Page images
PDF
EPUB

Donné en la grand'chambre du Parnasse, en faveur des maîtres ès arts, médecins et professeurs de l'Université de Stagyre', au pays des Chimères, pour le maintien de la doctrine d'Aristote.

Vu par la cour la requête présentée par les régents, maîtres ès arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maître en blanc Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collége du Lycée, et précepteur du feu roi, de querelleuse mémoire, Alexandre dit le Grand, acquéreur de l'Asie, Europe, Afrique et autres lieux; contenant que, depuis quelques années, une inconnue, nommée la Raison, aurait entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université; et pour cet effet, à l'aide de certains quidams factieux, prenant les surnoms de Gassendistes, Cartésiens, Malebranchistes et Pourchotistes, gens sans aveu, se serait mise en état d'en expulser ledit Aristote, ancien et paisible possesseur desdites écoles, contre lequel elle et ses consorts auraient déjà publié plusieurs livres, traités, dissertations et raisonnements diffamatoires; voulant assujettir ledit Aristote à subir devant elle l'examen de sa doctrine; ce qui serait directement opposé aux lois, us et coutumes de ladite Université, où ledit Aristote aurait toujours été reconnu pour juge sans appel et non comptable de ses opinions; que même, sans l'aveu d'icelui, elle aurait changé et innové plusieurs choses en et au dedans de la nature, ayant ôté au cœur la prérogative d'être le principe des nerfs, que ce philosophe lui avait accordée libéralement et de son bon gré, et laquelle elle aurait cédée et transportée au

1 Ville de Macédoine, sur la mer Égée, et patrie d'Aristote. (BOIL.)

2 L'Université avait présenté requête au parlement pour empêcher qu'on enseignât la philosophie de Descartes. La requête fut supprimée, et Bernier en fit imprimer une de sa façon. ( BOIL. )

et ensuite, par une procédure nulle de toute nullité, aurait attribué audit cœur la charge de recevoir le chyle, appartenant ci-devant au foie, comme aussi de faire voiturer le sang par tout le corps, avec plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et artères, n'ayant autre droit ni titre pour faire lesdites vexations, que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles. Aurait aussi attenté ladite Raison, par une entreprise inouïe, de déloger le feu de la plus haute région du ciel, et prétendu qu'il n'avait là aucun domicile, nonobstant les certificats dudit philosophe, et les visites et descentes faites par lui sur les lieux. Plus, par un attentat et voie de fait énorme contre la Faculté de médecine, se serait ingérée de guérir, et aurait réellement et de fait guéri quantité de fièvres intermittentes, comme tierces, double-tierces, quartes, triple-quartes, et même continues, avec vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues inconnues audit Aristote et à Hippocrate, son devancier, et ce sans saignée, purgation ni évacuation précédentes; ce qui est non-seulement irrégulier, mais tortionnaire et abusif; ladite Raison n'ayant jamais été admise ni agrégée au corps de ladite Faculté, et ne pouvant par conséquent consulter avec les docteurs d'icelle, ni être consultée par eux, comme elle ne l'a en effet jamais été. Nonobstant quoi, et malgré les plaintes et oppositions réitérées des sieurs Blondel, Courtois, Denyau' et autres défenseurs de la bonne doctrine, elle n'aurait pas laissé de se servir toujours desdites drogues, ayant eu la hardiesse de les employer sur les médecins même de ladite Faculté, dont plusieurs, au grand scandale des règles, ont été guéris par lesdits remèdes : ce qui est d'un exemple très-dangereux, et ne peut avoir été fait que par mauvaises voies, sortiléges et pactes avec le diable. Et, non contente de ce, aurait entrepris de diffamer et de bannir des écoles de philosophie les forma

1 Blondel a écrit que le bon effet du quinquina venait des pactes que les Américains avaient faits avec le diable. Courtois, médecin, aimait fort la saignée. Denyau, autre médecin, niait la circulation du sang. (BOIL.)

lités, matérialités, entités, identités, virtualités, eccéités, pétréités, polycarpéités et autres êtres imaginaires, tous enfants et ayants cause de défunt maître Jean Scot, leur père; ce qui porterait un préjudice notable, et causerait la totale subversion de la philosophie scolastique, dont elles font tout le mystère, et qui tire d'elles toute sa subsistance, s'il n'y était par la cour pourvu. Vu les libelles intitulés Physique de Rohault, Logique de Port-Royal, Traités du Quinquina, même l'ADVERSUS ARISTOTELEOS de Gassendi, et autres pièces attachées à ladite requête, signée CHICANEAU, procureur de ladite Université: Ouï le rapport du conseiller commis, tout considéré:

La Cour, ayant égard à ladite requête, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Aristote en la pleine et paisible possession et jouissance desdites écoles. Ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigné par les régents, docteurs, maîtres ès arts et professeurs de ladite Université, sans que pour ce ils soient obligés de le lire, ni de savoir sa langue et ses sentiments. Et sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers. Enjoint au cœur de continuer d'être le principe des nerfs, et à toutes personnes, de quelque condition et profession qu'elles soient, de le croire tel, nonobstant toute expérience à ce contraire. Ordonne pareillement au chyle d'aller droit au foie, sans plus passer par le cœur, et au foie de le recevoir. Fait défenses au sang d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. Défend à la Raison et à ses adhérents de plus s'ingérer à l'avenir de guérir les fièvres tierces, double-tierces, quartes, triple-quartes ni continues, par mauvais moyens et voies de sortiléges, comme vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues non approuvées ni connues des anciens. Et en cas de guérisons irrégulières par icelles drogues, permet aux médecins de ladite Faculté de rendre, suivant leur méthode ordinaire, la fièvre aux malades, avec casse, séné, sirops, juleps et autres remèdes propres à ce; et de remettre lesdits malades en tel et semblable état qu'ils étaient auparavant, pour être ensuite traités selon les règles; et, s'ils n'en échappent, conduits du moins en l'autre.

BOILEAU.

27

monde suffisamment purgés et évacués. Remet les entités, identités, virtualités, eccéités et autres pareilles formules scotistes, en leur bonne et fame renommée. A donné acte aux sieur Blondel, Courtois et Denyau de leur opposition au bon sens. A réintégré le feu dans la plus haute région du ciel, suivant et conformément aux descentes faites sur les lieux. Enjoint à tous régents, maîtres ès arts et professeurs d'enseigner comme ils ont accoutumé, et de se servir, pour raison de ce, de tels raisonnements qu'ils aviseront bon être, et aux répétiteurs hibernois et autres leurs suppôts de leur prêter mainforte, et de courir sus aux contrevenants, à peine d'être privés du droit de disputer sur les prolégomènes de la logique. Et afin qu'à l'avenir il n'y soit contrevenu, a banni à perpétuité la Raison des Écoles de ladite Université; lui fait défenses d'y entrer, troubler ni inquiéter ledit Aristote en la possession et jouissance d'icelles, à peine d'être déclarée janséniste et amie des nouveautés. Et à cet effet, sera le présent arrêt lu et publié aux Mathurins de Stagyre, à la première assemblée qui sera faite pour la procession du recteur, et affiché aux portes de tous les colléges du Parnasse et partout où besoin sera. Fait ee trente-huitième jour d'août onze mil six cent soixante et quinze.

COLLATIONNÉ AVEC PARAPHE.

DE M. ANTOINE ARNAULD,

DOCTEUR DE SORBONNE,

A M. P** (PERRAULT), AU SUJET DE LA DIXIÈME SATIRE.

(De Bruxelles, 5) mai 1694,

Vous pouvez être surpris, monsieur, de ce que j'ai tant différé à vous faire réponse, ayant à vous remercier de votre présent, et de la manière honnête dont vous me faites souvenir de l'affection que vous m'avez toujours témoignée, vous et messieurs vos frères', depuis que j'ai le bien de vous connaître. Je n'ai pu lire votre lettre sans m'y trouver obligé; mais, pour vous parler franchement, la lecture que je fis ensuite de la préface de votre apologie des femmes me jeta dans un grand embarras, et me fit trouver cette réponse plus difficile que je ne pensais. En voici la raison.

Tout le monde sait que M. Despréaux est de mes meilleurs amis, et qu'il m'a rendu des témoignages d'estime et d'amitié en toutes sortes de temps. Un de mes amis m'avait envoyé sa dernière satire. Je témoignai à cet ami la satisfaction que j'en avais eue, et lui marquai en particulier que ce que j'en estimais le plus, par rapport à la morale, c'était la manière si ingénieuse et si vive dont il avait représenté les mauvais effets que pouvaient produire dans les jeunes personnes les opéras et les romans. Mais comme je ne puis m'empêcher de parler à cœur ouvert à mes amis, je ne lui dissimulai pas que j'aurais souhaité qu'il n'y eût point parlé de l'auteur de Saint-Paulin. Cela a été écrit avant que j'eusse rien su de

Pierre, Nicolas et Claude Perrault.

2 C'était dans des vers supprimés depuis, et que nous rapportons à la note du vers 460, Satire X, page 143.

« PreviousContinue »