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dins de Versailles, où, parmi les plaifirs que l'or trouve dans un féjour fi délicieux, l'efprit fut encore touché de ces beautés furprenantes & extraordinaires, dont ce grand Prince fait fi bien affaiffonner tous fes divertiffemens.

Pour cet effet, voulant donner la comédie enfuite d'une collation, & après la comédie, le fouper, qui fût fuivi d'un bal & d'un feu d'artifice, il jetta les yeux fur les perfonnes qu'il jugea les plus capables pour difpofer toutes les chofes propres à cela. Il leur marqua lui-même les endroits où la difpofition du lieu pouvoit, par fa beauté naturelle, contribuer davantage à leur décoration; &, parce que l'un des plus beaux ornemens de cette maison est la quantité des eaux que l'art y a conduites malgré la nature qui les lui avoit refufées, sa Majefté leur ordonna de s'en fervir le plus qu'ils pourroient à l'embellissement de ces lieux, & même leur ouvrit les moyens de les employer, & d'en tirer les effets qu'elles peuvent faire.

Pour l'exécution de cette fête le duc de Crequy, comme premier gentilhomme de la chambre, fut chargé de ce qui regardoit la comédie; le maréchal de Bellefonds, comme premier maître d'hôtel du Roi, prit foin de la collation, du fouper & de tout ce qui regardoit le service des tables ; & Monfieur Colbert, comme furintendant des bâtimens, fit conftruire & embellir les divers lieux destinés à ce divertissement royal, & donna les ordres pour l'exécution des feux d'artifice.

Le fieur Vigarani eut ordre de dreffer le théatre pour la comédie, le fieur Giffey d'accommoder un endroit pour le fouper, & le Sieur le Vau premier architecte du Roi un autre pour le bal.

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Le mercredi 18e jour de juillet, le Roi étant parti de faint Germain vint dîner à Versailles avec la Reine, Monfeigneur le Dauphin, Monfieur & Madame. Le reste de la cour, étant arrivé incontinent

après midi, trouva des officiers du Roi qui faifoient Les honneurs. & recevoient tout le monde dans les falles du château, où il y avoit en plufieurs endroits des tables dreffées, & de quoi fe rafraîchir; les principales Dames furent conduites dans des chambres particuliéres pour fe repofer.

Sur les fix heures du foir, le Roi, ayant commandé au marquis de Gefvres, capitaine de fes gardes, de faire ouvrir toutes les portes afin qu'il n'y eût perfonne qui ne prît part au divertiffement, fortit du château avec la Reine, & tout le refte de la cour, pour prendre le plaifir de la promenade.

Quand leurs Majeftés eurent fait le tour du grand parterre, elles défcendirent dans celui de gazon qui eft du côté de la grotte, où, après avoir confidéré les fontaines qui les embelliffent, elles s'arrêtérent particuliérement à regarder celle qui eft au bas du petit parc du côté de la pompe. Dans le milieu de fon baffin, l'on voit un dragon de bronze, qui, percé d'une fléche, femble vomir le fang par la gueule, en pouffant en l'air un bouillon d'eau qui retombe en pluie, & couvre tout le baffin.

Autour de ce dragon, il y a quatre petits Amours fur des cygnes qui font chacun un grand jet d'eau, & qui nagent vers le bord comme pour fe fauver. Deux de ces Amours qui font en face du dragon, fe cachent le visage avec la main pour ne le pas voir, & fur leur vifage l'on apperçoit toutes les marques de la crainte parfaitement exprimées ; les deux autres, plus hardis, parce que le monftre n'eft pas tourné de leur cô. té, l'attaquent de leurs armes. Entre ces amours font des dauphins de bronze, dont la gueule ouverte pouffe en l'air de gros bouillons d'eau.

Leurs Majeftés allerent enfuite chercher le frais dans ces bofquets fi délicieux, où l'épaiffeur des arbres empêche que le foleil ne fe faffe fentir. Lorfqu'elles furent dans celui dont un grand nombre d'agréables allées forme une espèce de labyrinthe, elles

arrivérent, après plufieurs détours, dans un cabi net de verdure pentagone, où aboutiffent cinq allées. Au milieu de ce cabinet, il y a une fontaine, dont le baffia eft bordé de gazon. De ce baffin fortoient cinq tables en maniére de buffets chargées de toutes les choles qui peuvent compofer une collation magnifique.

L'une de ces tables repréfentoit une montagne, où, dans plufieurs espéces de cavernes, on voyoit diverfes fortes de viandes froides, l'autre étoit comme la face d'un palais bâti de massepains & pâtes fucrées. Il y en avoit une chargée de pyramides de confitures féches, une autre d'une infinité de vafes remplis de toutes fortes de liqueurs ; & la derniére étoit compofée de caramels. Toutes ces tables, dont les plans étoient ingénieusement formés en divers compartimens, étoient couvertes d'une infinité de chofes délicates, & difpofées d'une manière toute nouvelle; leurs piéds & leurs doffiers étoient environnés de feuillages, mêlés de feftons de fleurs, dont une partie étoit foutenue par des Bacchantes. Ily avoit, entre ces tables, une petite peloufe de mouffe verte, qui s'avançoit dans le baffin, & fur laquelle on voyoit, dans de grands vafes, des orangers, dont les fruits étoient confits; chacun de ces orangers avoit à côté de lui, deux autres arbres de différentes efpéces, dont les fruits étoient pareillement confits.

Du milieu de ces tables s'élevoit un jet d'eau de plus de trente pieds de haut, dont la chûte faifoit un bruit très-agréable; de forte qu'en voyant tous ces buffets d'une même hauteur, joints les uns aux autres par les branches d'arbres & les fleurs dont ils étoient revêtus, il fembloit que ce fût une petite montagne, du haut de laquelle fortît une fontaine.

La paliffade qui fait l'enceinte de ce cabinet, étoit difpofée d'une maniére toute particuliére; le jardinier, ayant employé son industrie à bien ployer les

branches des arbres, & à les lier enfemble en diverfes façons, en avoit formé une espèce d'architecture. Dans le milieu du couronnement, on voyoit un focle de verdure, fur lequel il y avoit un de, qui portoit un vafe rempli de fleurs. Aux côtés du dé, & fur le méme focle, étoient deux autres va es de fleurs; &, en cet endroit, le haut de la paliñade, venant doucement à s'arrondir en forme de galbe, fe terminoit aux deux extrémités, par deux autres vases auffi remplis de fleurs.

Au lieu de fiéges de gazon, il y avoit, tout au tour du cabinet, des couches de melons, dont la quantité, la groffeur & la bonté, étoient furprenantes pour la faifon. Ces couches étoient faites d'une maniere toute extraordinaire ; &, à bien confidérer la beauté de ce lieu, l'on auroit pû dire autrefois, que les hommes n'auroient point eu de part à un fi bel arrangement, mais que quelques divinités de ces bois auroient employé leurs foins pour l'embellir de la forte.

Comme il y a cinq allées qui fe terminent toutes dans ce cabinet, & qui forment une étoile, l'on trouvoit ces allées ornées de chaque côté, de vingt-fix arcades de cyprès. Sous chaque arcade, & fur des fiéges de gazon, il y avoit de grands vafes remplis de divers arbres, chargés de leurs fruits. Dans la premiére de ces allées, il n'y avoit que des orangers de Portugal. La feconde étoit toute de bigarreautiers & de cerifiers mêlés ensemble. La troifiéme étoit bordée d'abricotiers & de pêchers. La quatrième, de grofelliers de Hollande; &, dans la cinquiéme, l'on ne voyoit que des poiriers de différentes efpéces. Tous ces arbres faifoient un agréable objet à la vûe, à caufe de leurs fruits, qui paroiffoient encore davantage contre l'épaiffeur du bois.

Au bout de ces cinq allées, il y a cinq grandes niches de verdure, que l'on voit toutes en face du milieu du cabinet. Ces niches étoient cintrées; & 2

fur les pilaftres des côtés, s'élevoient deux rouleaux qui s'alloient joindre à un quarré qui étoit au milieu. Dans ce quarré, l'on voyoit les chiffres du Roi, compofés de différentes fleurs ; &, des deux côtés, pendoient des feftons qui s'attachoient à l'extrémité des rouleaux. A côté de la niche, il y avoit deux arcades auffi de verdure, avec leurs pilaftres, d'un côté & d'autre ; & tous ces pilaftres étoient terminés par des vafes remplis de fleurs.

Dans l'une de ces niches, étoit la figure du Dieu Pan, qui, ayant fur le vifage toutes les marques de la joie, fembloit prendre part à celle de toute l'affemblée. Le fculptenr l'avoit difpofé dans une action qui faifoit connoître qu'il étoit mis là, comme la divinité qui préfidoit dans ce lieu.

Dans les quatre autres niches, il y avoit quatre Satyres, deux hommes & deux femmes, qui tous fembloient danfer, & témoigner le plaifir qu'ils reffentoient de fe voir vifités par un fi grand Monarque fuivi d'une fi belle cour. Toutes ces figures étoient dorées, & faifoient un effet admirable contre le verd de ces paliffades.

Après que leurs Majeftés eurent été quelque temps dans cet endroit fi charmant, & que les Dames eurent fait collation, le Roi abandonna les tables au pillage des gens qui fuivoient; & la deftruction d'un arrangement fi beau, fervit encore d'un divertiffement agréable à toute la cour, par l'empreffement & la confufion de ceux qui démoliffoient ces châteaux de maffepains, & ces montagnes de confitures.

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Au fortir de ce lieu, le Roi rentrant dans une caléche, la Reine dans fa chaife, & tout le refte de la cour dans leurs carroffes, pourfuivirent leur promenade pour se rendre à la comédie & paffant dans une grande allée de quatre rangs de tilleuls, firent le tour du baffin de la fontaine des cygnes, qui termine l'allée royale vis-à-vis du château. Ce baffin eft un quarré long finiffant par deux demi-ronds. Sa

longueur

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