Mon maître Amphitryon ne m'a-t-il pas commis A venir en ces lieux vers Alcméne fa femme? Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant fa flamme, Un récit de fes faits contre nos ennemis? Ne fuis-je pas du port arrivé tout à l'heure?
Ne tiens-je pas une lanterne en main ? Ne te trouvai-je pas devant notre demeure? Ne t'y parlai-je pas d'un efprit tout humain ? Ne te tiens-tu pas fort de ma poltronnerie ?
Pour m'empêcher d'entrer chez nous, N'as-tu pas fur mon dos exercé ta furie?
Ne m'as-tu pas roué de coups? Ah! Tout cela n'eft que trop véritable, Et, plût au ciel, le fût-il moins! Ceffe donc d'infulter au fort d'un miférable; Et laiffe à mon devoir s'acquiter de fes foins. MERCURE.
Arrête; ou, fur ton dos, le moindre
Un affomant éclat de mon jufte courroux. Tout ce que tu viens de dire Eft à moi hormis les coups. SOSIE.
Ce matin, du vaiffeau, plein de frayeur en l'ame, Cette lanterne fait comme je fuis parti.
Amphitryon, du camp, vers Alcméne fa femme, M'a-t-il pas envoyé ?
Vous en avez menti. C'est moi qu'Amphitryon députe vers Alcméne; Et qui, du port Perfique, arrive de ce pas. Moi, qui viens annoncer la valeur de fon bras, Qui nous fait remporter une victoire pleine; Et de nos ennemis a mis le chef à bas. C'est moi qui fuis Sofie enfin, de certitude, Fils de Dave, honnête berger, Frere d'Arpage, mort en pays étranger; Mari de Cléanthis la prude,
Dont l'humeur me fait enrager;
Qui, dans Thébe, ai reçû mille coups d'étriviére, Sans en avoir jamais dit rien;
Et jadis, en public, fus marqué par derriére Pour être trop homme de bien. SOSIE bas à part.
Il a raifon. A moins d'être Sofie, On ne peut pas favoir tout ce qu'il dit Et, dans l'étonnement dont mon ame eft faifie, Je commence, à mon tour, à le croire un petit. En effet ; maintenant que je le confidére,
Je vois qu'il a de moi taille, mine, action; Faifons-lui quelque queftion,. Afin d'éclaircir ce mystére.
Parmi tout le butin fait fur nos ennemis,
Qu'est-ce qu'Amphitryon obtient pour fon partage?
gros diamans en nœud proprement mis, Dont leur chef fe paroit comme d'un rare ouvrage. SOSIE.
A qui deftine-t-il un fr riche préfent ?
MERCURE.
A fa femme ; &, fur elle, il le veut voir paroître.
Mais où, pour l'apporter, est-il mis à préfént? MERCUR E.
Dans un coffret fcellé des armes de mon maître.
SOSIE bas à part.
Il ne ment pas d'un mot, à chaque repartie; Et, de moi, je commence à douter tout de bon.. Près de moi, par la force, il eft déjà Sofie; Il pourroit bien encor l'être par la raison. Pourtant quand je me tâte, & que je me rappelle, Il me femble que je fuis moi.
Où puis-je rencontrer quelque clarté fidéle
Pour démêler ce que je voi?
Ce que j'ai fait tout feul, & que n'a vû perfonne, A moins d'être moi-même, on ne le peut favoir. Par cette queftion il faut que je l'étonne C'eft de quoi le confondre, & nous allons le voir. (haut.)
Lorfqu'on étoit aux mains, que fis-tu dans nos teates Où tu courus feul te fourrer ?
SOSIE bas à L'y voilà! MERCURE.
Je coupai bravement deux tranches fucculentes, Dont je fûs fort bien me bourrer. Et joignant à cela d'un vin que l'on ménage, Et dont, avant le goût, les yeux fe contentoient Je pris un peu de courage Pour nos gens qui fe battoient. SOSIE bas à part.
Cette preuve fans pareille En fa faveur conclut bien; Et l'on n'y peut dire rien, S'il n'étoit dans la bouteille.
Je ne faurois nier, aux preuves qu'on m'expofe Que tu ne fois Soifie; & j'y donne ma voix. Mais fi tu l'es, dis-moi qui tu veux que je fois; Car encor faut-il bien que je fois quelque chofe MERCURE.
Quand je ne ferai plus Sofie, Sois-le, j'en demeure d'accord
Mais, tant que je le fuis, je te garantis mort Si tu prens cette fantaisie. SOSIE.
Tout cet embarras met mon efprit fur les dents Et la raifon à ce qu'on voit s'oppofe.
Mais il faut terminer enfin par quelque chofe &
Et le plus court pour moi, c'est d'entrer là dedans. MERCURE.
Ah! Tu prens donc, pendard, goût à la baftonnade? SOSIE battu par Mercure.
Ah! Qu'est-ce-ci, grands Dieux! Il frappe un ton plus fort;
Et mon dos, pour un mois, en doit être malade. Laiffons ce diable d'homme ; & retournons au port. O jufte ciel ! J'ai fait une belle ambaffade !
MERCURE feul. Enfin, je l'ai fait fuir; &, fous ce traitement De beaucoup d'actions il a reçû la peine. Mais je vois Jupiter, que fort civilement
Reconduit l'amoureuse Alcméne.
SCENE III.
JUPITER fous la figure d'Amphitryon ALCMENE, CLEANTHIS,
D Efendez, chere Alcméne, aux flambeaux d'ap
Ils m'offrent des plaifirs en m'offrant votre vûe; Mais ils pourroient ici découvrir ma venue Qu'il eft à propos de cacher.
Mon amour, que gênoient tous ces foins éclatans Où me tenoit lié la gloire de nos armes Aux devoirs de ma charge, a volé les inftans Qu'il vient de donner à vos charmes. Ce vol qu'à vos beautés mon cœur a confacré Pourroit être blâmé dans la bouche publique; Et j'en veux pour témoin unique Celle qui peut m'en favoir gré.
Je prens, Amphitryon, grande part à la gloire Que répandent fur vous vos illuftres exploits ; Et l'éclat de votre victoire
Sait toucher de mon cœur les fenfibles endroits; Mais, quand je vois que cet honneur fatal Eloigne de moi ce que j'aime,
Je ne puis m'empêcher dans ma tendreffe extrême, De lui vouloir un peu de mal; Et d'oppofer mes vœux à cet ordre fuprême, Qui des Thébains vous fait le Général. C'est une douce chofe, après une victoire, Que la gloire où l'on voit ce qu'on aime élevé ; Mais, parmi les périls mêlés à cette gloire, Un trifte coup, hélas ! eft bien-tôt arrivé. De combien de frayeurs a-t-on l'ame bleffée,
Au moindre choc dont on entend parler? Voit-on, dans les horreurs d'une telle penfée, Par où jamais fe confoler
Du coup dont on eft menacée ?
Et, de quelque laurier qu'on couronne un vainqueur, Quelque part que l'on ait à cet honneur fuprême Vaut-il ce qu'il en coûte aux tendreffes d'un cœur Qui peut,à tout moment, trembler pour ce qu'il aime? JUPITER.
Je ne vois rien en vous dont mon feu ne s'augmente, Tout y marque à mes yeux un cœur bien enflammé; Et c'eft, je vous l'avoue, une chofe charmante De trouver tant d'amour dans un objet aimé. Mais, fi je l'ofe dire, un fcrupule me gêne Aux tendres fentimens que vous me faites voir; les bien goûter, mon amour, chere Alc-
Voudroit n'y voir entrer rien de votre devoir, Qu'à votre feule ardeur, qu'à ma feule perfonne, Je dûffe les faveurs que je reçois de vous; Et que la qualité que j'ai de votre époux,
Ne fût point ce qui me les donne,
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