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HP Thieme

1-17-41

2V. AVIS SUR CETTE ÉDITION.

Jusqu'ici, dans presque toutes les éditions de Corneille, on s'est borné à reproduire, souvent en l'abrégeant au hasard, le commentaire de Voltaire, et cependant l'auteur du Cid est sans contredit l'un de nos poëtes qui ont été le plus étudiés par les biographes et les critiques. On composerait une bibliothèque avec les écrits dont il a été le sujet, et de notre temps même il s'est formé autour de lui une nouvelle école de commentateurs qui, après avoir conquis pour la plupart un rang supérieur dans la littérature contemporaine, n'ont point cru déroger en se faisant les Scoliastes empressés de Polyeucte, de Cinna et des autres chefs-d'œuvre de Corneille. Nous avons pensé qu'il y aurait beaucoup de choses neuves et instructives à recueillir, tant pour la biographie que pour la critique littéraire dans les études qui ont été faites depuis Voltaire, et beaucoup de choses oubliées à reprendre dans le dix-septième siècle et la première moitié du dix-huitième. Encouragé par l'accueil fait à notre édition de Molière, nous avons pour Corneille suivi le même procédé. Nous avons cherché dans les livres, les recueils périodiques, les journaux, et, ce dépouillement exécuté d'une manière complète, voici ce que nous avons fait :

1o Nous avons d'abord établi un texte aussi correct que possible, d'après les meilleures éditions;

2o Nous avons reproduit toutes les corrections, toutes les variantes, en nous conformant pour quelques points douteux à l'excellent travail de M. Renouard;

30 Nous avons donné les dédicaces, les avertissements et les examens, parce que ces morceaux précieux font connaître tout à la fois le caractère de l'auteur, ses théories sur l'art, et qu'ils offrent le spectacle, unique dans l'histoire littéraire, d'un écrivain se critiquant et se louant lui-même avec la même impartialité que s'il s'agissait d'un autre;

4o Nous avons aussi donné les trois discours sur la tragédie qui sont la première et la plus remarquable théorie de l'art dramatique qui ait été publiée en France. Nous avons joint à ces discours le commentaire de Voltaire dans toute son intégrité, parce que ce commentaire est lui-même une théorie complète, et précieuse par le nom et par le talent de son auteur;

5o Nous avons fait précéder chaque pièce de notices dans les

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quelles sont reproduits, analysés ou discutés les jugements les plus remarquables; l'indication des sources où l'auteur a puisé, l'histoire des représentations et celle des polémiques auxquelles elles ont donné lieu. Nous nous sommes attaché surtout à retracer dans tous ses détails la querelle du Cid, que l'on peut regarder avec raison comme l'un des événements littéraires les plus importants du dix-septième siècle;

6o Pour rédiger la vie de Corneille qui se trouve en tète de ce volume, nous avons dépouillé tout ce qui s'est fait en France depuis deux siècles au sujet de notre poëte. Nous avons comparé les diverses biographies entre elles, nous avons mis à profit les nombreuses et intéressantes publications des sociétés savantes de la capitale de la Normandie, et, venu le dernier après tant de chercheurs infatigables, nous avons pu réunir des détails nombreux et authentiques qui, nous l'espérons, feront connaître le grand Corneille dans les particularités les plus intimes de sa vie;

7o Les notes placées dans le courant des pièces offrent le résumé substantiel des travaux et des opinions du père Brumoy, de Fontenelle, des deux Racine, de l'abbé Batteux, de Voltaire, de Palissot, de Ginguené, de La Harpe, de l'empereur Napoléon, de François de Neufchâteau, de Châteaubriand; nous avons également mis à profit les études biographiques ou critiques de MM. Taschereau, Sainte-Beuve, Nisard, Saint-Marc Girardin, Walras, Louis Passy, Jules Janin et Guizot. On a ainsi la substance de ce qui s'est fait de plus important depuis deux siècles sur Corneille et les productions de son génie.

En ce qui touche Thomas Corneille, nous n'avons pas cru devoir donner le Festin de Pierre, parce que ce n'est qu'une traduction en vers d'une pièce en prose de beaucoup supérieure ; que cette traduction est entièrement abandonnée aujourd'hui au théatre, et qu'elle ferait pour le lecteur double emploi avec le Don Juan de notre édition de Molière; nous nous sommes borné à choisir parmi les pièces originales, celles qui nous ont paru offrir, dans le genre comique et le genre tragique, le plus de mérite et d'intérêt.

Enfin, nous avons fait, parmi les poésies fugitives de Corneille, un choix sévère, et nous n'avons rien négligé pour rendre notre édition digne du grand écrivain dont elle reproduit les

œuvres.

PIERRE CORNEILLE.

Pierre Corneille, sieur de Damville, à qui la France, suivant l'heureuse expression de Voltaire, a donné le nom de Grand « non-seulement pour le distinguer de son frère, mais du reste des hommes, » naquit à Rouen, rue de la Pie, le 6 juin 1606 1. Sa mère, d'une famille honorablement connue dans la Normandie, se nommait Marthe le Pesant de Boisguilbert; son père était avocat du roi à la Table de Marbre de Normandie, et maître particulier des eaux et forêts en la vicomté de Rouen. Homme énergique et dévoué aux devoirs de sa charge, le père de l'auteur du Cid eut plusieurs fois occasion, au milieu des désordres de son temps, de signaler son zèle pour le bien public. Au mois de janvier 1612, des bandes armées et affamées parcouraient les campagnes; la forêt de Roumare était surtout le théâtre de leurs dévastations. L'avocat du roi résolut d'y mettre un terme. « Suivi seulement de quatre sergents, et assisté d'un substitut du procureur général, dit M. Floquet, qui le premier a fait connaître cette anecdote 2, Corneille père se rend à cheval au lieu où se commettaient les désordres. Sur le

1 Voir, pour la généalogie de Corneille, un très-exact travail de M. A. G. Ballin, Revue de Rouen, no du 10 mai 1833; - Lettre à M***, contenant la généalogie de Corneille, par Dreux du Radier, 1757, in-12; -sur Pierre Corneille, le père du poëte, Mémoire lu par M. Floquet, à l'académie de Rouen, le 20 janvier 1837, reproduit par M. Guizol: Corneille et son temps, p. 283 et suiv.; - sur la maison de Corneille, la description de M. Legendre, Revue de Rouen, 10 mai 1833, p. 238. Rapport sur le jour de la naissance de Pierre Corneille, et sur la maison où il est né, par M. Pierre-Alexis Corneille, 1829, in-8°. ' D'après un Registre secret du parlement de Rouen, 7 janvier 1612.

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chemin de Bapaume, une bande de quinze ou vingt pillards, munis de serpes et de haches, s'offre à eux. Aux interpellations de Corneille, ces hommes désespérés répondent hardiment « qu'ils vont à la forêt, et qu'ils meurent de faim et de froid. » Corneille, si peu accompagné, ne craint pas de faire arracher à quelques-uns d'entre eux leurs haches et leurs outils. Mais ce ne fut pas sans peine, et « on cuida veoir (dit le registre) une révolte contre luy et les siens. » A peu d'instants de là, un de ses quatre sergents est maltraité par l'avant-garde d'une autre bande de plus de trois cents pillards armés qui, descendus de la forêt de Roumare, chargés de bois, se tenaient en haie aux avenues, « et y avoit danger (disent les registres) qu'ils ne se jetassent sur maître Pierre Corneille et sur ceux qui l'accompagnoient. » Il se hâte de revenir à Rouen faire au parlement son rapport. Cette cour souveraine aperçoit toutes les conséquences de pareils désordres, « non pas seulement (disent les gens du roi) pour le dommage dans les forêts, mais à cause de la révolte qui se préparoit pour tous les cas où il arriveroit quelque nécessité; et, renseignée par Pierre Corneille, elle prend des mesures qui font, du moins pour un temps, cesser ces mouvements populaires 1. »

Le père du grand Corneille, on le voit par le fait que

Les bons services de Corneille, comme maître des eaux et forêts, lui méritèrent en 1637 des lettres de noblesse, dans lesquelles on lit cet honorable témoignage :

<< Et d'autant que, par le tesmoignage de nos plus speciaux serviteurs, nous sommes deuement informés que nostre amé et féal Pierre Corneille, issu de bonne et honorable race et famille, a toujours eu en bonne et singulière recommandation le bien de cest estat et le nostre en divers emplois qu'il a eus par nostre commandement et pour le bien de nostre service et du publiq, et particulièrement en l'exercice de l'office de maistre de nos eaues et forests, en la viconté de Rouen, durant plus de vingt ans, dont il s'est acquitté avec un ex. trême soing et fidélité, pour la conservation de nos dictes forests, et en plusieurs autres occasions, où il s'est porté avec tel zèle et affection que ses services rendus et ceux que nous espérons de luy, à l'advenir, nous donnent subject de recongnoistre sa vertu et mérites, et les décorer de ce degré d'honneur, pour marque et mémoire à sa postérité. >

Les lettres de 1637 furent renouvelées en 1669, par Louis XIV, en faveur de Pierre et de Thomas Corneille. Leurs armoiries étaient d'azur, à la fasce d'or,

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