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féparément, tantôt joints ensemble par gros pelotons, lui faifoient une rude guerre. Dans ces combats, accompagnés de bruits épouventables, & d'un embrafement qu'on ne peut représenter, ces deux élémens étoient fi étroitement mêlés enfemble, qu'il étoit impoffible de les distinguer. Mille fusées qui s'élevoient en l'air, paroiffoient comme des jets d'eau enflammés ; & l'eau qui bouillonnoit de toutes parts, reflembloit à des flots de feu, & à des flammes agitées.

Bien que tout le monde fût que l'on préparoit des feux d'artifice, néanmoins, en quelque lieu qu'on allat durant le jour, l'on n'y voyoit nulle difpofition; de forte que, dans le temps que chacun étoit en peine du lieu où ils devoient paroître, l'on s'en trouva tout d'un coup environné; car, non seulement ils partoient de ces baffins de fontaines, mais encore des grandes allées qui environnent le parterre; & en voyant fortir de terre mille flammes qui s'élevoient de tous côtés, l'on ne favoit s'il y avoit des canaux qui fournîffent cette nuit - là autant de feux, comme pendant le jour on avoit vû de jets d'eau qui rafraîchiffoient ce beau parterre. Cette furprife caufa un agréable défordre parmi tout le monde, qui, ne fachant où se retirer, fe cachoit dans l'épaiffeur des boccages, & fe jettoit contre terre.

Ce fpectacle ne dura qu'autant de temps qu'il en faut pour imprimer dans l'efprit une belle image de ce que l'eau & le feu peuvent faire, quand ils fe rencontrent enfemble, & qu'ils fe font la guerre ; & chacun croyant que la fête fe termineroit par un artifice fi merveilleux, retournoit vers le château, quand, du côté du grand étang, l'on vit tout d'un coup le ciel rempli d'éclairs, & l'air d'un bruit qui fembloit faire trembler la terre; chacun fe rangea vers la grotte pour voir cette nouveauté, & auffitôt il fortit de la tour de la pompe qui éleve toutes Les eaux, une infinité de groffes fufées, qui rempli

rent tous les environs de feu & de lumiére. A quelque hauteur qu'elles montaffent, elles laiffoient attachée à la tour une groffe queue, qui ne s'en féparoit point, que la fufée n'eût rempli l'air d'une infinité d'étoiles qu'elle y alloit répandre. Tout le haut de cette tour fembloit être embrâfé, &, de moment en moment, elle vomiffoit une infinité de feux, dont les uns s'élevoient jufqu'au ciel, & les autres ne montant pas fi haut, fembloient fe jouer par mille mouvemens agréables qu'ils faifoient. Il y en avoit même, qui, marquant les chiffres du Roi par leurs tours & retours, traçoient dans l'air de doubles L, toutes brillantes d'une lumiére très-vive & très-pure. Enfin, après que de cette tour il fut forti, à plufieurs fois, une fi grande quantité de fufées que jamais on n'a rien vû de femblable, toutes ces lumiéres s'éteignirent ; &, comme fi elles euffent obligé les étoiles du ciel à fe retirer, l'on s'apperçut que, de ce côtélà, la plus grande partie ne se voyoit plus, mais que le jour jaloux des avantages d'une fi belle nuit, commençoit à paroître.

Leurs Majeftés prirent auffi-tôt le chemin de faint Germain avec toute la Cour, & il n'y eut que Monfeigneur le Dauphin qui demeura dans le château.

Ainfi finit cette grande fête, de laquelle fi l'on remarque bien toutes les circonftances, on verra qu'elle a furpaffé en quelque façon ce qui a jamais été fait de plus mémorable. Car, foit que l'on regarde comme en fi peu de temps l'on a dreffé des lieux d'une grandeur extraordinaire pour la comédie, pour le fouper & pour le bal, foit que l'on confidére les divers ornemens dont on les a embellis, le nombre des lumiéres dont on les a éclairés, la quantité d'eau qu'il a fallu conduire, & la diftribution qui en a été faite, la fomptuofité des repas où l'on a vu une quantité de toutes fortes de viandes qui n'eft pas concevable; & enfin toutes les chofes néceffaires à la magnificen

ce de ces fpectacles, & à la conduite de tant de différens ouvriers, on avouera qu'il ne s'eft jamais rien fait de plus surprenant & qui ait causé plus d'admiration.

FIN DU CINQUIE'ME TOME.

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