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PHILISTE.

Vous trouvez en tous lieux d'assez bonnes fortunes.

DORANTE.

Celle-ci pour le moins n'est pas des plus communes.

PHILISTE

Elle vous semble belle, à ce compte?

DORANTE.

A ravir.

PHILISTE.

Je n'en suis point jaloux.

DORANTE.

M'y voulez-vous servir?

PHILISTE.

Je suis trop maladroit pour un si noble rôle.

DORANTE.

Vous n'avez seulement qu'à dire une parole.

Qu'une?

PHILISTE.

DORANTE.

Non. Cette nuit j'ai promis de la voir, Sur que vous obtiendrez mon congé pour ce soir. Le concierge est à vous.

PHILISTE.

C'est une affaire faite.

DORANTE.

Quoi! vous me refusez un mot que je souhaite?

PHILISTE.

L'ordre, tout au contraire, en est déjà donné ;
Et votre esprit trop prompt n'a pas bien deviné.
Comme je vous quittois avec peine à vous croire,
Quatre de mes amis m'ont conté votre histoire :
Ils marchoient après vous deux ou trois mille pas;
Ils vous ont vu courir, tomber le mort à bas,
L'autre vous démonter, et fuir en diligence:
Ils ont vu tout cela de sur une éminence,
Et n'ont connu personne, étant trop éloignés.
Voilà, quoi qu'il en soit, tous nos procès gagnés,
Et plutôt de beaucoup que je n'osois prétendre.
Je n'ai point perdu temps, et les ai fait entendre;
Si bien que, sans chercher d'autre éclaircissement,
Vos juges m'ont promis votre élargissement.

Mais, quoiqu'il soit constant qu'on vous prend pour un autre, Il faudra caution, et je serai la vôtre :

Ce sont formalités que pour vous dégager

Les juges, disent-ils, sont tenus d'exiger;

Mais sans doute ils en font ainsi que bon leur semble.
Tandis, ce soir chez moi nous souperons ensemble :
Dans un moment ou deux vous y pourrez venir;
Nous aurons tout loisir de nous entretenir;
Et vous prendrez le temps de voir votre lingère.
Ils m'ont dit toutefois qu'il seroit nécessaire
De coucher pour la forme une nuit en prison,
Et m'en ont sur le champ rendu quelque raison;
Mais c'est si peu mon jeu que de telles matières,
Que j'en perds aussitôt les plus belles lumières.
Vous sortirez demain, il n'est rien de plus vrai;
C'est tout ce que j'en aime, et tout ce que j'en sai.

DORANTE.

Que ne vous dois-je point pour de si bons offices!

PHILISTE.

Ami, ce ne sont là que de petits services;

Je voudrois pouvoir mieux, tout me seroit fort doux.
Je vais chercher du monde à souper avec vous.

Adieu je vous attends au plus tard dans une heure.

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Que j'en suis même encor dans le ravissement
Encor dans mon esprit je la vois, et l'admire,
Et je n'ai su depuis trouver le mot à dire.

DORANTE.

Je suis ravi de voir que mon élection
Ait enfin mérité ton approbation.

CLITON.

Ah! plût à Dieu, monsieur, que ce fût la servante!
Vous verriez comme quoi je la trouve charmante,
Et comme pour l'aimer je ferois le mutin.

DORANTE.

Admire en cet amour la force du destin.

CLITON.

J'admire bien plutôt votre adresse ordinaire
Qui change en un moment cette dame en lingère.

DORANTE.

C'étoit nécessité dans cette occasion,

De crainte que Philiste eût quelque vision,
S'en formât quelque idée, et la pût reconnoître.

CLITON.

Cette métamorphose est de vos coups de maître;
Je n'en parlerai plus, monsieur, que celte fois :
Mais en un demi-jour comptez déjà pour trois.
Un coupable honnête homme, un portrait, une dame,
A son premier métier rendent soudain votre âme;
Et vous savez mentir par générosité,

Par adresse d'amour, et par nécessité.
Quelle conversion!

DORANTE.

Tu fais bien le sévère

CLITON.

Non, non, à l'avenir je fais vœu de m'en faire;

J'aurois trop à compter.

DORANTE.

Conserver un secret,

Ce n'est pas tant mentir qu'être amoureux discret;
L'honneur d'une maîtresse aisément y dispose.

CLITON.

Ce n'est qu'autre prétexte, et non pas autre chose.
Croyez-moi, vous mourrez, monsieur, dans votre peau,
Et vous mériterez cet illustre tombeau,

Cette digne oraison que naguère j'ai faite :
Vous vous en souvenez, sans que je la répète.

DORANTE.

Pour de pareils sujets peut-on s'en garantir?
Et toi-même à ton tour ne crois-tu point mentir?
L'occasion convie, aide, engage, dispense;

Et pour servir un autre on ment sans qu'on y pense.

CLITON.

Si vous m'y surprenez, étrillez-y-moi bien.

DORANTE.

Allons trouver Philiste, et ne jurous de rien.

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MÉLISSE.

J'en tremble encor de peur, et n'en suis pas remise.

LYSE.

Aussi-bien comme vous je pensois être prise.

MÉLISSE.

Non, Philiste n'est fait que pour m'incommoder.
Voyez ce qu'en ces lieux il venoit demander,
S'il est heure si tard de faire une visite.

LYSE.

Un ami véritable à toute heure s'acquitte;
Mais un amant fâcheux, soit de jour, soit de nuit,
Toujours à contre-temps à nos yeux se produit,
Et depuis qu'une fois, il commence à déplaire,
Il ne manque jamais d'occasion contraire :
Tant son mauvais destin semble prendre de soins
A mêler sa présence où l'on la veut le moins!

MÉLISSE.

Quel désordre eût-ce été, Lyse, s'il m'eût connue !

LYSE.

Il vous auroit denne fort avant dans la vue.

MÉLISSE.

Quel bruit et quel éclat n'eût point fait son courroux !

LYSE.

Il eût été peut-être aussi honteux que vous.

Un homme un peu content et qui s'en fait accroire,
Se voyant méprisé, rabat bien de sa gloire,
Et surpris qu'il en est en telle occasion,
Toute sa vanité tourne en confusion.

Quand il a de l'esprit, il sait rendre le change;
Loin de s'en émouvoir en raillant il se venge,
Affecte des mépris, comme pour reprocher
Que la perte qu'il fait ne vaut pas s'en fâcher;
Tant qu'il peut, il témoigne une âme indifférente.
Quoi qu'il en soit enfin, vous avez vu Dorante,
Et fort adroitement je vous ai mise en jeu.

MÉLISSE.

Et fort adroitement tu m'as fait voir son feu.

LYSE.

Eh bien! mais que vous semble encor du personnage?
Vous en ai-je trop dit?

MÉLISSE.

J'en ai vu davantage.

LYSE.

Avez-vous du regret d'avoir trop hasardé?

MÉLISSE.

Je n'ai qu'un déplaisir, d'avoir si peu tardé.

LYSE.

Vous l'aimez?

MÉLISSE.

Je l'adore.

LYSE.

Et croyez qu'il vous aime?

MÉLISSE.

Qu'il m'aime, et d'une amour, comme la mienne, extrême.

LYSE.

Une première vue, un moment d'entretien,

Vous fait ainsi tout croire, et ne douter de rien !

MÉLISSE.

Quand les ordres du ciel nous ont faits l'un pour l'autre1,

'Corneille affectionnait beaucoup cette pensée sur les sympathies: non-senlement il l'a employée ici et dans Rodoyune, mais il avait déjà dit dans l'Illusion comique:

Souvent je ne sais quoi, que le ciel nous inspire,
Soulève tout le cœur contre ce qu'on désire,

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