Page images
PDF
EPUB

Pouvoir encore aux yeux du fidèle éclairé
Cacher l'amour de Dieu dans l'école égaré.

Apprenez que la gloire où le ciel nous appelle
Un jour des vrais enfants doit couronner le zèle,
Et non les froids remords d'un esclave craintif,
Où crut voir Abély quelque amour négatif '.

Mais quoi! j'entends déja plus d'un fier scolastique
Qui, me voyant ici, sur ce ton dogmatique,
En vers audacieux traiter ces points sacrés,
Curieux, me demande où j'ai pris mes degrés;
Et si, pour m'éclairer sur ces sombres matières,
Deux cents auteurs extraits m'ont prêté leurs lumières.
Non. Mais pour décider que l'homme, qu'un chrétien
Est obligé d'aimer l'unique auteur du bien,

Le Dieu qui le nourrit, le Dieu qui le fit naître,
Qui nous vint par sa mort donner un second être,
Faut-il avoir reçu le bonnet doctoral,

Avoir extrait Gamache, Isambert et Du Val'?

Dieu, dans son livre saint, sans chercher d'autre ouvrage,
Ne l'a-t-il pas écrit lui-même à chaque page?
De vains docteurs encore, & prodige honteux!
Oseront nous en faire un problème douteux!
Viendront traiter d'erreur digne de l'anathème
L'indispensable loi d'aimer Dieu pour lui-même,
Et, par un dogme faux dans nos jours enfanté,
Des devoirs du chrétien rayer la charité!

Si j'allais consulter chez eux le moins sévère,
Et lui disais : Un fils doit-il aimer son père?
Ah! peut-on en douter? dirait-il brusquement.
Et quand je leur demande en ce même moment :

Abely, auteur de la Mouelle théologique, qui soutient la fausse attrition par les raisons réfutées dans cette épître. (BOIL. )

'Trois théologiens du dix-septième siècle, commentateurs de la Somme de saint Thomas d'Aquin. (BR.)

L'homme, ouvrage d'un Dieu seul bon et seul aimable,
Doit-il aimer ce Dieu, son père véritable?

Le plus rigide auteur n'ose le décider ',
Et craint, en l'affirmant, de se trop hasarder!

Je ne m'en puis défendre; il faut que je t'écrive
La figure bizarre, et pourtant assez vive,
Que je sus l'autre jour employer dans son lieu,
Et qui déconcerta ces ennemis de Dieu.

2

Au sujet d'un écrit qu'on nous venait de lire,
Un d'entre eux m'insulta sur ce que j'osai dire
Qu'il faut, pour être absous d'un crime confessé,
Avoir pour Dieu du moins un amour commencé.
Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme.

O ciel! me voilà donc dans l'erreur, dans le schisme,
Et partant réprouvé! Mais, poursuivis-je alors,
Quand Dieu viendra juger les vivants et les morts,
Et des humbles agneaux, objet de sa tendresse,
Séparera des boucs la troupe pécheresse,
A tous il nous dira, sévère ou gracieux,
Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux.
Selon vous donc, à moi réprouvé, bouc infàme,
« Va brûler, dira-t-il, en l'éternelle flamme,
Malheureux qui soutiens que l'homme dut m'aimer,
Et qui, sur ce sujet trop prompt à déclamer,
Prétendis qu'il fallait, pour fléchir ma justice,
Que le pécheur, touché de l'horreur de son vice,
De quelque ardeur pour moi sentit les mouvements,
Et gardât le premier de mes commandements! »

'Burluguay, docteur de Sorbonne, auteur du Bréviaire de Sens, interrogé par Boileau si l'on était obligé d'aimer Dieu, n'osa répondre. (BR.) Brossette confond peut-être avec quelque autre le docte Burluguay, qui faisait profession de la morale la plus austère. (ST.-M.)

2 Le P. Cheminais, jésuite. (B.-ST.-PR. )

Dieu, si je vous en crois, me tiendrà ce langage: Mais à vous, tendre agneau, son plus cher héritage, Orthodoxe ennemi d'un dogme si blâmé,

Venez, vous dira-t-il, venez, mon bien-aimé :
Vous qui, dans les détours de vos raisons subtiles,
Embarrassant les mots d'un des plus saints conciles',
Avez délivré l'homme, & l'utile docteur!

De l'importun fardeau d'aimer son Créateur;
Entrez au ciel : venez, comblé de mes louanges,
Du besoin d'aimer Dieu désabuser les anges.

A de tels mots, si Dieu pouvait les prononcer,
Pour moi je répondrais, je crois, sans l'offenser: [che,
Oh! que pour vous mon cœur moins dur et moins farou-
Seigneur, n'a-t-il, hélas! parlé comme ma bouche!
Ce serait ma réponse à ce Dieu fulminant.

Mais vous, de ses douceurs objet fort surprenant,
Je ne sais pas comment, ferme en votre doctrine,
Des ironiques mots de sa bouche divine

Vous pourriez, sans rougeur et sans confusion,
Soutenir l'amertume et la dérision.

L'audace du docteur, par ce discours frappée,
Demeura sans réplique à ma prosopopée.
Il sortit tout à coup, et, murmurant tout bas
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas,
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Basile Ponce 2,
Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse.

'Le concile de Trente. (BOIL.)

Deux défenseurs de la fausse attrition. Le premier était chanoine de Trèves, et l'autre était de l'ordre de Saint-Augustin. (BOIL.)

BOILEAU.

17

1669-1674.

CHANT PREMIER.

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur:
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif :
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse',

N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces2.
La nature, fertile en esprits excellents,
Sait entre les auteurs partager les talents:
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme,
L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme;
Malherbe d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois:

Le mot bel esprit s'entendait alors dans un sens très-favorable. C'était le titre le plus honorifique de ceux qui cultivaient les lettres. (LA HARPE.) ·

7

Sumite materiam vestris, qui scribitis, æquam

Viribus, et versate diu, quid ferre recusent,

Quid valeant humeri.

HOR., Art. poêt., 38.

« PreviousContinue »