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cipauté, on pourrait lui adresser la même question est-ce bien sa faute ?

Au trente-huitième kilomètre, nous sommes à TachKissen, où il est décidé qu'on s'arrêtera pour déjeuner.

Trois ou quatre maisons

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un han modeste mais propre un pont en pierre récemment construit une fontaine disjointe. Des laveuses, la croupe en l'air, des chevaux, des ânes et des paysans débraillés se disputent un mince filet d'eau qui tombe en cascade dans la rivière. Accotée à la margelle, une gentille fillette se tient immobile comme un petit magot. Une pièce de vingt paras (dix centimes) lui rend la parole; elle balbutie tout un discours incompréhensible avec une grâce mignonne.

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Les hans de Bulgarie correspondent à nos auberges, sans en avoir le confortable relatif : une écurie ou un hangar pour les bêtes; à l'usage des gens, une salle unique, éclairée par des fenêtres privées de vitres, et sur l'un des côtés de laquelle, une longue caisse de bois formant divan une autre caisse servant de comptoir - dans un coin, une barrique de vin, un barillet de mastic ou de raki. Quelques bouteilles de je ne sais quoi, trois ou quatre verres, une paire de balances. Parfois, sur des tablettes appuyées au mur, des pains de savon et des menues épiceries - des poules toujours, rarement des œufs, - tel est le han dans son expression rudimentaire.

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Des chambres, il n'en faut point chercher en dehors des villes; la clientèle ordinaire des gîtes de grande route se compose de paysans qui passent avec

leurs chariots, ou d'un Bulgare à cheval portant, comme Bias, tout avec lui. Le tapis de sa selle sera son lit pour la nuit ou pour la sieste; un oignon et un morceau de galette apaiseront sa faim.

Une heure suffit à la restauration de la caravane et à la confection d'un rapide croquis enlevé, en plein soleil, avec le zèle neuf de la première étape.

A peine avons-nous repris la direction d'Orhanié que surgissent, à droite et à gauche, des monuments russes, commémoratifs de la guerre de 1877-78. Les soldats tombés là furent peu nombreux. Après la chute de Plevna, tandis que l'armée roumaine courait au siège de Viddin, les troupes du général Gourko se dirigèrent vers Sofia. Elles atteignirent TachKissen le 19/31 décembre 1877, en tournant la position qu'occupait Baker-Pacha avec vingt tabors et six canons. Les Turcs, pris à l'improviste, résistèrent mollement à des forces supérieures qui ne comptaient pas moins de quarante bataillons, seize escadrons et quarante bouches à feu. La perte de la position de Tach-Kissen entraîna l'abandon de celle d'ArabTrois jours après, Konak qui est devant nous. Sofia acclamait les vainqueurs.

Nous croisons des femmes portant de petits braseros, des pains, des plats remplis de mets qu'elles vont déposer au cimetière voisin sur les tombes aimées. Le pope viendra ce soir rafler les offrandes; c'est une partie de son casuel. Les messes sont gratuites et le clergé s'ingénie, sans grand succès, à se créer des revenus en argent ou en nature. En dehors de quelques monastères, les prêtres bulgares sont loin

de vivre grassement. On leur reproche d'être, dans les rangs inférieurs, ignorants et grossiers. Franchement, n'est-ce pas le contraire qui devrait surprendre, étant donné le milieu dans lequel ils vivent et leur quasi dénuement?

Après nous être faufilés à travers une smala de Valaques, aisément reconnaissables à leur teint basané et à leurs longues moustaches, nous dépassons quelques bons Turcs qu'eussent trahis, à défaut du costume, la dignité de leur maintien et la courtoisie de leur salut.

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Le pays a perdu la rudesse des environs de Sofia. Dans les verdures plus drues, les villages sont moins espacés. Les toits rouges indiquent que la tuile a presque partout détrôné le chaume; signe d'aisance qu'il convient de noter le progrès commence comme il peut. A droite s'embranche, vers le quarante-septième kilomètre, la route de Zlatitza, un des plus anciens établissements bulgares du Balkan, dont le nom veut dire : ville de l'or. On n'y trouve plus d'or, mais on chasse, dans les environs, le lièvre qui s'y est conservé très abondant et, en obliquant vers Ichtiman, un gibier plus noble : le chevreuil et le cerf.

Un kilomètre plus loin, nous arrivons à la dernière montée. Voici le han de Gourko; le général russe y a couché une nuit pendant la campagne. Je saute sur la route pour jouir de la vue qui devient magnifique, grâce surtout au Rhodope dont les cimes neigeuses s'exhaussent, de minute en minute, et dessinent, audessus des plans tourmentés du Balkan, une ligne presque horizontale. Pratiquant l'art des raccourcis,

j'escalade une colline, au sommet de laquelle les Russes ont construit, depuis la guerre, une imposante pyramide qu'on appelle le monument d'ArabKonak, nom donné au passage qu'il domine. Au moment où j'allais l'atteindre, je marche sur un serpent qui rentre chez lui avec une prestesse à faire douter de sa nationalité, si elle n'était évidente.

Tandis que, laborieusement aidé de mon domestique, je traduisais les inscriptions qui célèbrent, avec la gloire d'Alexandre II, l'indépendance de la Bulgarie et dénombrent les morts, mon complice philosophe, resté dans la voiture, ne cessait de télégraphier des signaux que je finis par apercevoir. Je dégringole en hâte et je le rejoins au point culminant du col d'Arab-Konak, élevé de 1,050 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Là, m'attendait une nouvelle qui serait de nature à troubler des touristes novices. Au dernier han, un officieux a hélé le phaéton, avertissant qu'une troupe de malandrins est postée, depuis la veille, au bas de la descente. La gendarmerie, informée de l'incident, n'avait point encore paru; on nous adjurait de ne pas nous risquer.

Saint-Lo consulte Marseille de l'œil; Marseille consulte Saint-Lo, et nous partons d'un franc éclat de rire. Allons! le moral est bon. Les fusils dorment à Sofia; pour toute défense : un revolver enfoui au fin fond des bagages. Je me refuse à le déranger et nous nous remettons en route, après avoir pris la précaution de glisser dans nos bottes une partie de notre or.

C'est le moment, ou jamais, de nous remémorer des histoires de brigands:

L'année dernière, un juif, ayant à transporter 35,000 francs, cousit sous ses vêtements la plus grande partie de la somme. 5,000 francs seulement étaient enfermés dans sa ceinture. Une bande l'arrête et viole la précieuse ceinture. Notre homme de jouer la comédie du désespoir l'argent n'est pas à lui; on le déshonore, on le tue... Il gémit, sanglote, supplie et fait si bien que les bons voleurs, touchés jusqu'aux larmes lui restituent 1,000 francs. N'est-ce pas admirable? Qu'on vienne donc vanter la continence de Scipion !

Le fra Diavolo le plus célèbre, qui ait opéré en Bulgarie dans la période contemporaine, est sans contredit le grec Spanos (imberbe). On lui a prêté, il y a peu d'années, le dessein hardi de s'emparer de la personne du prince Alexandre, pendant le séjour de Son Altesse au monastère de Rilo. L'exécution de ce projet exigeait une troupe nombreuse, et une mise de fonds considérable. Un riche israélite de Samakow, taxé par lui à 4,000 livres turques (près de 100,000 francs), n'osa, durant plus d'une année, s'aventurer hors de la ville, à peine sortir de sa maison. Sous prétexte de trafic commercial, Spanos avait consacré plusieurs mois à battre le pays, autour de Rilo. On racontait de lui des miracles d'ubiquité et, la légende s'en mêlant, on attribuait à son cheval des qualités extraordinaires.

Très dur avec les hommes, il maintenait dans sa bande une discipline de fer. Un de ses lieutenants,

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