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Mais parlons du festin: Urgande et Mélusine
N'ont jamais sur-le-champ mieux fourni leur cuisine;
Vous allez au-delà de leurs enchantements :

Vous seriez un grand maître à faire des romans;
Ayant si bien en main le festin et la guerre,
Vos gens en moins de rien courroient toute la terre;
Et ce seroit pour vous des travaux fort légers
Que d'y mêler partout la pompe et les dangers.
Ces hautes fictions vous sont bien naturelles.

DORANTE.

J'aime à braver ainsi les conteurs de nouvelles;
Et sitôt que j'en vois quelqu'un s'imaginer
Que ce qu'il veut m'apprendre a de quoi m'étonner,
Je le sers aussitôt d'un conte imaginaire
Qui l'étonne lui-même, et le force à se taire.
Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors

De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps....

CLITON.

Je le juge assez grand; mais enfin ces pratiques
Vous couvriront de honte en devenant publiques 1.

DORANTE.

N'en prends point de souci. Mais tous ces vains discours
M'empêchent de chercher l'objet de mes amours;
Tâchons de le rejoindre, et sache qu'à me suivre
Je t'apprendrai bientôt d'autres façons de vivre.

I VAR.

Nous peuvent engager en de fàcheux intriques.

Ce mot intriques est depuis longtemps tombé en désuétude, et nous pensons même qu'il l'était au dix-septième siècle; c'est peut-être ce motif qui a engagé Corneille à le faire disparaître, après la première édition.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

GERONTE, CLARICE, ISABELLE.

CLARICE.

Je sais qu'il vaut beaucoup étant sorti de vous :
Mais, monsieur, sans le voir, accepter un époux,
Par quelque haut récit qu'on en soit conviée,
C'est grande avidité de se voir mariée :
D'ailleurs, en recevoir visite et compliment,
Et lui permettre accès en qualité d'amant,
A moins qu'à vos projets un plein effet réponde 1,
Ce seroit trop donner à discourir au monde.
Trouvez donc un moyen de me le faire voir,
Sans m'exposer au blâme et manquer au devoir.
GÉRONTE.

Oui, vous avez raison, belle et sage Clarice;
Ce que vous m'ordonnez est la même justice 2;
Et comme c'est à nous à subir votre loi,

Je reviens tout à l'heure, et Dorante avec moi.
Je le tiendrai long-temps dessous votre fenêtre,
Afin qu'avec loisir vous puissiez le connoître 3,
Examiner sa taille, et sa mine, et son air,

Et voir quel est l'époux que je vous veux donner.
Il vint hier de Poitiers; mais il sent peu l'école;
Et si l'on pouvoit croire un père à sa parole,
Quelque écolier qu'il soit, je dirois qu'aujourd'hui
Peu de nos gens de cour sont mieux taillés que lui.
Mais vous en jugerez après la voix publique.
Je cherche à l'arrêter, parce qu'il m'est unique,
Et je brûle surtout de le voir sous vos lois.

Ꭺ ᏙᎪᎡ. S'il faut qu'à vos projets 'a suite ne reponde.

Pour la justice même. Cette forme, d'usage au seizième siècle, cucore quelquefois dans le dix-septième.

se trouve

Cette manière de présenter un amant à sa maîtresse, qu'il doit épouser, pa raît un peu singulière dans nos mœurs; mais la pièce est espagnole ; et de plus, ce n'est point ici une entrevue le père ne veut que prévenir Clarice par la bonne mine de son fils. (Voltaire.)

CLARICE.

Vous m'honorez beaucoup d'un si glorieux choix.
Je l'attendrai, monsieur, avec impatience;
Et je l'aime déjà sur cette confiance.

SCÈNE II.

CLARICE, ISABELLE.

ISABELLE.

Ainsi vous le verrez, et sans vous engager

CLARICE

Mais pour le voir ainsi qu'en pourrai-je juger?
J'en verrai le dehors, la mine, l'apparence;
Mais du reste, Isabelle, où prendre l'assurance?
Le dedans paroît mal en ces miroirs flatteurs,
Les visages souvent sont de doux imposteurs.
Que de défauts d'esprit se couvrent de leurs grâces!
Et que de beaux semblants cachent des âmes basses!
Les yeux en ce grand choix ont la première part;
Mais leur déférer tout, c'est tout mettre au hasard :
Qui veut vivre en repos ne doit pas leur déplaire;
Mais, sans leur obéir, il les doit satisfaire,
En croire leur refus, et non pas leur aveu,
Et sur d'autres conseils laisser naître son feu.
Cette chaîne, qui dure autant que notre vie,
Et qui devroit donner plus de peur que d'envie,
Si l'on n'y prend bien garde, attache assez souvent
Le contraire au contraire, et le mort au vivant :

Et pour moi, puisqu'il faut qu'elle me donne un maître,
Avant que l'accepter je voudrois le connoître,
Mais connoître dans l'âme.

ISABELLE.

Eh bien! qu'il parle à vous.

CLARICE.

Alcippe le sachant en deviendroit jaloux.

ISABELLE.

Qu'importe qu'il le soit, si vous avez Dorante?

CLARICE.

Sa perte ne m'est pas encore indifférente;

Et l'accord de l'hymen entre nous concerté,
Si son père venoit, scroit exécuté.

Depuis plus de deux ans il promet et diffère;

I.

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Tantôt c'est maladie, et tantôt quelque affaire;
Le chemin est mal sûr, ou les jours sont trop courts;
Et le bonhomme enfin ne peut sortir de Tours.
Je prends tous ces délais pour une résistance,
Et ne suis pas d'humeur à mourir de constance.
Chaque moment d'attente ôte de notre prix,
Et fille qui vieillit tombe dans le mépris :

C'est un nom glorieux qui se garde avec honte;
Sa défaite est fâcheuse à moins que d'être prompte :
Le temps n'est pas un dieu qu'elle puisse braver,
Et son honneur se perd à le trop conserver.

ISABELLE.

Ainsi vous quitteriez Alcippe pour un autre,
De qui l'humeur auroit de quoi plaire à la vôtre 1?

CLARICE.

Oui, je le quitterois; mais pour ce changement
Il me faudroit en main avoir un autre amant,
Savoir qu'il me fût propre, et que son hyménée
Dût bientôt à la sienne unir ma destinée.
Mon humeur sans cela ne s'y résout pas bien,

Car Alcippe, après tout, vaut toujours mieux que rien;
Son père peut venir, quelque long-temps qu'il tarde.

ISABELLE.

Pour en venir à bout sans que rien s'y hasarde,
Lucrèce est votre amie, et peut beaucoup pour vous;
Elle n'a point d'amant qui devienne jaloux :
Qu'elle écrive à Dorante, et lui fasse paroître
Qu'elle veut cette nuit le voir par sa fenêtre.
Comme il est jeune encore, on l'y verra voler;
Et là, sous ce faux nom, vous pourrez lui parler,
Sans qu'Alcippe jamais en découvre l'adresse,
Ni que lui-même pense à d'autre qu'à Lucrèce.

CLARICE.

L'invention est belle; et Lucrèce aisément
Se résoudra pour moi d'écrire un compliment :
J'admire ton adresse à trouver cette ruse.

ISABELLE.

Puis-je vous dire encor que, si je ne m'abuse,
Tantôt cet inconnu ne vous déplaisoit pas ?

I VAR.

Dont vous verriez l'humeur rapportante à la vôtre.

CLARICE.

Ah, bon Dieu! si Dorante avoit autant d'appas,
Que d'Alcippe aisément il obtiendroit la place!

ISABELLE.

Ne parlez point d'Alcippe; il vient.

CLARICE.

Qu'il m'embarrasse!

Va pour moi chez Lucrèce, et lui dis mon projet,
Et tout ce qu'on peut dire en un pareil sujet.

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Ah, Clarice! ah, Clarice! inconstante! volage!

CLARICE, à part le premier vers.

Auroit-il deviné déjà ce mariage?

Alcippe, qu'avez-vous? qui vous fait soupirer?

ALCIPPE.

Ce que j'ai, déloyale! eh! peux-tu l'ignorer?
Parle à ta conscience, elle devroit t'apprendre....

CLARICE.

Parlez un peu plus bas, mon père va descendre.

ALCIPPE.

Ton père va descendre, âme double et sans foi!
Confesse que tu n'as un père que pour moi.
La nuit, sur la rivière....

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Tu ne meurs pas de honte entendant ces deux mots!

CLARICE.

Mourir pour les entendre! et qu'ont-ils de funeste?

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