintes sur cette partie de ses travaux.

Le plus important, celui qui du moins a eu le plus de retentissement, fut son Traité des Coniques, dans lequel il avait suivi une méthode nouvelle, d'une facilité et d'une fécondité alors inconnues, et telles, comme nous l'apprend le P. Mersenne, qu'un seul théorème se prêtait à quatre cents corollaires.

Cet ouvrage et ceux de Desargues, qui l'ont précédé de très-peu de temps, donnaient à l'Analyse géométrique des Anciens une marche plus rapide et plus hardie; ils marquent l'origine d'une partie de nos méthodes du XIXe siècle: je vais donc m'y arrêter quelques

instants.

Les Anciens avaient considéré les sections coniques dans le cône, ou dans le solide, suivant leur expression; c'est-à-dire qu'ils avaient connu ces courbes en coupant par un plan un cône à base circulaire. Des propriétés du cercle qui forme la base, ils avaient conclu une propriété des sections coniques; c'était une relation entre l'ordonnée et les segments que celle-ci fait sur l'axe de la courbe. De cette relation, que nous appelons, en Géométrie analytique, l'équation de la courbe, ils déduisaient, par la seule force du raisonnement, les propriétés des sections coniques, sans se servir davantage du cône dans lequel ils avaient d'abord considéré ces courbes.

Desargues, géomètre actif et pénétrant, qui cultivait toutes les parties des sciences et y apportait un esprit de généralisation rare, conçut l'idée d'appliquer aux coniques les propriétés mêmes du cercle qui servait de base au cône, et de simplifier par là la recherche et la démonstration de ces propriétés, souvent pénible dans l'ouvrage d'Apollonius. Il reconnut aussi que, par ce moyen, les démonstrations relatives à l'une des trois courbes s'appliquent d'elles-mêmes aux deux autres, malgré leurs différences de figures: idée profonde et heureuse; car les Anciens distinguaient essentiellement les trois courbes, et employaient des démonstrations différentes. Enfin il découvrit, entre autres, une belle et féconde propriété de ces courbes, celle qu'il appela Involution de six points, propriété qui a pris un grand développement dans certaines théories de la Géométrie moderne.

C'est la méthode de Desargues que Pascal a suivie dans plusieurs de ses recherches, notamment dans son Traité des Coniques. Il ne nous est parvenu, de ce célèbre Traité, qu'une notice très-succincte de Leibnitz, qui nous fait connaître les titres des six parties qui le composaient. Mais cet ouvrage avait été précédé d'un premier jet, sous le titre d'Essai pour les coniques, qui fait partie des deux volumes consacrés, dans l'édition de Bossut, aux recherches mathématiques de Pascal. C'est dans cet Essai que se trouve le fameux théorème sur l'hexagone inscrit, que Pascal appelait hexagramme mystique. Ce théorème exprime une propriété simple et fort belle de six points quelconques pris sur une conique. Cinq points suffisent pour déterminer la courbe: on conçoit dès lors que cette propriété, relative à un sixième point, servait à décrire la courbe et la définissait complétement; qu'elle devait donc avoir des conséquences innombrables comme l'équation dans le système de Descartes.

Dans cet opuscule, Pascal reconnaît ce qu'il doit à Desargues; il dit, au sujet du théorème de l'involution de six points: « Nous » démontrerons la propriété suivante, dont le premier inventeur est » M. Desargues, Lyonnais, un des grands esprits de ce temps, et » des plus versés aux mathématiques, et, entre autres, aux coni» ques; dont les Écrits sur cette matière, quoique en petit nombre, » en ont donné un ample témoignage à ceux qui auront voulu en » recevoir l'intelligence. Je veux bien avouer que je dois le peu que

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j'ai trouvé sur cette matière, à ses Écrits, et que j'ai tâché d'imiter,

» autant qu'il m'a été possible, sa méthode sur ce sujet.... La propriété merveilleuse dont est question est telle.... »

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Desargues ne se borna pas aux spéculations des mathématiques pures; il traita de leurs applications aux arts. Il écrivit sur la perspective, la gnomonique et la coupe des pierres; et, en apportant dans toutes ces parties la même supériorité de vues et les mèmes principes de généralisation, il les traita par des méthodes rigoureuses et mathématiques. C'était une innovation véritable; car une partie des règles ou des pratiques que l'on suivait dans ces arts, étaient sans base réelle et souvent fautives: aussi Desargues eut de nombreux détracteurs; la routine et l'ignorance disputèrent le terrain pied à pied, et il fut enjoint au célèbre graveur Bosse de cesser d'enseigner les pratiques de la perspective du sieur Desargues, dans ses leçons à l'Académie de peinture. Pour la coupe des pierres, Desargues offrit de défendre la bonté de ses méthodes contre les attaques de l'architecte Curabelle, par un pari de cent mille livres : le défi fut accepté pour cent pistoles; mais il n'eut pas de suite, parce qu'on ne put s'entendre sur le choix des juges du débat. « Desargues, nous apprend Curabelle, >> voulait s'en rapporter au dire d'excellents géomètres et autres personnes savantes et désintéressées, et, en tant qu'il serait de besoin, >> aussi des jurés-maçons de Paris. » « Ce qui fait voir évidemment, ajoute Curabelle, que ledit Desargues n'a aucune vérité à déduire qui soit soutenable, puisqu'il ne veut pas de vrais experts pour les matières en conteste; il ne demande que des gens de sa cabale,

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» comme de purs géomètres, lesquels n'ont jamais eu aucune expé>rience des règles des pratiques en question, et notamment de la >> coupe des pierres et l'architecture qui est la plus grande partie des œuvres de question, et partant ils ne peuvent parler des subjections » que les divers cas enseignent....

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J'ai cité ces détails que j'extrais d'une brochure rare et peu connue de Curabelle, parce que rien ne pourrait mieux faire apprécier quel était l'état des arts de construction il y a deux siècles; et qu'ils prouvent bien que ce fut Desargues qui eut le mérite d'introduire, notamment dans la coupe des pierres, les principes rigoureux de la Géométrie, à la place des pratiques empiriques qu'on y suivait alors.

Desargues, malgré divers passages des Lettres de Descartes et de Fermat, qui s'accordent à le montrer comme un géomètre d'un mérite rare, a été fort négligé par les biographes et les historiens des Mathématiques. M. Poncelet, en signalant, le premier, l'esprit généralisateur qui domine dans toutes ses recherches, et les services dont les méthodes de la Géométrie moderne et les arts de construction lui sont redevables, l'a appelé le Monge de son siècle. Nous partageons pleinement l'opinion de ce juge si compétent.

Je suis obligé de passer ici sous silence une foule de géomètres qui tiennent une place distinguée dans l'histoire de la science; car ce XVIIe siècle a été peut-être le plus fécond en mathématiciens, et, bien que l'Analyse de Viète et la Géométrie de Dercartes aient enlevé de nombreux disciples aux anciennes méthodes, ce siècle marque une époque des plus glorieuses pour cette partie même des Mathématiques.

Il me suffira de citer Kepler, Huygens et Newton, dont les travaux admirables ont élevé le plus bel édifice dont s'honore l'esprit humain. Kepler donna une extension considérable aux belles spéculations d'Archimède, en calculant les volumes d'un grand nombre de solides dont les sphéroïdes et les conoïdes du géomètre grec n'étaient que des cas particuliers. Sa méthode, fondée sur l'idée de l'infini, ouvrait un nouveau champ de recherches, et conduisit bientôt à celle des indivisibles.

Avec les seules ressources mathématiques dont se servait Ptolémée, et à force de méditations et de calculs longtemps infructueux, Kepler parvint à la connaissance des véritables lois du mouvement des corps célestes; découvertes sublimes qui inspirent pour le génie de l'auteur une admiration égale à l'étendue de leurs conséquences.

Huygens, quoiqu'il sût à fond la méthode de Descartes, resta fidèle à celle des Anciens, où son génie sut triompher des plus grandes difficultés, de celles même, parfois, que Leibnitz et Jacques Bernoulli avaient pu croire être réservées aux méthodes infinitésimales.

Aussi Newton, qui lui donnait le surnom de grand, ie proclamait « le plus excellent imitateur des Anciens, admirables, suivant lui, » par leur goût et la forme de leurs démontrations. » Le sentiment de Leibnitz, exprimé dans plusieurs passages de ses œuvres, n'est pas moins explicite. Qu'il nous suffise de citer ces simples paroles: « Huge>> nius nulli Mathematicorum nostri sæculi secundus.... >>

Nous ne rappellerons pas ici tous les résultats importants qu'on doit à la sagacité d'Huygens, une séance ne pourrait suffire; ils s'étendent sur toutes les parties des Mathématiques et sur les sciences naturelles qui en dépendent: la Physique, l'Astronomie, la Mécanique. Bornons-nous à rappeler que, dans le seul Traité de Horologio oscillatorio, composé par Huygens quand il résidait en France, se trouvent cette théorie des développées, l'une des plus belles découvertes de la Géométrie moderne, et les lois de la force centrifuge, deux choses dont la connaissance était nécessaire à Newton pour entreprendre son grand ouvrage des Principes mathématiques de la philosophie naturelle. C'est dans ce livre impérissable que Newton a posé le principe de la gravitation universelle, qui comprend, dans ses conséquences, les lois de Kepler et toute la phoronomie des corps célestes.

Toutefois, quelque éclat que cette grande découverte ait répandu, dans le monde, sur le nom de Newton, ce n'est pas cette découverte elle-même que les géomètres ont le plus admirée, et qui atteste le plus le génie mathématique de l'auteur. L'idée d'une attraction mutuelle des corps était alors dans tous les esprits; Kepler, Bacon, Fermat, Roberval, Hevelius, Hook, l'avaient émise et en avaient entrevu les conséquences. La loi relative aux distances était inconnue, il est vrai, et fut la première découverte de Newton; mais elle ne pouvait rester longtemps cachée. Aussi, ce qu'il y a de plus digne d'admiration dans Newton, et ce qui eût pu rester longtemps à faire dans d'autres mains, ce sont les développements mathématiques qu'il a su donner à ce principe, pour en tirer la connaissance des lois dynamiques et géométriques du mouvement des corps célestes; c'est d'avoir composé ce beau monument de son génie, par les méthodes et avec les seules ressources de la Géométrie des Anciens.

Ptolémée, avons-nous dit, avait fondé une cinématique des corps célestes sur le principe unique de mouvements circulaires et uniformes, mais sans faire acception des causes de ces mouvements ou des forces qui les produisent.

L'ouvrage de Newton était fondé aussi sur un principe unique, mais ce principe était vrai et fécond; il comprenait tout. Les conséquences qu'il s'agissait d'en tirer embrassaient et les mouvements des corps célestes, et les forces qui les animent.

Tome XII. JANVIER 1847.

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