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nommé Malamas, ayant enlevé sans son ordre le directeur des forêts du baron de Hirsch, il l'arrêta lui-même, le ficela et l'envoya à Philippopoli, avec ce message pour Aleko Pacha : « Cet homme m'a désobéi, je te le livre. » On voulut exploiter le prisonnier contre le maître. Les avances furent dédaigneusement repoussées; on lui offrit sa grâce, de l'argent, tout fut inutile. «< Prendre Spanos! dit-il en souriant ; oui, dans vingt ans peut-être, quand il sera vieux et que vous serez plus malins ».

- Mais enfin, qu'est-ce donc que Spanos? un brigand!

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Oui, un brigand, riposte l'homme avec fierté; son père l'a été, comme son grand-père, comme ses ancêtres, aussi haut qu'il peut remonter.

Le gouvernement rouméliote dut mettre en mouvement des centaines de miliciens, organiser une vraie campagne, pour forcer l'entêté à quitter la partie. Un jour que Spanos se voyait serré de près dans la montagne, il avise des bergers valaques qui célébraient un mariage, va droit à la mariée, la dépouille de ses longs voiles dont il s'enveloppe des pieds à la tête, pendant que ses compagnons troquent leurs vêtements avec les bergers. Puis, mes drôles enfourchent les chevaux de la noce, marchent bravement à la rencontre de l'escouade poursuivante qu'ils traversent sans encombre, et s'éloignent en emportant ses souhaits de bon voyage.

Tout en devisant, nous courions allégrement vers notre destinée. A la descente, le vallon, très resserré, se creuse en entonnoir et devient un véritable abîme

de feuillages, d'une profondeur vertigineuse. En ce trou plein d'ombre, le sol est humide et le sabot des chevaux s'imprime dans la boue molle; - bref un parfait coupe-gorge.

A mi-chemin, seconde fournée de bergers valaques. Les femmes, avec leurs vêtements sombres, relevés de taches vives, et leurs ceintures fermées par d'énormes boucles en argent doré, ont beaucoup de caractère. Une toute petite fille, grosse comme un moucheron, se balance sur le devant d'une haute selle, entre les bras d'une aïeule antediluvienne dont les cheveux gris et tombants encadrent un visage d'une énergie singulière. A califourchon sur son cheval, la vieille se tient aussi raide qu'un cuirassier à la parade.

Au bas de la côte, stationne un groupe de Grecs; quelques-uns sont armés de longs fusils. Nous devinons en eux nos prétendus brigands. Car, si tous les Grecs ne sont pas brigands, tous les brigands sont Grecs disent les Bulgares. Nous répondons à leur salut par un salut; ce sont les seuls projectiles échangés. Évidemment on a calomnié de très braves gens.

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A mesure que nous approchons de la porte du défilé, les témoignages apparaissent de la ténacité propre au Bulgare; des pentes presque perpendiculaires sont cultivées. Les paysans labourent en zigzag avec l'aide de boeufs microscopiques.

Cependant la vallée se dilate progressivement. Nous passons et repassons le Bebresch sur des ponts en bois d'une rusticité primitive. Pas d'assemblages;

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Le soleil est encore haut et la chaleur intense, quand nous entrons à Orhanié par une rue droite, alignée avec une régularité inaccoutumée. Midhat a dû passer par là. C'est lui, en effet, qui traça, par Orhanié, la nouvelle route de Roustchouk à Sofia et fit de cette localité le centre du district, aux dépens d'Étropol.

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ne s'est

Il ne paraît pas que la faveur du pacha lui ait beaucoup profité. La ville - un grand village pas développée. Deux mille habitants y sont plus qu'à l'aise. La tour de l'horloge, isolée sur une place déserte, regarde tristement sa voisine, la grande Mosquée, vide aussi et le ventre ouvert. De l'autre côté du ruisseau, de beaux arbres abritent la préfecture morne et silencieuse, et la caisse du Trésor public que surveille, d'un oeil éteint, la sentinelle mélancolique. Des chefs de famille d'oies promènent leurs nouveau-nés, de l'air placide d'honnêtes citoyens, sûrs de n'être pas dérangés. Seuls, des pourceaux folâtres se donnent un mouvement extraordinaire dont le motif échappe aux étrangers ignorants des mœurs locales.

Et pourtant la plaine, baignée de lumière, s'enchâsse harmonieusement dans un cirque de collines moutonnantes. Au midi, les montagnes, plus hautes et plus proches, composent un fond de tableau souriant. On sent qu'il ferait bon vivre là, si l'œil n'était, en quelque sorte, accablé par le délabrement de toute chose, et le cachet de décrépitude précoce de ce qui

est turc ou laissé par les Turcs

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l'administration turque. Leurs héritiers n'ont eu encore ni le temps, ni peut-être le goût, de rajeunir les vieilles traditions.

L'hôtel de Macédoine nous a ouvert ses portes. C'est un han comme les autres, mais les chambres y sont passables. Par exemple, on épuiserait sa bourse avant d'obtenir de quoi se mettre sous la dent. Force est de recourir au panier de provisions dont l'intérieur découvre un lamentable spectacle : il y a eu des mariages inattendus, et le plus intrigant des fromages blancs a pénétré partout - pouah!

Les Simandres.

CHAPITRE II

Départ d'Orhanié.

Paysage. La

source de la Panéga. Corvéables. La loi en Bulga

rie. Lukovit.

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Soirée dominicale.

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Turcs et Bul

II mai.

La nuit fut atroce ;- cela nous apprendra à ne pas utiliser nos propres lits et à nous fier aux apparences. -Aussi, est-ce avec une joie de captif délivré que j'ai salué l'aube et prêté l'oreille au chant des cloches du dimanche, chant médiocrement musical, car ces cloches sont en bois. Du temps des Turcs, il n'en existait pas d'autres, sauf dans quelques monastères exceptionnellement autorisés.

Les simandres, dont l'usage est très ancien, se composent d'une pièce de bois suspendue par des chaînes de fer et sur laquelle on frappe avec un marteau, de manière à produire, suivant la force du coup et l'endroit attaqué, des sonorités assez distinctes.

Le premier objectif, au réveil d'un touriste prudent, est son café au lait, — surtout s'il a en perspective une maigre chère. Je recommande à ceux qui, comme

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