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SCENE X.

ANGELIQUE, CLITANDRE, CLAUDINE, MONSIEUR DE SOTENVILLE& MADAME DE SOTENVILLE avec GEORGE DANDIN, dans le fond du théatre.

A

ANGELIQUE à Clitandre.

Dieu. J'ai peur qu'on vous furprenne ici ; & j'ai quelques mefures à garder.

CLIT ANDRE.

Promettez-moi donc, Madame, que je pourrai vous parler cette nuit.

ANGELIQUE.

J'y ferai mes efforts.

GEORGE DANDIN à M. & à Madame de So

tenville.

Approchons doucement par derriére; & tâchons de n'être point vûs.

CLAUDINE.

Ah! Madame, tout eft perdu. Voilà votre pere & votre mere accompagnés de votre mari.

Ah, ciel !

CLIT ANDRE.

ANGELIQUE bas à Clitandre & à Claudine. Ne faites pas femblant de rien, & me laiffez faire tous deux. ( haut à Clitandre. ) Quoi ! Vous ofez en ufer de la forte, après l'affaire de tantôt, & c'eft ainfi que vous diffimulez vos fentimens ? On me vient rapporter que vous avez de l'amour pour moi, & que vous faites des deffeins de me folliciter, j'en témoigne mon dépit, & m'explique à vous clairement

en préfence de tout le monde ; vous niez hautement la chofe, & me donnez parole de n'avoir aucune pen fée de m'offenfer, & cependant, le même jour, vous prenez la hardieffe de venir chez moi me rendre vifite, de me dire que vous m'aimez, & de me faire cent fots contes, pour me perfuader de répondre à vos extravagances, comme fi j'étois femme à violer la foi que j'a: donnée à un mari, & m'éloigner jamais de la vertu que mes parens m'ont enfeignée? Si mon pere favoit cela, il vous apprendroit bien à tenter de ces entreprises; mais une honnête femme n'aime point les éclats, je n'ai garde de lui en rien dire ; (après avoir fait figne à Claudine d'apporter un bâton. ) & je veux vous montrer, que toute femme que je fuis, j'ai affez de courage pour me venger moi-même des offenfes que l'on me fait. L'action que vous avez faite n'eft pas d'un gentilhomme ; & ce n'est pas en gentilhomme auffi que je veux vous traiter.

(Angélique prend le bâton, & le léve fur-Clitandre, qui fe range de façon que les coups tombent für George Dandin.)

CLITANDRE criant comme s'il avoit été frapé. Ah, ah, ah, ah, ah! Doucement.

SCENE X I.

MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, ANGELIQUE,GEORGE DANDIN, CLAUDINE.

CLAUDINE.

Fort, Madame, frappez comme il faut.

ANGELIQUE faifant femblant de parler à Clitandre. S'il vous demeure quelque chofe für le cœur, je fuis pour vous répondre.

CLAUDINE.

Apprenez à qui vous vous jouez.

ANGELIQU ́E faisant l'étonnée.

Ah! Mon pere, vous étes-lå?

M. DE SOTENVILLE.

Oui, ma fille ; & je vois qu'en fageffe & en courage tu te montres un digne rejetton de la maison de Sotenville. Vien-çà, approche-toi que je t'embraffe. Madame DE SOTENVILLE.

Embraffe-moi auffi, ma fille. Las! Je pleure de joie, & reconnois mon fang aux chofes que tu viens de faire.

M. DE SOTENVILLE.

Mon gendre, que vous devez être ravi, & que cette aventure eft pour vous pleine de douceurs ! Vous aviez un jufte fujet de vous alarmer; mais vos foupçons se trouvent diffipés le plus avantageusement du monde.

Madame D E SOTENVILLE.

Sans doute, notre gendre, vous devez maintenant être le plus content des hommes.

CLAUDINE.

Affurément. Voilà une femme celle-là, vous étes trop heureux de l'avoir; & vous devriez baifer les pas par où elle paffe.

GEORGE DANDIN à part.

Hé, traîtreffe!

M. DE SOTENVILLE.

Qu'est-ce, mon gendre ? Que ne remerciez-vous un peu votre femme de l'amitié que vous voyez qu'elle montre pour vous ?

ANGELIQUE.

Non, non 9 mon pere, il n'est pas nécessaire. Il ne m'a aucune obligation de ce qu'il vient de voir; & tout ce que j'en fais, n'eft que pour l'amour de moimême.

M. DE SOTENVILLE.

Où allez-vous, ma fille?

ANGELIQUE.

Je me retire, mon pere, pour ne me point voir obli gée à recevoir fes complimens.

CLAUDINE à George Dandin.

Elle a raifon d'être en colére. C'eft une femme qui mérite d'être adorée, & vous ne la traitez pas comme vous devriez.

GEORGE DANDIN à part..

Scélérate!

SCENE XII.

MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, GEORGE DANDIN.

M. DE SOTENVILLE.

C'Eft un petit reffentiment de l'affaire de tantôt,

& cela fe paffera avec un peu de careffe que vous lui ferez. Adieu mon gendre, vous voilà en état de ne vous plus inquiéter. Allez-vous-en faire la paix enfemble, & tâchez de l'appaifer par des excufes de votre emportement.

Madame D E SOTENVILLE.

Vous devez confidérer que c'eft une jeune fille élevée à la vertu, & qui n'eft point accoûtumée à fe voir foupçonner d'aucune vilaine action. Adieu. Je fuis ravie de voir vos défordres finis,& des tranfports de joie que vous doit donner fa conduite.

J

SCENE XIII.

GEORGE DANDIN feul.

E ne dis mot; car je ne gagnerois rien à parler. Jamais il ne s'eft rien vu d'égal à ma difgrace. Oui, j'admire mon malheur, & la fubtile adreffe de ma carogne de femme pour fe donner toujours raifon, & me faire avoir tort. Eft-il poffible que toujours j'aurai du deffous avec elle, que les apparences tou

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