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Auteurs, pour les chanter, redoublez vos transports : Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.

Pour moi, qui, jusqu'ici nourri dans la satire,
N'ose encor manier la trompette et la lyre,

Vous me verrez pourtant, dans ce champ glorieux,
Vous animer du moins de la voix et des yeux;
Vous offrir ces leçons que ma muse au Parnasse
Rapporta, jeune encor, du commerce d'Horace;
Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits,
Et vous montrer de loin la couronne et le prix.
Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zèle,
De tous vos pas fameux observateur fidèle,
Quelquefois du bon or je sépare le faux,

Et des auteurs grossiers j'attaque les défauts;
Censeur un peu fâcheux, mais souvent nécessaire,
Plus enclin à blâmer que savant à bien faire.

BOILEAU.

20

POËME HÉROÏ-COMIQUE.

AU LECTEUR.

Je ne ferai point ici comme Arioste', qui quelquefois sur le point de débiter la fable du monde la plus absurde, la garantit vraie d'une vérité reconnue, et l'appuie même de l'autorité de l'archevêque Turpin 2. Pour moi, je déclare franchement que tout le poëme du Lutrin n'est qu'une pure fiction, et que tout y est inventé, jusqu'au nom même du lieu où l'action se passe. Je l'ai appelé Pourges 3, du nom d'une petite chapelle qui était autrefois proche de Montlhéry. C'est pourquoi le lecteur ne doit pas s'étonner que, pour y arriver de Bourgogne, la Nuit prenne le chemin de Paris et de Montlhéry.

C'est une assez bizarre occasion qui a donné lieu à ce poëme. Il n'y a pas longtemps que, dans une assemblée où j'étais, la conversation tomba sur le poëme héroïque. Chacun en parla suivant ses lumières. A l'égard de moi, comme on m'en eut demandé mon avis, je soutins ce que j'ai avancé dans ma poétique, qu'un poëme héroïque, pour être excellent, devait être chargé de peu de matière, et que c'était à l'invention à la soutenir et à l'étendre. La chose fut fort contestée. On s'échauffa beaucoup; mais, après bien des raisons alléguées

'On dirait aujourd'hui l'Arioste.

2

Turpin, Tulpin, ou Tilpin, moine de Saint-Denis, puis, suivant la Chronique, archevêque de Rheims, mourut sur la fin du huitième siècle. Le roman qui porte son nom paraît n'avoir été composé que sur la fin du onzième. (A.-M.)

Ne voulant pas nommer la Sainte-Chapelle de Paris, le poëte avait d'abord parlé de celle de Bourges, qu'il déguisa ensuite sous le nom de Pourges.

pour et contre, il arriva ce qui arrive ordinairement en toutes ces sortes de disputes : je veux dire qu'on ne se persuada point l'un l'autre, et que chacun demeura ferme dans son opinion. La chaleur de la dispute étant passée, on parla d'autre chose, et on se mit à rire de la manière dont on s'était échauffé sur une question aussi peu importante que cellelà. On moralisa fort sur la folie des hommes qui passent presque toute leur vie à faire sérieusement de très-grandes bagatelles, et qui se font souvent une affaire considérable d'une chose indifférente. A propos de cela, un provincial raconta un démêlé fameux, qui était arrivé autrefois dans une petite église de sa province, entre le trésorier et le chantre, qui sont les deux premières dignités de cette église, pour savoir si un lutrin serait placé à un endroit ou à un autre. La chose fut trouvée plaisante. Sur cela un des savants de l'assemblée, qui ne pouvait pas oublier sitôt la dispute, me demanda si moi, qui voulais si peu de matière pour un poëme héroïque, j'entreprendrais d'en faire un sur un démêlé aussi peu chargé d'incidents que celui de cette église. J'eus plus tôt dit, Pourquoi non? que je n'eus fait réflexion sur ce qu'il me demandait. Cela fit faire un éclat de rire à la compagnie, et je ne pus m'empêcher de rire comme les autres, ne pensant pas en effet moi-même que je dusse jamais me mettre en état de tenir parole. Néanmoins, le soir, me trouvant de loisir, je rêvai à la chose, et ayant imaginé en général la plaisanterie que le lecteur va voir, j'en fis vingt vers que je montrai à mes amis. Ce commencement les réjouit assez. Le plaisir que je vis qu'ils y prenaient m'en fit faire encore vingt autres : ainsi de vingt vers en vingt vers, j'ai poussé enfin l'ouvrage à près de neuf cents'. Voilà toute l'histoire de la bagatelle que je donne au public. J'aurais bien voulu la lui donner achevée; mais des raisons très-secrètes, et dont le lecteur trouvera bon que je ne l'instruise pas, m'en ont empêché. Je ne me serais pourtant pas pressé de le donner imparfait, comme il est,

'Boileau n'avait encore fait que les quatre premiers chants. Aujourd'hui son poëme a plus de douze cents vers.

n'eût été les misérables fragments qui en ont couru'. C'est un burlesque nouveau dont je me suis avisé en notre langue : car, au lieu que dans l'autre burlesque, Didon et Énée parlaient comme des harengères et des crocheteurs, dans celui-ci une horlogère et un horloger' parlent comme Didon et Énée. Je ne sais donc si mon poëme aura les qualités propres à satisfaire un lecteur; mais j'ose me flatter qu'il aura au moins l'agrément de la nouveauté, puisque je ne pense pas qu'il y ait d'ouvrage de cette nature en notre langue; la Défaite des bouts-rimés de Sarasin étant plutôt une pure allégorie qu'un poëme comme celui-ci.

AVIS AU LECTEUR.

1701.

Il serait inutile maintenant de nier que le poëme suivant a été composé à l'occasion d'un différend assez léger, qui s'émut dans une des plus célèbres églises de Paris, entre le trésorier et le chantre; mais c'est tout ce qu'il y a de vrai. Le reste, depuis le commencement jusqu'à la fin, est une pure fiction; et tous les personnages y sont non-seulement inventés, mais j'ai eu soin même de les faire d'un caractère directement opposé au caractère de ceux qui desservent cette église, dont la plupart, et principalement les chanoines, sont tous gens, non-seulement d'une fort grande probité, mais de beaucoup d'esprit, et entre lesquels il y en a tel à qui je demanderais aussi volontiers son sentiment sur mes ouvrages qu'à beaucoup de messieurs de l'Académie. Il ne faut donc pas s'étonner si personne n'a été offensé de l'impression de ce

Ces fragments avaient été imprimés en 1673, à la suite de la Reponse au Pain bénit du sieur de Marigny.

L'auteur leur substitua dans la suite un perruquier et une perruquière

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