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CLIT ANDRE.

Je m'en réjouis fort.

M. DE SOTENVILLE.

Mon nom eft connu à la cour; & j'eus l'honneur dans ma jeuneffe, de me fignaler, des premiers, à l'arriére-ban de Nancy.

CLITAN DRE.

A la bonne heure.

M. DE SOTENVILLE.

Monfieur mon pere, Jean-Gilles de Sotenville, eut la gloire d'affifter, en perfonne, au grand fiége de Montauban.

J'en fuis ravi.

CLITAN DRE.

M. DE SOTENVILLE. Et j'ai eu un ayeul, Bertrand de Sotenville, qui fut fi confidéré, en fon temps, que d'avoir permiffion de vendre tout fon bien pour le voyage d'ou

tre-mer.

CLITAN DRE.

Je le veux croire.

M. DE SOTENVILLE. Il m'a été rapporté, Monfieur, que vous aimez & poursuivez une jeune perfonne, qui eft ma fille (montrant George Dandin.) pour laquelle je m'intéreffe, & pour l'homme que vous voyez, qui a l'honneur d'être mon gendre. CLITANDRE.

Qui? Moi?

M. DE SOTENVILLE. Oui ; & je fuis bien aife de vous parler, pour tirer de vous, s'il vous plaît, un éclairciffement de cette affaire.

CLITANDRE.

Voilà une étrange médifance! Qui vous a dit cela, Monfieur ?

M. DE SOTENVILLE. Quelqu'un qui croit le bien favoir.

CLITAN DRE.

Ce quelqu'un-là en a menti. Je fuis honnête homme. Me croyez-vous capable, Monfieur, d'une action aussi lâche que celle-là ? Moi, aimer une jeune & belle perfonne, qui a l'honneur d'être la fille de Monfieur le Baron de Sotenville! Je yous révére trop pour cela, & fuis trop votre ferviteur. Quiconque vous l'a dit eft un fot.

M. DE SOTENVILLE.

'Allons, mon gendre.

GEORGE DANDIN.

Quoi ?

CLITANDRE.

C'est un coquin & un maraud.

M. DE SOTENVILLE à George Dandin Répondez.

GEORGE DANDIN.

Répondez vous-même.

CLITAN DRE.

Si je favois qui ce peut être, je lui donnerois, en votre présence, de l'épée dans le ventre.

M. DE SOTENVILLE à George Dandin Soutenez donc la chofe.

GEORGE DANDIN.

Elle eft toute foutenue. Cela eft vrai.

CLITAN DRE.

Eft-ce votre gendre, Monfieur, qui...
M. DE SOTENVILLE.

Oui, c'eft lui-même qui s'en eft plaint à moi.

CLIT AND RE.

Certes, il peut remercier l'avantage qu'il a de vous appartenir; &, fans cela, je lui apprendrois bien à tenir de pareils difcours d'une perfonne comme moi.

SCENE V I.

MONSIEUR DE SOTENVILLE MADAME DE SOTENVILLE ANGELIQUE, CLITANDRE, GEORGE DANDIN, CLAUDINE.

P

Madame DE SOTENVILLE.

Our ce qui eft de cela, la jaloufie eft une étrange chofe! J'améne ici ma fille pour éclaircir l'affaire en préfence de tout le monde.

CLITANDRE à Angelique. Eft-ce donc vous, Madame, qui avez dit à votre mari, que je fuis amoureux de vous?

ANGELIQUE.

Moi? Hé, comment lui aurois-je dit? Eft-ce que cela eft? Je voudrois bien le voir, vraiment, que vous fuffiez amoureux de moi. Jouez-vous-y je vous en prie, vous trouverez à qui parler; c'est une chofe que je vous confeille de faire. Ayez recours, pour voir, tous les détours des amans 9 effayez un peu, par plaifir, à m'envoyer des ambaffades, à m'écrire fecrettement de petits billets doux, à épier les momens que mon mari n'y fera pas, ou le temps que je fortirai, pour me parler de votre amour; vous n'avez qu'à y venir, je vous promets que vous ferez reçû comme il faut.

CLITAN DRE.

Hé, là, là, Madame, tout doucement. Il n'eft pas néceffaire de me faire tant de leçons, & de vous tant fcandalifer. Qui vous dit que je fonge à vous aimer ?

ANGELIQUE.

Que fais-je, moi, ce qu'on me vient conter ici?

CLITAN DRE. On dira ce que l'on voudra; mais vous favez fi je vous ai parlé d'amour, lorfque je vous ai rencontrée.

ANGELIQUE.

Vous n'aviez qu'à le faire, vous auriez été bien

venu.

CLIT ANDRE.

Je vous affure qu'avec moi vous n'avez rien à craindre, que je ne fuis point homme à donner du chagrin aux belles; & que je vous respecte trop, & vous, & Meffieurs vos parens, pour avoir la penfée d'être amoureux de vous.

Madame DE SOTENVILLE à George Dandin. Hé bien, vous le voyez.

M. DE SOTENVILLE. Vous voilà fatisfait, mon gendre. Que dites-vous à cela ?

GEORGE DANDIN. Je dis que ce font-là des contes à dormir debout, que je fais bien ce que je fais; & que, tantôt, puifqu'il faut parler net, elle a reçû une ambaffade de fa part.

ANGELIQUE. Moi ? J'ai reçû une ambaffade?

CLITAN DRE.

J'ai envoyé une ambaffade?

Claudine.

Eft-il vrai ?

ANGELIQUE.

CLITANDRE à Angélique.

CLAUDINE.

Par ma foi, voilà une étrange fauffeté.

GEORGE DANDIN.

Taifez-vous, carogne que vous étes. Je fais de vos nouvelles; & c'est vous qui, tantôt, avez intreduit le courier.

CLAUDINE.

Qui ? Moi ?

GEORGE DANDIN.

Oui, vous. Ne faites point tant la sucrée.

CLAUDINE.

Hélas! Que le monde aujourd'hui eft rempli de méchanceté de m'aller foupçonner ainfi, moi, qui fuis l'innocence même!

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GEORGE DANDI N.

Taifez-vous, bonne piéce. Vous faites la fournoife, mais je vous connois il y a long-temps; & vous étes une deffalée.

CLAUDINE à Angélique.

Madame, eft-ce que ...

GEORGE DANDIN.

Taifez-vous, vous dis-je, vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres, & vous n'avez point de pere gentilhomme.

ANGELIQUE.

C'eft une impofture fi grande, & qui me touche fi fort au cœur, que je ne puis pas même avoir la force d'y répondre. Cela eft bien horrible, d'être accufée par un mari, lorfqu'on ne lui fait rien qui ne foit à faire. Hélas! Si je fuis blàmable de quelque chofe, c'eft d'en ufer trop bien avec lui.

Affurément.

CLAUDINE.

ANGELIQUE.

Tout mon malheur eft de le trop confidérer; & plât au ciel que je fuffe capable de fouffrir, comme il dit, les galanteries de quelqu'un, je ne ferois pas tant à plaindre! Adieu,je me retire, je ne puis plus endurer qu'on m'outrage de cette forte.

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