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A su très-finement tracer sur mon visage
De tout faux bel esprit l'ennemi redouté.

Mais, dans les vers pompeux qu'au bas de cet ouvrage Tu me fais prononcer avec tant de fierté,

D'un ami de la vérité

Qui peut reconnaître l'image?

XIV. Sur le buste de marbre qu'a fait de moi M. Girardon, premier sculpteur du roi'.

Grâce au Phidias de notre âge,

Me voilà sûr de vivre autant que l'univers;
Et ne connût-on plus ni mon nom ni mes vers,
Dans ce marbre fameux taillé sur mon visage,
De Girardon toujours on vantera l'ouvrage.

XV. Vers pour mettre au bas du portrait de Tavernier, le célèbre voyageur2.

De Paris à Delhi 3, du couchant à l'aurore,
Ce fameux voyageur courut plus d'une fois;
De l'Inde et de l'Hydaspe il fréquenta les rois,
Et sur les bords du Gange on le révère encore.
En tous lieux sa vertu fut son plus sûr appui;
Et, bien qu'en nos climats de retour aujourd'hui,
En foule à nos yeux il présente

Les plus rares trésors que le soleil enfante,
Il n'a rien rapporté de si rare que lui.

'François Girardon, sculpteur célèbre, né à Troyes en 1628, mort à Paris le 1 septembre 1715, le même jour que Louis XIV.

Né à Paris en 1605, il mourut à Moscou dans sa quatre-vingt-quatrième année. Il entreprenait alors, pour la septième fois, le voyage des Indes.

1 Delhi, ville et royaume des Indes... L'Inde et l'Hydaspe, fleuves du même pays. (BOIL.)

* Il était revenu des Indes avec près de trois millions en pierreries. (ID.)

BOILEAU.

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XVI. Vers pour mettre au bas d'un portrait de monseigneur le duc du Maine, alors encore enfant, et dont on avait imprimé un petit volume de lettres, au-devant desquelles ce prince était peint en Apollon, avec une couronne de lauriers sur la tête.

Quel est cet Apollon nouveau,
Qui presque au sortir du berceau
Vient régner sur notre Parnasse?
Qu'il est brillant! qu'il a de grâce!
Du plus grand des héros je reconnais le fils.
Il est déjà tout plein de l'esprit de son père;
Et le feu des yeux de sa mère

A passé jusqu'en ses écrits.

XVII. Vers pour mettre au bas du portrait de mademoiselle
de Lamoignon.

Aux sublimes vertus nourrie en sa famille,
Cette admirable et sainte fille

1

En tous lieux signala son humble piété;
Jusqu'aux climats où nalt et finit la clarté,
Fit ressentir l'effet de ses soins secourables;
Et jour et nuit pour Dieu pleine d'activité,
Consuma son repos, ses biens et sa santé,
A soulager les maux de tous les misérables.

XVIII. Vers pour mettre au bas du portrait de défunt M. Hamon, médecin de Port-Royal '.

Tout brillant de savoir, d'esprit et d'éloquence,
Il courut au désert chercher l'obscurité,

'Mademoiselle de Lamoignon, sœur de M. le premier président, faisait tenir de l'argent à beaucoup de missionnaires jusque dans les Indes orientales et occidentales. (BOIL.)

2 Jean Hamon, né à Cherbourg. Au moment où il pratiquait la médecine avec succès, à l'âge de trente-trois ans, il vendit sa bibliothèque,

Aux pauvres consacra ses biens et sa science,
Et trente ans dans le jeûne et dans l'austérité,

Fit son unique volupté

Des travaux de la pénitence.

XIX. Vers pour mettre sous le buste du roi, fait par M. Girardon, l'année que les Allemands prirent Belgrade.

C'est ce roi si fameux dans la paix, dans la guerre,
Qui seul fait à son gré le destin de la terre.
Tout reconnalt ses lois, ou brigue son appui.
De ses nombreux combats le Rhin frémit encore;
Et l'Europe en cent lieux a vu fuir devant lui
Tous ces héros si fiers, que l'on voit aujourd'hui
Faire fuir l'Ottoman au delà du Bosphore1.

XX. Vers pour mettre au bas du portrait de M. Racine.

Du théâtre français l'honneur et la merveille,
Il sut ressusciter Sophocle en ses écrits;
Et, dans l'art d'enchanter les cœurs et les esprits,
Surpasser Euripide, et balancer Corneille.

XXI. Autre manière.

Du théâtre français l'honneur et la merveille,
Il sut ressusciter Sophocle dans ses vers,
Et, sans se perdre dans les airs,
Voler aussi haut que Corneille.

distribua toute sa fortune aux pauvres, et se retira à Port-Royal des Champs, où il vécut trente-six ans dans la pénitence la plus austère. Il faisait souvent dix lieues à pied et à jeun, dans la campagne, pour visiter les malades. Il ne mangeait que du pain, afin de donner aux pauvres tout ce qu'il recevait pour sa nourriture, qu'il prenait seul dans sa chambre. Il mourut en 1687. Racine, qui l'avait connu et révéré, demanda et obtint d'être enterré à ses pieds. (A. M.)

'Les Allemands avaient pris Belgrade en 1688.

XXII. Vers pour mettre sous le portrait de M. de La Bruyère, au-devant de son livre des Caractères du temps 1.

Tout esprit orgueilleux qui s'aime
Par mes leçons se voit guéri;

Et dans mon livre si chéri
Apprend à se haïr soi-même.

XXIII. Épitaphe de M. Arnauld, docteur de Sorbonne.

Au pied de cet autel de structure grossière,
Git sans pompe,
enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit;

Arnauld, qui, sur la grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'Église, a, dans l'Église même,
Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein du feu qu'en son cœur souffla l'esprit divin,
Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin,

De tous les faux docteurs confondit la morale.
Mais, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'aurait jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
A ces loups dévorants n'avait caché les os.

'C'est lui qui parle. (BOIL.)

2 Arnauld fut enterré à Bruxelles, dans le chœur de la paroisse SainteCatherine. (Biographie universelle.) On permit que son cœur fût apporté à Port-Royal, comme il l'avait désiré. La cérémonie eut lieu sur la fin de cette même année (1694). Peu de personnes osèrent s'y montrer; des parents même s'en excusèrent. Racine, qui ne fut jamais courtisan aux dépens de ses principes ni de ses sentiments, acquitta, sans balancer, ce dernier devoir envers la cendre de son vertueux ami. (L. RACINE.) Il faut conclure de l'indignation avec laquelle s'exprime Boileau, que l'autorité exigea que la cérémonie se fit avec un grand mystère, pour qu'elle fût ignorée des adversaires d'Arnauld. (ST.-S.)

XXIV. A madame la présidente de Lamoignon, sur le portrait du père
Bourdaloue qu'elle m'avait envoyé.

Du plus grand orateur dont la chaire se vante
M'envoyer le portrait, illustre présidente,
C'est me faire un présent qui vaut mille présents.
J'ai connu Bourdaloue; et dès mes jeunes ans
Je fis de ses sermons mes plus chères délices.
Mais lui, de son côté lisant mes vains caprices,
Des censeurs de Trévoux n'eut point pour moi les yeux.
Ma franchise surtout gagna sa bienveillance.
Enfin après Arnauld, ce fut l'illustre en France
Que j'admirai le plus et qui m'aima le mieux.

XXV. Énigme.

Du repos des humains implacable ennemie,
J'ai rendu mille amants envieux de mon sort.
Je me repais de sang, et je trouve ma vie

Dans les bras de celui qui recherche ma mort1.

XXVI. Quatrain sur un portrait de Rossinante, cheval de don Quichotte.

Tel fut ce roi des bons chevaux,

Rossinante, la fleur des coursiers d'Ibérie,

Qui, trottant nuit et jour et par mónts et par vaux,
Galopa, dit l'histoire, une fois en sa vie.

XXVII. Fragment de la relation d'un voyage à Saint-Prix.

J'ai beau m'en aller à Saint-Prit:

Ce saint, qui de tous maux guérit,

Ne saurait me guérir de mon amour extréme.
Philis, il le faut avouer,

Si vous ne prenez soin de me guérir vous-même,
Je ne sais plus du tout à quel saint me vouer'

'Une puce.

'Boileau se moquait lui-même de cette petite pièce; il en disait, au

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