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AL CMENE.

C'eft de ce nom, pourtant, que l'ardeur qui me brûle,
Tient le droit de paroître au jour ;

Et je ne comprens rien à ce nouveau fcrupule,
Dont s'embarraffe votre amour.
JUPITER.

Ah! Ce que j'ai pour vous d'ardeur & de tendreffe,
Paffe auffi celle d'un époux ;

Et vous ne favez pas, dans des momens fi doux,
Quelle en eft la délicateffe.

Vous ne concevez point qu'un cœur bien amoureux
Sur cent petits égards s'attache avec étude,
Et fe fait une inquiétude

De la maniére d'être heureux.

En moi, belle & charmante Alcméne

Vous voyez un mari, vous voyez un amant;
Mais l'amant feul me touche, à parler franchement,
Et je fens, près de vous, que le mari le gêne.
Cet amant de vos vœux, jaloux au dernier point
Souhaite qu'à lui feul votre cœur s'abandonne;
Et fa paffion ne veut point

De ce que le mari lui donne.

Il veut, de pure fource, obtenir vos ardeurs ;
Et ne veut rien tenir des nœuds de l'hyménée,
Rien d'un fâcheux devoir qui fait agir les cœurs
Et par qui, tous les jours, des plus chéres faveurs
La douceur eft empoisonnée.

Dans le fcrupule enfin dont il eft combattu,
Il veut, pour fatisfaire à fa délicateffé,
Que vous le fépariez d'avec ce qui le bleffe;
Que le mari ne foit que pour votre vertu;
Et que, de votre cœur de bonté revêtu,
L'amant ait tout l'amour & toute la tendreffe.
ALCMEN E.
Amphitryon, en vérité,

Vous vous moquez de tenir ce langage ;
Et j'aurois peur qu'on ne vous crût pas fage,
Si de quelqu'un vous étiez écouté.

JUPITER.

JUPITER.

Ce difcours eft plus raisonnable,
Alcméne, que vous ne pensez ;

Mais un plus long séjour me rendroit trop coupable; Et, du retour au port, les momens font preffés. Adieu. De mon devoir l'étrange barbarie

Pour un temps m'arrache de vous;

Mais, belle Alcméne, au moins, quand vous verrez l'époux,

Songez à l'amant, je vous prie.

ALCMENE.

Je ne fépare point ce qu'uniffent les Dieux;
Et l'époux & l'amant me font fort précieux.

SCENE IV.

CLEANTHIS, MERCURE.

CLEANTHIS à part.

Ciel! Que d'aimables careffes
D'un époux ardemment chéri !

Et que mon traître de mari

Eft loin de toutes ces tendreffes!

MERCURE à part.

La Nuit, qu'il me faut avertir,
N'a plus qu'à plier tous fes voiles;
Et, pour effacer les étoiles,

Le foleil, de fon lit, peut maintenar.t sortir.
CLEANTHIS arrêtant Mercure.
Quoi! C'eft ainfi que l'on me quitte
MERCUR E.

Et comment donc ? Ne veux-tu pas
Que de mon devoir je m'acquite?
Et que d'Amphitryon j'aille fuivre les pas ?
Tome V.

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CLEAN THIS.
Mais, avec cette brufquerie,
Traître, de moi te féparer ?
MERCURE.

Le beau fujet de fâcherie!

Nous avons tant de temps enfemble à demeurer.
CLEAN THIS.

Mais quoi! Partir ainfi d'une façon brutale,
Sans me dire un feul mot de douceur pour régale
MERCURE.

Diantre! Où veux-tu que mon esprit,
T'aille chercher des fariboles?

Quinze ans de mariage épuisent les paroles;
Et, depuis un long-temps, nous nous fommes tour

dit.

CLEAN THIS.

Regarde, traître, Amphitryon,
Vois combien pour Alcméne il étale de flamme;
Et rougis, là-deffus, du peu de paffion

Que tu témoignes pour ta femme,
MERČUR E.

Hé, mon Dieu! Cléanthis, ils font encore amans.
Il eft certain âge où tout paffe;
Et ce qui leur fiéd bien dans ces commencemens,
En nous, vieux mariés, auroit mauvaife grace.
Il nous feroit beau voir attachés, face à face,
A pouffer les beaux fentimens.
CLEAN THIS.

Quoi! Suis-je hors d'état, perfide, d'espérer
Qu'un cœur auprès de moi foupire?

MERCURE.

Non, je n'ai garde de le dire;

Mais je fuis trop barbon pour ofer foupirer,
Et je ferois crever de rire.

CLEAN THIS.

Mérites-tu, pendard, cet infigne bonheur,
De te voir, pour époufe, une femme d'honneur?

MERCURE.

Mon Dieu ! Tu n'es que trop honnête;
Ce grand honneur ne me vaut rien.
Ne fois point fi femme de bien,
Et me romps un peu moins la tête.
CLEAN THIS.

Comment? De trop bien vivre, on te voit me blâmer?
MER CURE.

La douceur d'une femme eft tout ce qui me charme;
Et ta vertu fait un vacarme

Qui ne ceffe de m'affommer.
CLEAN THIS.

Il te faudroit des cœurs pleins de fauffes tendreffes,
De ces femmes aux beaux & louables talens
Qui favent accabler leurs maris de careffes,
Pour leur faire avaler l'usage des galans.
MERCURE.

Ma foi, veux-tu que je te dife?

Un mal d'opinion ne touche que les fots;
Et je prendrois pour ma devife,
Moins d'honneur & plus de repos.
CLEAN THIS.

Comment? Tu fouffrirois, fans nulle répugnance,
Que j'aimaffe un galant avec toute licence?
MERCURE.

Oui, fi je n'étois plus de tes cris rebattu,
Et qu'on te vît changer d'humeur & de méthode.
J'aime mieux un vice commode,
Qu'une fatiguante vertu.

Adieu, Cléanthis, ma chére ame,
Il me faut fuivre Amphitryon.
CLEANTHIS feule.

Pourquoi, pour punir cet infame,

Mon cœur n'a-t-il affez de réfolution?
Ah! Que dans cette occafion',
J'enrage d'être honnête femme!

Fin du premier acte.

ACTE I I.

SCENE PREMIERE.

AMPHITRYON, SOSIE.

AMP HITRY ON.

VIEN-CA, bourreau, vien-çà. Sais-tu, maître

fripon,

Qu'à te faire affommer ton difcours peut fuffire;
Et que, pour te traiter comme je le defire,
Mon courroux n'attend qu'un bâton.
SOSIE.

Si vous le prenez fur ce ton
Monfieur, je n'ai plus rien à dire;
Et vous aurez toujours raison.

AMPHITRYON.

Quoi! Tu veux me donner pour des vérités, traître,
Des contes que je vois d'extravagance outrés ?
SOSIE.

Non, je fuis le valet, & vous êtes le maître ;
Il n'en fera, Monfieur, que ce que vous voudrez.
AMPHITRYON.

Çà, je veux étouffer le courroux qui m'enflamme,
Et, tout du long, t'ouïr fur ta commiffion.

Il faut, avant que voir ma femme, Que je débrouille ici cette confufion.

Rappelle tous tes fens, rentre bien dans ton ame; Et répons, mot pour mot, à chaque question.

SOSIE.

Mais, de peur d'incongruité,
Dites-moi, de grace, à l'avance,

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