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me le mette dans l'eau bouillante ; & qu'on me le pende au plancher.

HARPAGON à M. Jacques.

Qui? Celui qui m'a dérobé?

M. JACQUES.

Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer, & je veux vous l'acommoder à ma fantaifie.

HARPAGON.

Il n'eft pas queftion de cela ; & voilà Monfieur, qui il faut parler d'autre chose.

LE COMMISSAIRE à M. Jacques. Ne vous épouvantez point. Je fuis homme à ne vous point fcandalifer ; & les chofes iront dans la dou

ceur.

M. JACQUES. Monfieur eft de votre foupé ?

LE

COMMISSAIRE.

Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.

M. JACQUES.

Ma foi, Monfieur, je montrerai tout ce que je fais faire ; & je vous traiterai du mieux qu'il me fera poffible.

HARPAGON.

Ce n'eft pas là l'affaire.

M. JACQUES.

Si je ne vous fais pas auffi bonne chére que je voudrois, c'eft la faute de Monfieur votre intendant qui m'a rogné les aîles avec les cifeaux de fon œconomie.

HARPAGON.

Traître, il s'agit d'autre chose que de fouper ; & je veux que tu me difes des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.

M. JACQUES.

On vous a pris de l'argent

HARPAGON.

Oui, coquin; & je m'en vais te faire pendre,

ne me le rens.

& que,

fi tu

LE COMMISSAIRE à Harpagon. Mon Dieu! Ne le maltraitez point. Je vois à fa mine qu'il eft honnête homme; fans fe faire mettre en prifon, il vous découvrira ce que vous voulez favoir. Oui, mon ami, fi vous nous confeffez la chofe, il ne vous fera fait aucun mal, & vous ferez récompenfé, comme il faut, par votre maître. On lui a pris aujourd'hui fon argent, & il n'eft pas que vous ne fachiez quelques nouvelles de cette affaire. M. JACQUES bas à part.

Voici juftement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant. Depuis qu'il eft entré céans, il eft le favori, on n'écoute que fes confeils; & j'ai auffi fur le cœur les coups de bâton de tantôt.

HARPAGON.

Qu'as-tu à ruminer?

LE COMMISSAIREà Harpagon. Laiffez-le faire. Il fe prépare à vous contenter; & je vous ai bien dit qu'il étoit honnête homme. M. JACQUES.

Monfieur, fi vous voulez que je vous dife les chofes, je crois que c'eft Monfieur votre cher intendant qui a fait le coup.

Valére?

Oui.

HARPAGON.

M. JACQUES.

HARPAGON.

Lui, qui me paroît fi fidéle ?

M. JACQUES.

Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé,

HARPAGON.

Et fur quoi le crois-tu ?

M. JACQUES

Sur quoi ?

Oui.

HARPAGON.

M. JACQUES.

Je le crois... fur ce que je le crois.

LE COMMISSAIRE.

Mais il eft néceffaire de dire les indices que vous

avez.

HARPAGON.

L'as-tu vû roder autour du lieu où j'avois mis mon argent?

M. JACQUES.

Oui, vraiment. Où étoit-il votre argent?

Dans le jardin.

HARPAGON.

M. JACQUES.

Juftement. Je l'ai vû roder dans le jardin. Et dans quoi eft-ce que cet argent étoit?

HARPAGON.

Dans une caffette.

M. JACQUES.

Voilà l'affaire. Je lui ai vû une caffette.

HARPAGON.

Et cette caffette comment eft-elle faite? Je verrai bien fi c'est la mienne.

M. JACQUES.

Comment elle eft faite ?

Oui.

HARPAGON.

M. JACQUES.

Elle eft faite... Elle eft faite comme une caffette LE COMMISSAIRE.

Cela s'entend. Mais dépeignez-là un peu pour voir. M. JACQUES.

C'eft une grande caffette.

HARPAGON.

Celle qu'on m'a volée eft petite.

M. JACQUES.

Hé,oui, elle eft petite, fi on le veut prendre par-las

mais je l'appelle grande pour ce qu'elle contient. LE COMMISSAIRE.

Et de quelle couleur eft-elle ?

M. JACQUES.

De quelle couleur?

Oui.

LE COMMISSAIRE.

M. JACQUES.

Elle eft de couleur... Là, d'une certaine couleur..
Ne fauriez-vous m'aider à dire ?

HARPAGON.

Hé?

M. JACQUES.

N'eft-elle pas rouge?

HARPAGON.

Non, grife.

M. JACQUES.

Hé, oui, gris-rouge; c'eft ce que je voulois dire:
HARPA GON.

Il n'y a point de doute. C'eft elle affurément. Ecri-
vez, Monfieur, écrivez fa dépofition. Ciel ! A qui
déformais fe fier? Il ne faut plus jurer de rien ; & je
crois, après cela, que je fuis homme à me voler moi-

même.

M. JACQUES à Harpagon. Monfieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire au moins , que c'est moi qui vous ai découvert cela.

SCENE III.

HARPAGON, UN COMMISSAIRE;
VALERE, MAISTRE JACQUES.

HARPAGON.

Approche, vien confeffer l'action la plus noire l'attentat le plus horrible qui jamais ait été commis.

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VALER E.

Que voulez-vous, Monfieur?

HARPAGON.

Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime?
VALER E.
De quel crime voulez-vous donc parler?
HARPAGON.

De quel crime je veux parler, infame, comme si tu ne favois pas ce que je veux dire ? C'est en vain que tu prétendrois de le déguifer. L'affaire eft découverte, & l'on vient de m'apprendre tout. Comment? Abufer ainfi de ma bonté, & s'introduire exprès chez moi pour me trahir, pour me jouer un tour de

cette nature?

VALER E.

Monfieur, puifqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours, & vous nier la chofe.

M. JACQUES à part. Oh, oh! Aurois-je deviné fans y penfer?

VALER E.

C'étoit mon deffein de vous en parler, & je voulois attendre, pour cela, des conjonctures favorables; mais puifqu'il eft ainfi, je vous conjure de ne vous point fàcher, & de vouloir entendre mes raifons.

HARPAGON.

Et quelles belles raifons peux-tu me donner, voleur infame?

VALER E.

Ah! Monfieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offenfe envers vous ; mais, après tout, ma faute eft pardonnable.

HARPAGON.

Comment pardonable? Un guet appens

finat de la forte?

VALER E.

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De grace, ne vous mettez point en colére. Quand

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