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CLEANT E.

Qu'est-ce mon pere? Vous étes-vous fait mal?
HARPAGON.

Le traître, affurément, a reçû de l'argent de mes débiteurs, pour me faire rompre le cou.

VALERE à Harpagon.

Cela ne fera rien.

LA MERLUCHE à Harpagon. Monfieur, je vous demande pardon, je croyois bien faire d'accourir vîte.

HARPAGON.

Que viens-tu faire ici, bourreau?

LA MERLUCHE.

Vous dire que vos deux chevaux font déferrés.
HARPAGON.

Qu'on les méne promptement chez le maréchal.
CLEANT E.

En attendant qu'ils foient ferrés, je vais faire pour vous, mon pere, les honneurs de votre logis; & conduire Madame dans le jardin, où je ferai porter la collation.

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HARPAGON, VALERE.

HARPAGON.

Alére, aye un peu l'œil à tout cela ; & prens foin, je te prie, de m'en fauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.

C'eft affez.

VALER E.

HARPAGON feul.

O fils impertinent ! As-tu envie de me ruiner>

Fin du troifiéme ate.

ACTE

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Oui, Madame, mon frere m'a fait confidence de la paffion qu'il a pour vous. Je fais les chagrins & les déplaifirs que font capables de caufer de pareilles traverfes ; & c'eft, je vous affure, avec une tendreffe extrême que je m'intéreffe à votre aventure. MARIAN E.

C'est une douce confolation que de voir dans fes intérêts une perfonne comme vous; & je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreufe amitié, fi capable de m'adoucir les cruautés de la fortune.

FROSINE.

Vous étes, par ma foi, de malheureuses gens l'un & l'autre, de ne m'avoir point, avant tout ceci avertie de votre affaire! Je vous aurois, fans doute, détourné cette inquiétude; & n'aurois point amené les chofes où l'on voit qu'elles font.

CLEANT E.

Que veux-tu ? C'eft ma mauvaife deftinée, qui l'a Tome V.

O

voulu ainfi. Mais, belle Mariane, quelles réfolutions font les vôtres ?

MARIAN E.

Hélas! Suis-je en pouvoir de faire des réfolutions! Et, dans la dépendance où je me vois, puisje-former que des fouhaits?

CLEAN T E.

Point d'autre appui pour moi dans votre cœur que de fimples fouhaits? Point de pitié offcieuse ? Point de secourable bonté ? Point d'affection agis fante ?

MARIA N E.

Que faurois-je vous dire? Mettez-vous en ma place, & voyez ce que je puis faire. Avifez, ordonnez vous-même, je m'en remets à vous; & je vous crois trop raifonnable, pour vouloir exiger de moi que ce qui peut m'être permis par l'honneur & la bienféance.

CLEANTE. Hélas! Où me réduifez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront permettre les fâcheux fentimens d'nn rigoureux honneur, & d'une fcrupuleufe bienféance?

MARIAN E.

Mais, que voulez-vous que je faffe? Quand je pour rois paller fur quantité d'égards où notre fexe eft obligé, j'ai de la confidération pour ma mere. Elle m'a toujours élevée avec une tendreffe extrême, & je ne faurois me réfoudre à lui donner du déplaifir. Faites, agiffez auprès d'elle, Employez tous vos foins à gagner fon efprit ; vous pouvez faire & dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence; &, s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux bien confentir à lui faire un aveu, moi-même, de tout ce que je fens pour vous.

CLEANTE.

Frofine ma pauvre Frofine, voudrois-tu nous fervir?

FROSIN E.

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Par ma foi, faut-il le demander? Je le voudrois de tout mon cœur. Vous favez que, de mon naturel je fuis affez humaine. Le ciel ne m'a point fait l'ame de bronze; & je n'ai que trop de tendreffe à rendre de petits fervices, quand je vois des gens qui s'entre-aiment en tout bien & en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci ?

CLEANTE.

Songe un peu, je te prie.

MARIAN E.

Ouvre-nous des lumiéres.

ELISE.

Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.

FROSINE.

(à Mariane.)

Ceci eft affez difficile. Pour votre mere elle n'eft pas tout-à-fait déraisonnable, & peut-être pourroiton la gagner, & la réfoudre à tranfporter au fils le

don qu'elle veut faire au pere. Mais le mal que j'y
(à Cléante.)
trouve, c'eft que votre pere eft votre pere.
CLEANTE.

Cela s'entend.

montre

FROSINE.

Je veux dire qu'il confervera du dépit, fi l'on qu'on le refufe; & qu'il ne fera point d'humeur, enfuite, à donner fon confentement à votre mariage. Il faudroit, pour bien faire, que le refus vint de lui-même, & tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre perfonne.

Tu as raifon.

CLEANT E.

FROSIN E.

Oui, j'ai raifon, je le fais bien. C'eft là ce qu'il faudroit; mais le diantre eft d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez. Si nous avions quelque fem

me un peu fur l'âge, qui fût de mon talent, & jouât aflez bier pour contrefaire une Dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, & d'un bizarre nom de marquife ou de vicomtesse, que nous fuppoferions de la baffe Bretagne, j'aurois affez d'adreffe pour faire accroire à votre pere que ce feroit une perfonne riche, outre fes maifons, de cent mille écus en argent comptant; qu'elle feroit éperduement amoureufe de lui, & fouhaiteroit de fe voir fa femme, jufqu'à lui donner tout fon bien par contrat de mariage; & je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la propofition; car enfin, il vous aime fort, je le fais, mais il aime un peu plus l'argent; & quand, ébloui de ce leurre, il auroit une fois confenti à ce qui vous touche, il importeroit peu enfuite qu'il fe défabufât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre marquife.

CLEAN T E.

Tout cela eft fort bien penfé.

FROSIN E.

Laiffez-moi faire. Je viens de me reffouvenir d'une de mes amies, qui fera notre fait.

CLEANT E.

Sois affurée, Frofine, de ma reconnoiffance, fi tu viens à bout de la chofe. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre mere; c'eft toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage. Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il vous fera poffible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne, fur elle, cette amitié qu'elle a pour vous. Déployez, fans réferve, les graces éloquentes, les charmes tout puiffans que le ciel a placés dans vos yeux & dans votre bouche; & n'oubliez rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces préres, & de ces careffes touchantes à qui je fuis perfuadé qu'on ne fauroit rien refuser.

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