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CLITON, seul.

Comme en sa propre fourbe un menteur s'embarrasse!
Peu sauroient comme lui s'en tirer avec grâce.
Vous autres qui doutiez s'il en pourroit sortir,
Par un si rare excmple apprenez à mentir1.

'Les deux vers qui terminent la pièce et que Voltaire regarde seulement comme une plaisanterie de valet un peu déplacée, semblent plutôt avoir éte mis là, selon l'usage du temps, comme une sorte d'épilogue dont le but était en quelque sorte de faire ressortir l'art avec lequel l'auteur avait su tirer parti de son sujet. Il était rare que le sens de ces vers d'épilogue ne fût pas tres-immoral, parce que les pièces l'étaient d'ordinaire beaucoup.

(Suard.)

FIN DU MENTEUR

EXAMEN DU MENTEUR.

Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée de l'espagnol. Le sujet m'en semble si spirituel et si bien tourné, que j'ai dit souvent que je voudrois avoir donné les deux plus belles que j'aie faites, et qu'il fût de mon invention. On l'a attribué au fameux Lope de Vega; mais il m'est tombé depuis peu entre les mains un volume de don Juan d'Alarcon, où il prétend que celte comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui l'ont fait courir sous le nom d'un autre. Si c'est son bien, je n'empêche pas qu'il ne s'en ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant qu'elle est très-ingénieuse; et je n'ai rien vu dans cette langue qui m'ait satisfait davantage. J'ai tàché de la réduire à notre usage et dans nos règles; mais il m'a fallu forcer mon aversion pour les à parte, dont je n'aurois pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits les plus courts que j'ai pu, et je me les suis permis rarement, sans laisser deux acteurs ensemble qui s'entretiennent tout bas cependant que d'autres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité d'action particulière ne rompt point l'unité de la principale; mais elle gêne un peu l'attention de l'auditeur, qui ne sait à laquelle s'attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu'il est accoutumé de donner à une. L'unité de lieu s'y trouve, en ce que tout s'y passe dans Paris; mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la Place-Royale. Celle de jour n'y est pas forcée, pourvu qu'on lui Jaisse les vingt-quatre heures entières. Quant à celle d'action, je ne sais s'il n'y a point quelque chose à dire, en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce, et épouse Lucrèce à la fin, qui par là ne répond pas à la protase. L'auteur espagnol lui donne ainsi le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette Lucrèce qu'il n'aime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là, il lui présente la main quand on lui a accordé l'autre, et dit hautement, lorsqu'on l'avertit de son erreur, que, s'il s'est trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi, le père dle Lucrèce le menace de le tuer s'il n'épouse sa fille après l'avoir demandée et obtenue; et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, j'ai trouvé cette manière de finir un peu dure, et cru qu'un mariage moins violenté seroit plus au goût

de notre auditoire. C'est ce qui m'a obligé à lui donner une pente vers la personne de Lucrèce au cinquième acte, afin qu'après qu'il a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédic se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.

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COMÉDIE.

1643.

NOTICE.

Adrien Baillet, dans ses Jugements des savants', nous apprend que « quoique cette pièce n'eût point eu beaucoup d'approbation d'abord, la troupe du Marais la remit quatre ou cinq ans sur le théâtre avec un succès plus heureux, mais aucune des troupes qui courent les provinces ne s'en est chargée. Le contraire, ajoute Baillet, est arrivé pour Théodore, que les troupes de Paris n'y ont point rétablie depuis sa disgrâce, mais que celles de province y ont fait assez passablement réussir. »

Voltaire, habituellement si sévère pour Corneille, semble, à propos de cette comédie, se relâcher de sa rigueur habituelle. Suivant lui, «l'intrigue de cette seconde pièce est beaucoup plus intéressante que celle de la première................... Les menteries de Dorante sont pour la plupart dictées par l'honneur et la galanterie, elles rendent le menteur infiniment aimable. » Il reproche de la froideur au caractère de Philiste, mais il ajoute comme correctif « qu'en donnant de l'âme à ce caractère, en mettant en œuvre la jalousie, en retranchant quelques mauvaises plaisanteries de Cliton, on ferait de la pièce un chef-d'œuvre. » Du reste, la marche de la pièce lui paraît parfaite. « La manière dont Mélisse envoie son portrait à Dorante; celle dont il le prend; ce portrait montré à un homme qui paraît fàché et surpris de le voir; y a-t-il rien de mieux ménagé et de plus agréable dans aucune pièce de théâtre? »

Ces remarques ont engagé Andrieux à retoucher la pièce de Corneille. Dans un premier travail il la réduisit en quatre actes, et la fit jouer en 1803, sur le théâtre de la rue de Louvois. En 1810 il la rétablit en cinq actes; mais quoiqu'il ait fait des changements heureux, le succès ne répondit point à ses efforts.

Tome V, page 351.

* OEuvres d'Andrieux, 1818, in-8°, t. I.

Armand Charlemagne, en 1805, fit jouer aussi, sous le titre de: le Descendant du Menteur, comédie en trois actes et en vers, une nouvelle suite à la seconde comédie de Corneille.

Malgré la préférence que Voltaire semble donner à la Suite du Menteur sur la première pièce, le public depuis longtemps a fixé son choix, et M. Guizot a, ce nous semble, très-justement caractérisé cette comédie, en disant qu'elle ne tient une grande place ni dans le progrès, ni dans la décadence de Corneille.

ÉPITRE.

MONSIEUR,

Je vous avois bien dit que le Menteur ne seroit pas le dernier emprunt ou larcin que je ferois chez les Espagnols en voici une suite qui est encore tirée du même original, et dont Lope a traité le sujet sous le titre de Amar sine saber ȧ quien. Elle n'a pas été si heureuse au théâtre que l'autre, quoique plus remplie de beaux sentiments et de beaux vers. Ce n'est pas que j'en veuille accuser ni le défaut des acteurs, ni le mauvais jugement du peuple; la faute en est toute à moi, qui devois mieux prendre mes mesures, et choisir des sujets plus répondants au goût de mon auditoire. Si j'étois de ceux qui tiennent que la poésie a pour but de profiter aussi-bien que de plaire, je tâcherois de vous persuader que celle-ci est beaucoup meilleure que l'autre, à cause que Dorante y paroît beaucoup plus honnête homme, et donne des exemples de vertu à suivre; au lieu qu'en l'autre il ne donne que des imperfections à éviter; mais pour moi, qui tiens, avec Aristote et Horace, que notre art n'a pour but que le divertissement, j'avoue qu'il est ici bien moins à estimer qu'en la première comédie, puisque, avec ses mauvaises habitudes, il a perdu presque toutes ses grâces, et qu'il semble avoir quitté la meilleure part de ses agréments lorsqu'il a voulu se corriger de ses défauts. Vous me direz que je suis bien injurieux au métier qui me fait connoître, d'en ravaler le but si bas que de le réduire à plaire au peuple, et que je suis bien hardi tout ensemble de prendre pour garants de mon opinion les deux maîtres dont ceux du parti contraire se fortifient. A cela, je vous dirai que ceux-là même qui mettent si haut le but de l'art sont injurieux à l'artisan, dont ils ravalent d'autant plus le mérite, qu'ils pensent relever la dignité de sa profession, parce que, s'il est obligé de prendre soin de l'utile, il évite seulement une

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