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I

DISCOURS SUR L'ODE.

L'ode suivante a été composée à l'occasion de ces étranges dialogues qui ont paru depuis quelque temps, où tous les plus grands écrivains de l'antiquité sont traités d'esprits médiocres, de gens à être mis en parallèle avec les Chapelains et avec les Cotins, et où, voulant faire honneur à notre siècle, on l'a en quelque sorte diffamé, en faisant voir qu'il s'y trouve des hommes capables d'écrire des choses si peu sensées. Pindare est des plus maltraités. Comme les beautés de ce poëte sont extrêmement renfermées dans sa langue, l'auteur de ces dialogues, qui vraisemblablement ne sait point de grec, et qui n'a lu Pindare que dans des traductions latines assez défectueuses, a pris pour galimatias tout ce que la faiblesse de ses lumières ne lui permettait pas de comprendre. Il a surtout traité de ridicules ces endroits merveilleux où le poëte, pour marquer un esprit entièrement hors de soi, rompt quelquefois de dessein formé la suite de son discours; et, afin de mieux entrer dans la raison, sort, s'il faut ainsi parler, de la raison même, évitant avec grand soin cet ordre méthodique et ces exactes liaisons de sens qui ôteraient l'âme à la poésie lyrique. Le censeur dont je parle n'a pas pris garde qu'en attaquant ces nobles hardiesses de Pindare, il donnait lieu de croire qu'il n'a jamais conçu le sublime des psaumes de David, où, s'il est permis de parler de ces saints cantiques à propos de choses si profanes, il y a beaucoup de ces sens rompus, qui servent même quelquefois à en faire sentir la divinité. Ce critique, selon

Parallèle des anciens et des modernes, en forme de dialógue. (BOIL.) - Ouvrage de Perrault, en quatre volumes, dont trois seulement avaient paru quand Boileau composa son ode. Le quatrième ne fut publié que trois ans après, en 1696.

toutes les apparences, n'est pas fort convaincu du précepte que j'ai avancé dans mon Art poétique, à propos de l'ode:

Son style impétueux souvent marche au hasard :

Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.

Ce précepte effectivement, qui donne pour règle de ne point garder quelquefois de règles, est un mystère de l'art, qu'il n'est pas aisé de faire entendre à un homme sans aucun goût, qui croit que la Clélie et nos opéras sont les modèles du genre sublime; qui trouve Térence fade, Virgile froid, Homère de mauvais sens, et qu'une espèce de bizarrerie d'esprit rend insensible à tout ce qui frappe ordinairement les hommes. Mais ce n'est pas ici le lieu de lui montrer ses erreurs. On le fera peut-être plus à propos un de ces jours dans quelque autre ouvrage'.

Pour revenir à Pindare, il ne serait pas difficile d'en faire sentir les beautés à des gens qui se seraient un peu familiarisé legrec; mais, comme cette langue est aujourd'hui assez ignorée de la plupart des hommes, et qu'il n'est pas possible de leur faire voir Pindare dans Pindare même, j'ai cru que je ne pouvais mieux justifier ce grand poëte qu'en tâchant de faire une ode en français à sa manière, c'est-à-dire pleine de mouvements et de transports, où l'esprit parût plutôt entraîné du démon de la poésie, que guidé par la raison. C'est le but que je me suis proposé dans l'ode qu'on va voir. J'ai pris pour sujet la prise de Namur, comme la plus grande action de guerre qui se soit faite de nos jours, et comme la matière la plus propre à échauffer l'imagination d'un poëte. J'y ai jeté, autant que j'ai pu, la magnificence des mots; et, à l'exemple des anciens poëtes dithyrambiques, j'y ai employé les figures les plus audacieuses, jusqu'à y faire un astre de la plume blanche que le roi porte ordinairement à son chapeau, et qui est en effet comme une espèce de comète fatale à nos ennemis, qui se jugent perdus dès qu'ils l'aperçoivent. Voilà le dessein de cet ouvrage. Je ne réponds pas d'y avoir réussi; et je ne

Dans les Réflexions critiques sur Longin.

sais si le public, accoutumé aux sages emportements de Malherbe, s'accommodera de ces saillies et de ces excès pindariques. Mais, supposé que j'y aie échoué, je m'en consolerai du moins par le commencement de cette fameuse ode latine d'Horace, Pindarum quisquis studet æmulari1, etc., où Horace donne assez à entendre que, s'il eût voulu lui-même s'élever à la hauteur de Pindare, il se serait cru en grand hasard de tomber.

Au reste, comme parmi les épigrammes qui sont imprimées à la suite de cette ode, on trouvera encore une autre petite ode de ma façon, que je n'avais point jusqu'ici insérée dans mes écrits, je suis bien aise, pour ne me point brouiller avec les Anglais d'aujourd'hui, de faire ici ressouvenir le lecteur que les Anglais que j'attaque dans ce petit poëme, qui est un ouvrage de ma première jeunesse, ce sont les Anglais du temps de Cromwell.

J'ai joint aussi à ces épigrammes un arrêt burlesque 3 donné au Parnasse, que j'ai composé autrefois, afin de prévenir un arrêt très sérieux que l'université songeait à obtenir du parlement contre ceux qui enseigneraient dans les écoles de philosophie d'autres principes que ceux d'Aristote. La plaisanterie y descend un peu bas, et est toute dans les termes de la pratique; mais il fallait qu'elle fût ainsi pour faire son effet, qui fut très-heureux, et obligea, pour ainsi dire, l'université à supprimer la requête qu'elle allait présenter.

Ridiculum acri

Fortius ac melius magnas plerumque secat res'.

'Liv. IV, od. 11.

'Nous l'avons placée immédiatement après celle sur la prise de Namur.

3 Cet arrêt burlesque est, dans ce volume, à la suite des Poésies di

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ODE SUR LA PRISE DE NAMUR'.

1693.

Quelle docte et sainte ivresse
Aujourd'hui me fait la loi?
Chastes nymphes du Permesse,
N'est-ce pas vous que je voi?
Accourez, troupe savante;
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.
Marquez-en bien la cadence;
Et vous, vents, faites silence:
Je vais parler de Louis.

Dans ses chansons immortelles,
Comme un aigle audacieux,

Pindare, étendant ses ailes,

Louis XIV commença le siége de Namur le 26 mai 1692; la ville fut prise le 5 juin, et le château se rendit le 30. (BR.) Cette ode fut composée un an après la prise de la ville.

2 Cette strophe était précédée de celle-ci, dans laquelle Fontenelle est attaqué. Fontenelle se vengea par une épigramme très-connue :

Quand Despréaux fut sifflé sur son ode...

Voici la strophe de Boileau; on la trouve écrite de la main de Rollin dans un exemplaire qui est à la Bibliothèque nationale :

Un torrent dans les prairies
Roule à flots précipités;
Malherbe dans ses furies
Marche à pas trop concertés.
J'aime mieux, nouvel Icare,
Dans les airs suivant Pindare,
Tomber du ciel le plus haut,
Que, loué de Fontenelle,
Raser, timide hirondelle,
La terre comme Perrault.

1

Fuit loin des vulgaires yeux'.
Mais, o ma fidèle lyre!

Si, dans l'ardeur qui m'inspire,
Tu peux suivre mes transports,
Les chênes des monts de Thrace"
N'ont rien our que n'efface
La douceur de tes accords.

Est-ce Apollon et Neptune
Qui, sur ces rocs sourcilleux,
Ont, compagnons de fortune,
Bâti ces murs orgueilleux ?
De leur enceinte fameuse
La Sambre, unie à la Meuse,
Défend le fatal abord;

Et, par cent bouches horribles,
L'airain sur ces monts terribles
Vomit le fer et la mort.

Dix mille vaillants Alcides
Les bordant de toutes parts,
D'éclairs au loin homicides
Font petiller leurs remparts;
Et, dans son sein infidèle
Partout la terre y recèle

A la marge de ces vers, dans l'exemplaire de cette ode déposé à la Bibliothèque Nationale on lit encore ces vers écrits de la main de Rollin :

En prodiges l'eau féconde
Dans Versailles vole aux cieux,

La perle est fille de l'onde,
L'or est le charme des yeux,
Mais, ô ma fidèle lyre, etc.

2 Hémus, Rhodope et Pangée. (BOIL.)

* Ils s'étaient loués à Laomedon pour rebâtir les murs de Troie. (BOIL.)

BOILEAU.

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