Sentir par mille coups, ces propos outrageans. SOSIE.
Mon maître eft homme de courage,
Et ne fouffrira pas que l'on batte fes gens. AMPHITRYON.
Laiffez-moi m'affouvir dans mon courroux extrême; Et laver mon affront au fang d'un fcélérat. NAUCRATES arrêtant Amphitryon. Nous ne fouffrirons point cet étrange combat D'Amphitryon contre lui-même. AMPHITRYON.
Quoi! Mon honneur de vous reçoit ce traitement ? Et mes amis d'un fourbe, embraffent la défense? Loin d'être les premiers à prendre ma vengeance, Eux-mêmes font obftacle à mon reffentiment? NAUCRATES.
Que voulez-vous qu'à cette vûe Faffent nos réfolutions,
Lorfque, par deux Amphitryons,
Toute notre chaleur demeure suspendue? A vous faire éclater notre zéle aujourd'hui, Nous craignons de faillir, & de vous méconnoître. Nous voyons bien en vous Amphitryon paroître, Du falut des Thébains le glorieux appui; Mais nous le voyons tous auffi paroître en lui; Et ne faurions juger dans lequel il peut être. Notre parti n'eft point douteux, Et l'impofteur, par nous, doit mordre la pouffiére; Mais ce parfait rapport le cache entre vous deux Et c'eft un coup trop hazardeux, Pour l'entreprendre fans lumiére. Avec douceur laiffez-nous voir
De quel côté peut être l'imposture; Et dès que nous aurons démêlé l'aventure, Il ne nous faudra pas dire notre devoir. JUPITER.
Oui, vous avez raifon; & cette reffemblance, A douter de tous deux, vous peut autorifer.
Je ne m'offenfe point de vous voir en balance; Je fuis plus raisonnable, & fais vous excufer. L'ail ne peut entre nous faire de différence; Et je vois qu'aifément on s'y peut abuser. Vous ne me voyez point témoigner de colére, Point mettre l'épée à la main,
C'eft un mauvais moyen d'éclaircir ce mystére, Et j'en puis trouver un plus doux & plus certain. L'un de nous eft Amphitryon;
Et tous deux, à vos yeux, nous le pouvons paroître. C'eft à moi de finir cette confufion;
Et je prétens me faire à tous fi bien connoître, Qu'au preffantes clartés de ce que je puis être, Lui-même foit d'accord du fang qui m'a fait naître, Et n'ait plus, de rien dire, aucune occafion. C'eft aux yeux des Thébains que je veux avec vous, De la vérité pure, ouvrir la connoiffance; Et la chofe, fans doute, eft affez d'importance, Pour affecter la circonftance,
Alcméne attend de moi ce public témoignage, Sa vertu, que l'éclat de ce défordre outrage, Veut qu'on la juftifie ; & j'en vais prendre foin. C'est à quoi mon amour envers elle m'engage; Et des plus nobles chefs je fais un affemblage, Pour l'éclairciffement, dont fa gloire a befoin. Attendant avec vous ces témoins fouhaités, Ayez, je vous prie, agréable De venir honorer la table,
Où vous a Sofie invités. SOSIE.
Je ne me trompois pas, Meffieurs, ce mot termine Toute l'irréfolution;
Le véritable Amphitryon,
Eft l'Amphitryon où l'on dîne. AMPHITRYON.
O ciel! Puis-je plus bas me voir humilié ? Quoi? Faut-il que j'entende ici, pour mon martyre,
Tout ce que l'impofteur à mes yeux vient de dire; Et que, dans la fureur que ce difcours m'infpire, On me tienne le bras lié ? NAUCRATES à Amphitryon.
Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'atten
L'éclairciffement, qui doit rendre Les reffentimens de faifon. Je ne fais pas s'il impofe; Mais il parle fur la chofe Comme s'il avoit raifon. AMPHITRYON.
Allez, foibles amis, & flattez l'impofture. Thébes en a pour moi de tout autres que vous ; Et je vais en trouser qui, partageant l'injure, Sauront prêter la main a mon jufte courroux. JUPITÉ R.
Hé bien, je les attens; & faurai décider Le différend en leur préfence. AMPHITRYON.
Fourbe, tu crois par là peut-être t'évader; Mais rien ne te fauroit fauver de ma vengeance. JUPITER.
A ces injurieux propos
Je ne daigne à préfent répondre; Et tantôt je faurai confondre Cette fureur avec deux mots. AMPHITRYON.
Le ciel même, le ciel ne t'y fauroit fouftraire; Et, jufques aux enfers, j'irai fuivre tes pas. JUPITER. Il ne fera pas néceffaire;
Et l'on verra tantôt que je ne fuirai pas. AMPHITRYON à part.
Allons, courons, avant que d'avec eux il forte, Affembler des amis qui fuivent mon courroux; Et chez moi venons à main forte, Pour le percer de mille coups.
SCENE V I.
JUPITER, NAUCRATES,
POLIDAS,SOSIE,
Point de façons, je vous conjure;
Entrons vite dans la maifon.
NAUCRATES.
Certes toute cette aventure Confond le fens & la raison. SOSIE.
Faites tréve, Meffieurs, à toutes vos furprises; Et, pleins de joie, aller tabler jusqu'à demain.
Que je vais m'en donner ! Et me mettre en beau trait De raconter nos vaillantifes! Je brûle d'en venir aux prifes; Et jamais je n'eus tant de faimn.
SCENE VII.
MERCURE, SOSIE.
Rrête. Quoi ! Tu viens ici mettre ton nés, Impudent flaireur de cuifine? SOSIE.
Ah! De grace, tout doux.
MERCURE.
Je vous ajufterai l'échine.
SOSIE.
Hélas! Brave & généreux moi,
Modére-toi, je t'en fupplie. Sofie, épargne un peu Sofie,
Et ne te plais point tant à frapper deffus toi. MERCURE.
Qui, de t'appeler de ce nom, A pû te donner la licence ?
Ne t'en ai-je pas fait une expreffe défense, Sous peine d'effuyer mille coups de bâton? SOSIE.
C'eft un nom que tous deux nous pouvons, à la fois, Pofféder fous un même maître.
Pour Sofie, en tous lieux, on fait me reconnoître ; Je fouffre bien que tu le fois, Souffre auffi que je le puiffe être. Laiffons aux deux Amphitryons Faire éclater des jaloufies;
Et, parmi leurs contentions
Faifons, en bonne paix, vivre les deux Sofies. MERCURE.
Non, c'eft affez d'un feul; & je fuis obftiné A ne point fouffrir de partage. SOSIE.
Du pas devant, fur moi, tu prendras l'avantage;" Je ferai le cadet, & tu feras l'aîné.
Non, un frere incommode, & n'eft pas Et je veux être fils unique..
O cœur barbare & tyrannique!
Souffre qu'au moins je fois ton ombre.
MERCURE.
Que d'un peu de pitié ton ame s'humanife; En cette qualité, fouffre-moi près de toi. Je te ferai par tout une ombre fi foumife, Que ru feras content de moi.
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