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ACTEURS.

HARPAGON, pere de Cléante & d'Elife, & amoureux de Mariane.

'ANSELME, pere de Valére & de Mariane. CLEANTE, fils d'Harpagon, amant de Mariane.

ELISE, fille d'Harpagon.

VALERE, fils d'Anfelme, & amant d'Elife. MARIAN E, fille d'Anfelme. FROSINE, femme d'intrigue. MAISTRE SIMON, courtier. MAISTRE JACQUES, cuifinier & cocher d'Harpagon.

LA FLECHE, valet de Cléante. DAME CLAUDE, fervante d'Harpagon. BRINDAVOINE,

LA MERLUCHE, laquais d'Harpagon.

UN COMMISSAIRE.

La fcéne eft à Paris dans la maifon d'Harpagon.

L'AVARE,

COMEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

VALERE, ELISE.

VALER E.

E' quoi, charmante Elife, vous devenez mélancolique, après les obligeantes affurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? je vous vois foupirer, hélas! au milieu de ma joie. Eft-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux, & vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pû vous contraindre ? ELISE.

Non, Valére, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y fens entraîner par une trop douce puiffance, & je n'ai pas même la force de fouhaiter que les chofes ne fûffent pas. Mais, à vous dire le fuccès me donne de l'inquiétude;

vrai,

& je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrois.

VALERE.

Hé, que pouvez-vous craindre, Elife, dans les bontés que vous avez pour moi?

ELISE.

Hélas! Cent chofes à la fois. L'emportement d'un pere, les reproches d'une famille, les cenfures du monde; mais, plus que tout, Valére, le changement de votre cœur, & cette froideur criminelle dont ceux de votre fexe payent, le plus fouvent les témoignages trop ardens d'un innocent amour.

VALER E.

Ah! Ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres. Soupçonnez-moi de tout, Elife, plutôt que de manquer à ce que je vous dois. Je vous aime trop pour cela; & mon amour pour vous durera autant que ma vie.

ELISE.

Ah! Valére, chacun tient les mêmes difcours.Tous les hommes font femblables par les paroles; & ce n'eft que les actions, qui les découvrent différens. VALER E.

Puifque les feules actions font connoître ce que nous sommes, attendez donc, au moins, à juger de mon cœur par elles ; & ne me cherchez point des crimes dans les injuftes craintes d'une fâcheufe prévoyance. Ne m'affaffinez point, je vous prie, par les fenfibles coups d'un foupçon outrageux, & donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille & mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

ELISE.

Hélas! Qu'avec facilité on fe laiffe perfuader par les perfonnes que l'on aime! Oui, Valére, je tiens votre cœur incapable de m'abufer. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, & que vous me ferez fidéle; je n'en veux point du tout douter, & je re

tranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.

VALER E.

Mais pourquoi cette inquiétude?
ELISE.

Je n'aurois rien à craindre, fi tout le monde vous
voyoit des yeux dont je vous vois; & je trouve en
votre perfonne de quoi avoir raifon aux chofes que
je fais pour vous. Mon cœur, pour fa défense, a tout
votre mérite, appuyé du fecours d'une reconnoif-
fance où le ciel m'engage envers vous. Je me repré-
fente, à toute heure, ce péril étonnant qui commença
de nous offrir aux regards l'un de l'autre, cette gé-
nérofité furprenante, qui vous fit rifquer votre vie,
pour dérober la mienne à la fureur des ondes, ces
foins pleins de tendresse, que vous me fîtes éclater
aprés m'avoir tirée de l'eau, & les hommages affi-
dus de cet ardent amour, que ni le temps, ni les
difficultés, n'ont rebuté; & qui, vous faifant négli-
ger & parens
& patrie, arrête vos pas en ces lieux,
y tient en ma faveur votre fortune déguifée, &
vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'em-
ploi de domestique de mon pere. Tout cela fait chez
moi, fans doute, un merveilleux effet, & c'en est
affez, à mes yeux, pour me juftifier l'engagement
où j'ai pû confentir; mais ce n'eft pas affez, peut-
être, pour le juftifier aux autres, & je ne fuis pas
fûre qu'on entre dans mes fentimens.

VALER E.

De tout ce que vous avez dit, ce n'eft que par mon feul amour que je prétens, auprès de vous, mériter quelque chofe; &, quant aux fcrupules que vous avez, votre pere lui-même ne prend que trop de foin de vous juftifier à tout le monde ; & l'excès de fon avarice, & la maniére auftére dont il vit avec fes enfans pourroient autorifer des chofes plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Elife, fij'en parle ainfi devant vous. Vous favez que

fur ce

chapitre, on n'en peut pas dire du bien. Mais enfin, Lije puis, comme je l'efpére, retrouver mes parens, 2ous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attens des nouvelles avec impatience; & j'en irai chercher moi-même, fi elles tardent à venir.

ELISE.

Ab! Valére, ne bougez d'ici, je vous prie, & fongez feulement à yous bien mettre dans l'efprit de mon pere.

VALER E.

Vous voyez comme je m'y prens, & les adroites complaifances qu'il m'a fallu mettre en ufage, pour m'introduire à fon fervice; fous quel mafque de fympathie, & de rapports de fentimens, je me déguise pour lui plaire, & quel perfonnage je joue tous les jours avec lui, afin d'acquérir fa tendreffe. J'y fais des progrès admirables, & j'éprouve que, pour gagner les hommes, il n'eft point de meilleure voie, que de fe parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenfer leurs défauts, & applaudir ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaifance, & la maniére dont on les joue a beau être vifible, les plus fins font toujours de grandes dupes du côté de la flatterie, & il n'y a rien de fi impertinent & de fi ridicule, qu'on ne faffe avaler lorfqu'on l'affaifonne en louanges. La fincérité fouffre un peu au métier que je fais; mais, quand on a befoin des hommes, il faut bien s'ajuster à eux; & puifqu'on ne fauroit les gagner que par là, ce n'eft pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.

ELISE.

Mais que ne tâchez-vous auffi à gagner l'appui de mon frere, en cas que la fervante s'avisât de révé, ler notre fecret ?

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