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en partie effacée par le badigeon, indique que l'édifice existait déjà au xve siècle. Tout a été si bien restauré qu'on n'y trouve plus rien d'intéressant, car nous commençons à nous blaser sur l'architecture et le tarabiscotage des iconostases.

La visite des chambres, de la cuisine, du réfectoire n'est pas plus récréative, et nous nous empressons de déguerpir, en insinuant dans la main des saintes femmes un gage matériel de notre bon souvenir, accepté, comme la veille dans le couvent d'hommes, avec une très grande simplicité. Cet incident n'en dépoétise pas moins un peu les sanctuaires. Les troncs des églises de France sont peut-être plus hypocrites, mais je les préfère au don manuel.

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En sortant, nous rencontrons un de nos moines de la Préobragénié, dont le bidet caresse, de l'œil, la porte du couvent; il a dû — le bidet y trouver déjà bonne prébende. Quelques pas plus loin, nous croisons deux religieuses. L'une d'elles, grosse femme à l'air réjoui, est précisément l'higoumena du monastère de Saint-Nicolas. Toutes deux sont à califourchon sur leurs montures.

Avant de rentrer dans la ville, nous faisons l'ascension de l'Hissar-Baïr. Le tertre pointu, qui le couronne à quelques mètres de la mosquée, devenue, elle aussi, un magasin militaire, est un parfait observatoire pour saisir l'ensemble du site mouvementé de Tirnovo. On distingue encore, au-dessus de la route d'Osman-Pazar, une redoute gazonnée de la dernière guerre. Le corps du général Gourko, qui avait franchi le Danube, le 21 juin/3 juillet, arrivait, quatre jours plus

tard, en vue de Tirnovo, massait ses canons dans un village situé au-dessus du monastère de la Préobragénié, et lançait quelques troupes sur le plateau de l'ouest. On voit d'ici les maisons éparses où s'abritèrent les tirailleurs gagnant successivement du terrain vers Marinopol et fusillant les Turs qui ne tardèrent pas à s'enfuir, par la route d'Osman-Pazar, après un combat d'artillerie qui n'avait pas duré plus d'une heure et demie.

En 1393, lorsque le sultan Bajezid assiégea Tirnovo, il eut moins aisément raison de la défense. A ce siège se rattache une légende qui semblerait expliquer le fait insolite de l'absence de juifs dans un centre commercial aussi important.

Eu égard aux moyens d'attaque usités au XIVe siècle, la position de Tirnovo était formidable; la ville n'avait que deux entrées possibles. Le siège tirait en longueur, lorsque un juif se présenta au camp des musulmans, offrant de leur livrer une des portes. Le marché fut conclu, exécuté, et la capitale bulgare succomba; mais le sultan, méprisant les traîtres, à condition de commencer par s'en servir il n'est pas le seul - fit décapiter Judas. A peine la tête eut-elle roulé que le corps se releva, prit sa course à travers la campagne et s'arrêta sur une montagne voisine; il y fut enterré. Le plus curieux de l'affaire, c'est que l'endroit est encore aujourd'hui marqué par un tas de pierres, jetées une à une par les Bulgares, en signe de malédiction, et qu'avant la guerre de 1877, les Turcs y sacrifiaient, chaque année, un mouton en signe de reconnais

sance,

La mosquée d'Hissar, d'une coupe élégante, remonte au xve siècle. Ici s'élevait une église bâtie par Asen II pour y enfermer le corps de Sveta Parascheva (sainte Vendredi), reconquis sur les Byzantins. Cette restitution fut la condition d'un traité de paix conclu sous les murs de Constantinople, et l'évêque de Preslav alla, en grande pompe, recevoir les saints ossements. Transportés en Hongrie, lorsque les Turcs eurent décidément occupé la Bulgarie, ils sont aujourd'hui à Jassy, en Roumanie.

Les reliques du célèbre Jean Rilo n'ont pas été moins vagabondes: elles se promenèrent successivement à Sofia, à Ostrogom, de nouveau à Sofia, puis à Tirnovo, et de là au monastère de Rilo. C'est encore à Asen II, qui paraît avoir eu la passion des reliques, que Tirnovo dut de posséder une si précieuse dépouille; on l'avait déposée dans une église construite sous le vocable de Saint-Jean-Rilo, à la base de la colline d'Hissar et au bord même de la rivière. On croit que des ruines très sommaires, où les Turcs avaient installé une glacière, sont les restes de cette église.

De retour à la Bella-Bona, nous attaquons résolument l'armée des chiens et des chats et nous prenons d'assaut le divan de la vérandah pour goûter, mollement étendus, les douceurs du crépuscule et jouir, une dernière fois, des beautés d'un horizon auquel, demain, il faudra dire adieu. La vieille hôtesse, si réservée d'ordinaire, tourne autour de nous d'un air préoccupé. A la fin, n'y tenant plus, elle s'assied et

s'efforce de nous faire comprendre, en langue turque, ce qui la tourmente :

Un fils unique, le bien-aimé de son cœur, est au collège à Constantinople; elle rêve pour lui de hautes destinées et voudrait, quand il aura atteint ses dix-sept ans, l'envoyer à Paris. Qu'en pensent les deux Français ?

Dois-je l'avouer? Mauvais patriotes, nous ne cachons pas à cette tendre mère que son chérubin courra plus d'un péril dans la grande ville; qu'il sera bien isolé au milieu des tentations... Belle et Bonne exhale de gros soupirs; la consultation a redoublé ses incertitudes. M'est avis pourtant que le gamin ira à Paris. Quelle mère ambitieuse a jamais renoncé au mirage d'un fils s'élevant au-dessus de sa condition?

« Que voulez-vous? dit-elle, tout marche aujourd'hui, il faut marcher. Que de changements, même chez nous autres femmes ! Autrefois, les jeunes filles travaillaient; maintenant elles ne font plus grand'chose de leurs mains, mais elles deviennent des personnes intelligentes et instruites. Moi je sais à peine lire et, quand j'écris, j'y mets du temps; j'écris comme un papâs. »

Ce mot n'est-il pas démonstratif et n'indique-t-il pas combien, dans le bas clergé, la maladie de l'ignorance est incurable?

CHAPITRE XII

Monastères.

Drentska. Le brigandage en Bulgarie.

Départ pour Eléna.

jugé populaire.

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ficultés d'installation. La soupe à l'oignon et le pré

Une lettre d'amour.

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vieilles marmites. Un chrétien livré aux bêtes.

20 mai.

A deux heures de l'après-midi, par un soleil à griser des caméléons, nous sommes partis pour Eléna. Rien à signaler dans la première partie de la route si ce n'est la profusion des églantiers qui en parfument les bords, et des couvents qui se cachent aux coins les plus ombreux : à droite, celui de Kovanlik; à gauche, celui de Kilifar dont les habitants furent, au concile de Tirnovo, en 1350, les champions de l'Orthodoxie, et celui de Plakovo rebâti par la commune, il y a trente ans. Nous longeons le monastère de SaintIlia, puis, dans le voisinage de Kapinovo, celui de Saint-Nikola, illustré, en 1836, par la tentative patriotique du bulgare Mamartcheff, et la mort tragique de ses moines qui furent pendus par les Turcs après la découverte du complot.

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