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flet mobile de notre bougie vient les frapper et déterminer un sauve-qui-peut général, accompagné de rires étouffés. Nous procurons au village plus de joie qu'il n'en a goûté pendant les cinq siècles de la domination

ottomane.

A l'heure du café, le handji vient rendre une visite d'étiquette. Il a tiré sa veste, pour nous faire honneur... ou avoir moins chaud, et ses bottes, dans un but inexpliqué. Il brûle d'être informé de ce qui nous amène. Cela se devine et nous amuse. Mais il ne parle que le bulgare, et notre premier interprète est en train de paître avec les cochers. Ceux qui ont voyagé à l'étranger savent par quels miracles d'intuition on arrive, avec un seul mot compris, à reconstituer une phrase, et de quel secours est la pantomime pour boucher les trous.

L'homme, d'esprit très vif, se pique à ce jeu d'énigmes; la conversation suit son cours sans trop de difficulté, notre interlocuteur employant, à comprendre et à se faire comprendre, l'énergique passion qui s'éveille en un cœur bulgare dès qu'il s'agit de ses intérêts, et, naturellement c'est de ses intérêts qu'il nous entretient. Je résume :

Triavna est une petite ville très industrieuse, sans doute, et qui pourrait donner à ses habitants beaucoup d'aisance, mais à la condition d'avoir des débouchés. Il vient ici, trois ou quatre fois l'an, des commerçants toujours les mêmes qui achètent en bloc, à des prix très bas, parce qu'ils n'ont pas de concurrents, une partie de ce qu'on a fabriqué. En dehors de ces rares apparitions, les produits s'accumulent. D'un

autre côté, les capitaux manquent pour acheter la matière première et les indigènes n'utilisent que ce qui naît chez eux, c'est-à-dire la laine de leurs moutons. L'unique route qui les relie au monde commercial est celle que nous connaissons. Elle est due à l'administration de Midhat- Pacha dont personne, dans la vallée, ne prononce le nom qu'avec respect et reconnaissance, quoique ce nom soit celui d'un Turc. Ces pauvres gens entretiennent eux-mêmes, avec leurs bras, la précieuse route; rude labeur, car elle est, en partie, supportée par des murs de soutènement, et le ravinage des eaux la coupe chaque année. Aussi doit-on s'étonner que, à part quelques mauvais passages, elle soit maintenue en assez bon état.

Le rêve de Triavna est de lutter victorieusement avec Gabrovo. Elle y arriverait peut-être si le Gouvernement consentait à terminer la route commencée pour se rendre à Eski-Zagra et gagner, de là, YeniZagra où le chemin de fer la relierait à Philippopoli et Constantinople. Les habitants de la vallée écouleraient alors leurs produits dans la Roumélie, et en rapporteraient les matières premières dont ils sont privés. Gabrovo a le passage de Chipka; Troïan a de passage de Rosalita; eux seuls sont pris dans une impasse. Que l'État achève leur route ou les aide simplement à l'achever, et qu'il les impose en conséquence, nul ne se plaindra.

Ce langage n'est certes pas dénué de raison. Il serait injuste d'oublier que le Gouvernement de la principauté est gêné dans les entournures, et que plus

d'un veto ignoré paralyse son bon vouloir; il n'en est pas moins vrai qu'ici, comme ailleurs, on constate un profond malentendu entre les gouvernants et la majorité des gouvernés, les premiers ne s'intéressant guère qu'à la politique, les seconds n'ayant d'oreilles que pour les questions de commerce et d'industrie. Les électeurs de Triavna, très logiques, ont choisi pour leur député M. G. qui installe en ce moment chez eux une fabrique de chaïak, montée à l'européenne. Ils espèrent beaucoup de lui et de ses efforts restés jusqu'à présent sans résultat.

Un piquet succède au cours d'économie politique. Le père et le joli enfant ouvrent des grands yeux et suivent la partie avec un intérêt soutenu. Celle-ci prend fin dès que nos lits sont dressés; nous avons terriblement besoin de nous refaire des nuits précédentes.

Triavna (suite). dustries.

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La sculpture et la peinture religieuses. - Les
Qualités de la race bulgare.-

églises. Les écoliers. Les adieux.

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Le

Les colporteurs d'images russes. -
Drenovo. Un congrès de monar-
Un poète bulgare. Tirnovo.

ques à Gantchovitz.

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La Bella Bona. Le site. · Cours d'histoire au clair de lune.

17 mai.

Que Triavna soit béni! j'ai dormi comme un loir et je ne m'éveille que pour voir tomber une pluie impalpable. Le soleil n'est pas loin. Un pêcheur des côtes normandes dirait qu'il crachine, et quand il crachine, c'est la suprême expression du calme. Rural dans l'intime de l'âme, je jouis de cette paix profonde. Les poules même se taisent; le chat s'étire, en bâillant sans bruit; assis sur une des marches extérieures, le Benjamin apprend, tout bas, sa leçon avant d'aller à l'école. La petite sœur m'a aperçu. Peignée avec soin et vêtue d'une belle robe rouge, elle vient tendre son bec pour qu'on y introduise « une pierre de sucre »,

exercice inauguré la veille et dont elle a bon souvenir.

La pluie a cessé; nous errons à travers le village, escortés par le handji. Voici un fabricant de ceintures, de sous-ventrières et de harnais en laine fine, bon vieux à lunettes qui travaille avec sa bonne vieille dans un jardin mal entretenu, mais plein d'ombre et d'oiseaux. Il va chercher à l'étage supérieur une bride ornée de glands et de filigrane d'or d'une facture très soignée; le harnais complet vaut 400 piastres (80 fr.), c'est pour rien. L'orgueil de sa vie est d'avoir eu, au nombre de ses clients, Midhat- Pacha.

Des métiers à chaïak, des fabriques de gaëtane, des ateliers où l'on confectionne des tonnelets pour mettre le raki, des futailles plus grandes pour le vin ou l'huile et même des tarares. Des boutiques de fourreurs remplies de peaux de toute espèce; les plus nombreuses ont vêtu des loups, des renards et des chats des Balkans. Beaucoup de forgerons, de fabricants de fers à cheval et de clous. Les feux sont alimentés avec du charbon de bois. Dans le Balkan, à deux heures et demie au sud-est de Triavna, il existe une mine de charbon de terre, petitement exploitée par un Bulgare, et dont les produits insignifiants vont à Tirnovo, grevés de frais de transport de plus de 30 francs par tonne. La question de savoir à quel horizon géologique appartiennent ces couches de charbon n'est pas élucidée. Tandis que quelques-uns les considèrent comme faisant partie des terrains secondaires, d'autres les rattachent au terrain houiller proprement dit, ou plus exactement à une formation intermédiaire

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