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HARPAGON.

Je me suis abusé de dire une potence; & tu feras roué

tout vif.

ELISE aux genoux d'Harpagon. Ah! Mon pere, prenez des fentimens un peu plus humains, je vous prie; & n'allez point pouffer les chofes dans les derniéres violences du pouvoir paternel. Ne vous laiffez point entraîner aux premiers mouvemens de votre paffion; & donnez-vous le temps de confidérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offenfez, il est tout autre que vos yeux ne le jugent; & vous trouverez moins étrange que je me fois donnée à lui, lorfque vous faurez que, fans lui, vous ne m'auriez plus il y a long-temps. Oui, mon pere, c'est celui qui me fauva de ce grand péril que vous favez que je courus dans l'eau, & à qui vous devez la vie de cette même fille, dont...

HARPAGON.

Tout cela n'eft rien; & il valoit bien mieux pour moi, qu'il te laiffât noyer, que de faire ce qu'il a fait.

ELISE.

Mon pere, je vous conjure, par l'amour paternel,

de me...

HARPAGON.

Non, non, je ne veux rien entendre ; & il faut que La justice faffe fon devoir.

M. JACQUES à part.

Tu me payeras mes coups de bâton.

FROSINE à part.

Voici un étrange embarras.

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ANSELME, HARPAGON, ELISE, MARIANE, FROSINE, VALERE UN COMMISSAIRE, MAISTRE JACQUES.

Q

ANSELM E.

U'eft-ce, Seigneur Harpagon? Je vous vois

tout émû ?

HARPAGON.

Ah! Seigneur Anfelme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes, & voici bien du trouble & du défordre au contrat que vous venez faire. On m'affaffine dans le bien, on m'affaffine dans l'hon-neur; & voilà un traître, un fcélérat, qui a violé tous les droits les plus faints, qui s'eft coulé chez moi fous le titre de domeftique, pour me dérober mon argent, & pour me fuborner ma fille.

VALER E.

Qui fonge à votre argent, dont vous me faites un galimathias?

HARPAGON. Oui, ils fe font donnés l'un à l'autre une promeffe de' mariage. Cet affront vous regarde, Seigneur Anfel& c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, & faire, à vos dépens, toutes les pourfuites de la juftice, pour vous venger de fon infolence.

me,

ANSELM E.

Ce n'eft pas mon deffein de me faire époufer par force, & de rien prétendre à un cœur qui fe feroit donné; mais, pour vos intérêts, je fuis prêt à les embraffer ainfi que les miens propres.

HARPA GON.

Voilà Monfieur, qui eft un honnête commiffaire ; qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fon(au commiffare, montrant Valére.) tion de fon office. Chargez-le, comme il le faut, Monfieur, & rendez les chofes bien criminelles.

VALER E.

Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la paffion que j'ai pour votre fille, & le fupplice où vous croyez que je puiffe être condamné pour notre engagement, lorfqu'on faura ce que je fuis.

HARPAGON.

Je me moque de tous ces contes ; & le monde aujourd'hui n'eft plein que de ces larrons de nobleffe, que de ces impofteurs, qui tirent avantage de leur obfcurité & s'habillent infolemment du premier nom illuftre qu'ils s'avifent de prendre.

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VALER E.

Sachez que j'ai le cœur trop bon, pour me parer de quelque chofe qui ne soit point à moi ; & que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance.

ANSELM E.

Tout beau; prenez garde à ce que vous allez dire. Vous rifquez ici plus que vous ne penfez; & vous parlez devant un homme à qui tout Naples eft connu, & qui peut aifément voir clair dans l'hiftoire que vous ferez.

VALER E.

Je ne fuis point homme à rien craindre ; & fi Naples vous eft connu 2 vous favez qui étoit Dom Thomas

d'Alburci.

ANSELM E.

Sans doute, je le fais; & peu de gens l'ont connu mieux que moi.

HARPAGON.

Je ne me foucie ni de Dom Thomas, ni de Dom Martin.

(Harpagon voyant deux chandelles allumées, en

fouffle une.

·)

ANSEL ME.

De grace, laiffez-le parler; nous verrons ce qu'il en veut dire.

VALER E.

Je veux dire, que c'eft lui qui m'a donné le jour.

Lui?

Oui.

ANSELME.

VALER E.

ANSELM E.

Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelqu'autre hiftoire qui vous puiffe mieux réuffir; & ne prétendez pas vous fauver fous cette imposture.

VALER E.

Songez à mieux parler. Ce n'eft point une impofture; & je n'avance rien, qu'il ne me foit aifé de juftifier. ANSEL ME.

Quoi? Vous ofez vous dire fils de Dom Thomas. d'Alburci?

VALER E.

Oui, je l'ofe; & fuis prêt de foutenir cette vérité contre qui que ce foit.

ANSEL M E. L'audace eft merveilleufe! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a feize ans, pour le moins, que l'homme, dont vous nous parlez, périt fur mer avec fes enfans & fa femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles perfécutions qui ont accompagné les défordres de Naples & qui en firent exiler plufieurs nobles familles.

VALER E. Oui; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que fon fils âgé de fept ans, avec un domeftique, fut fauvé de ce naufrage par un vaiffeau Efpagnol, & que ce fils fauvé eft celui qui vous perle: Apprenez que le capitaine de ce vaiffeau, touché de ma far

tune, prit amitié pour moi, qu'il me fit élever comi me fon propre fils ; & que les armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable; que j'ai fû depuis peu que mon pere n'étoit point mort,

comme

je l'avois toujours crû; que, paffant ici pour l'aller chercher, une aventure par le ciel concertée, me fit voir la charmanté Elife; que cette vûe me rendit efclave de fes beautés, & que la violence de mon amour, & les févérités de fon pere me firent prendre la réfolution de m'introduire dans fon logis, & d'envoyer un autre à la quête de mes parens.

ANSELM E.

Mais quels témoignages encore autres que vos paroles, nous peuvent affurer que ce ne foit point une fable que vous ayez bâtie fur une vérité?

VALERE.

Le capitaine Efpagnol, un cachet de rubis qui étoit à mon pere, un braffelet d'agathe que ma mere m'avoit mis au bras, le vieux Pedro, ce domestique qui fe fauva avec moi du naufrage.

MARIAN E.

Hélas! A vos paroles je puis ici répondre, moi, que vous n'impofez point; & tout ce que vous dites me fait connoître clairement que vous étes mon frere. VALER E.

Vous, ma fœur !

MARIAN E.

Oui, mon cœur s'eft émû dès le moment que vous avez ouvert la bouche; & notre mere que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des difgraces de notre famille. Le ciel ne nous fit point auffi périr dans ce trifte naufrage; mais il ne nous fauva la vie que par la perte de notre liberté ; & cefurent des corfaires qui nous recueillirent ma mere & moi fur un débris de notre vaiffeau. Après dix ans d'efclavage, une heureufe fortune nous rendit notre liberté, & nous retournames dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, fans y pouvoir trouver des

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