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◄ Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus 1. »

Le savetier n'avait ni demandé ni même souhaité l'argent que lui donne le financier; il a plus qu'il ne désirait, et dès ce moment il perd toute sa joie. N'allons donc pas trop haut dans nos désirs; contentons-nous de la fortune médiocre que le sort nous a faite, et rêvons le reste. Croyons-en la Fontaine : la plus commode et la plus sûre manière de posséder les grands biens de la terre, est de les rêver.

Il n'est pas un des travers des hommes que la Fontaine ne mette en scène sous la figure des animaux, mais les travers qu'il aime surtout à railler, ce sont ceux des femmes; et il ne se donne même pas la peine. sur ce point, de prendre les animaux pour acteurs. Il censure, sous leur propre nom, les défauts des femmes, et on peut trouver dans ses fables je ne sais combien de portraits féminins, tous faits dans un esprit de raillerie. auxquels le peintre cependant a toujours donné quelque chose d'aimable et de gracieux, soit par penchant naturel, soit pour se faire pardonner ses moqueries. Voulez-vous une image vive et piquante de la fragilité des sentiments féminins, lisez la Jeune Veuve.

La perte d'un époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.

1 Liv. VIII, fable 2.

Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole;

Le Temps ramène les plaisirs.

Entre la veuve d'une année

Et la veuve d'une journée

La différence est grande: on ne croirait jamais
Que ce fut la même personne.

L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne;
C'est toujours même note et pareil entretien.
On dit qu'on est inconsolable;

On le dit; mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable
Ou plutôt par la vérité.

L'époux d'une jeune beauté

Partait pour l'autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. »
Le mari fait seul le voyage.

La belle avait un père, homme prudent et sage;
Il laissa le torrent couler.

A la fin, pour la consoler :

« Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes;
Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure

Une condition meilleure

Change en des noces ces transports;

Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune et tout autre chose Que le défunt. Ah! dit-elle aussitôt,

Un cloître est l'époux qu'il me faut. »>
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe;

L'autre mois on l'emploic à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure;

Le deuil enfin sert de parure

En attendant d'autres atours.

Toute la bande des amours

Revient au colombier; les jeux, les ris, la danse

Ont aussi leur tour à la fin;

On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence.

Le père ne craint plus ce défunt tant chéri;
Mais, comme il ne parlait de rien à notre belle:
« Où donc est le jeune mari

Que vous m'aviez promis? dit-elle1. »

La jeune veuve est pressée de faire un choix, et la Fontaine l'approuve à quoi bon retarder? « Si vous devez manger un jour, dit Arlequin à une veuve désolée, je vous conseille de le faire tout de suite. » Si vous devez vous remarier un jour, semble dire aussi la Fontaine, faites-le plus tôt que plus tard. Voyez ce qu'il en a coûté à une belle et jeune fille d'avoir trop attendu :

Certaine fille, un peu trop fière,
Prétendait trouver un mari

Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière,
Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.

Cette fille voulait aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir?

Le Destin se montra jaloux de la pourvoir:

Il vint des partis d'importance.

Liv. VI, fable 21.

La belle les trouva trop chétifs de moitié :

« Quoi moi! quoi ces gens-là! l'on radote, je pense;
A moi les proposer! Hélas! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espèce! »

L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là;
C'était ceci, c'était cela;

C'était tout, car les précieuses

Font dessus tout les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.

Elle de se moquer: « Ah! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne :
Grâce à Dieu, je passe les nuits

Sans chagrin, quoique en solitude. »
La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe, et deux, avec inquiétude;
Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour
Déloger quelques ris, quelques jeux, puis l'amour;
Puis ses traits choquer et déplaire,

Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron.
Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage!

Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait: Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi :
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru;
Se trouvant, à la fin, tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru1.

Liv. VII, fable 5,

Eh! dira-t-on, si les filles sont sages de ne pas trop attendre pour se marier, pourquoi les hommes souvent attendent-ils tant? Ou pourquoi, quand ils se sont pressés de se marier, comme avait fait la Fontaine, ont-ils l'air de s'en repentir pendant toute leur vie, comme la Fontaine encore? Est-ce par hasard qu'il y a moins de chances pour les hommes que pour les femmes d'être bien mariés? Je ne sais; mais la Fontaine ne néglige aucune occasion d'attaquer le mariage. La femme, fille ou veuve, a bien des travers; après tout, cependant, la Fontaine leur est volontiers indulgent. Mais pour la femme mariée, il est impitoyable. Le mariage a l'air d'aggraver à l'instant pour lui tous les défauts de la femme. Aussi ne lui parlez pas de se marier: d'abord, il est marié, et sur ce point il sait à quoi, s'en tenir. Mais, s'il ne l'était pas, tenez, voici son programme trouvez une femme qui le remplisse!

Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme;

Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J'ai vu beaucoup d'hymens; aucuns d'eux ne me tentent.
Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J'en vais alléguer un qui, s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti

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