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SCENE VIII.

MARIANE, FROSINE.

MARIA N E.

&, s'il faut dire ce que je fens, que j'appré hende cette vûe !

FROSIN E.

Mais pourquoi, & quelle est votre inquiétude ? MARIAN E.

Hélas! Me le demandez-vous ? Et ne vous figurezvous point les alarmes d'une perfonne toute prête à voir le fupplice où l'on veut l'attacher?

FROSIN E.

Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'eft pas le fupplice que vous voudriez embraffer; & je connois, à votre mine, que le jeune blondin, dont vous m'avez parlé, vous revient un peu dans l'efprit.

MARIAN E. Oui. C'eft une chofe, Frofine, dont je ne veux pas me défendre; & les vifites refpectueufes qn'il a rendues chez nous, ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans mon ame.

FROSIN E.

Mais avez-vous fù quel il eft?

MARIAN E.

Non. Je ne fais point quel il eft. Mais je fais qu'il eft fait d'un air à fe faire aimer; que, fi l'on pouvoit mettre les chofes à mon choix, je le prendrois plutôt qu'un autre ; & qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut me donner.

FROSIN E.

Mon Dieu ! Tous ces blondins font agréables, & débitent fort bien leur fait ; mais la pluspart sont gueux comme des rats; & il vaut bien mieux, pour vous, de prendre un vieux mari, qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les fens ne trouvent pas fi bien leur compte du côté que je dis, & qu'il y a quelques petits dégoûts à effuyer avec un tel époux; mais cela n'eft pas pour durer, & fa mort, croyezmoi, vous mettra bien-tôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera toutes chofes.

MARIAN E.

Mon Dieu! Frofine, c'eft une étrange affaire, lorf que pour être heureuse, il faut fouhaiter ou atten dre le trépas de quelqu'un; & la mort ne fuit pas tous les projets que nous faifons.

FROSIN E.

Vous moquez-vous? Vous ne l'époufez qu'aux con ditions de vous laiffer veuve bien-tôt ; & ce doit être là un des articles du contrat. Il feroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois. Le voic en propre perfonne.

MARIAN E.

Ah! Frofine, quelle figure!

SCENE I X.

HARPAGON, MARIANE, FROSIN E.

HARPAGON à Mariane.

NE vous ; ma je vienas trapJE vous offenfez pas, ma belle, fi je viens à vous

pent affez les yeux,

font affez vifibles d'eux-mêmes, & qu'il n'eft pas besoin de lunettes pour les

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appercevoir; mais, enfin, c'eft avec des lunettes qu'on obferve les aftres; & je maintiens & garantis que vous étes un aftre mais un aftre, le plus bel aftre qui foit dans le pays des aftres. Frofine, elle ne répond mot, & ne témoigne, ce me femble, aucune joie de me voir.

FROSINE.

C'eft qu'elle eft encore toute surprise ; & puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'ame.

HARPAGON.

(à Frofine.) (à Mariane.)

Tu as raifon. Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous faluer.

SCENE

X.

HARPAGON, ELISE, MARIANE,

J

FROSIN E.

MARIAN E.

E m'acquite bien tard, Madame, d'une telle vi

fite.

ELISE.

Vous avez fait, Madame, ce que je devois faire; & c'étoit à moi de vous prévenir.

HARPAGON.

Vous voyez qu'elle eft grande; mais mauvaise herbe croît toujours.

MARIANE bas à Frofine

O l'homme déplaifant !

HARPAGON à Frofine

Que dit la belle?

FROSIN E,

HARPAGON.

Qu'elle yous trouve admirable.

HARPAGON.

C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable

mginonne.

MARIANE à part.

Quel animal!

HARPAGON.

MARIANE à part.

Je vous fuis trop obligé de ces fentimens.

Je n'y puis plus tenir.

SCENE X I.

HARPAGON, MARIANE, ELISE, CLEANTE, VALERE, FROSINE, BRINDAVOINE.

HARPAGON.

Oici mon fils auffi, qui vous vient faire la ré

V vérence.

MARIAN E bas à Frofine.

Ah! Frofine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai parlé.

FROSIN E à Mariane.

L'aventure eft merveilleufe.

HARPAGON.

Je vois que vous vous étonnez de me voir de fi grands enfans; mais je ferai bien-tôt défait & de l'un & de l'autre.

CLEANTE à Mariane. Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où, fans doute, je ne m'attendois pas ; & mon pere ne m'a pas peu furpris, lorfqu'il m'a dit tantôt le deffein qu'il avoit formé.

MARIANE.

Je puis dire la même chofe. C'eft une rencontre im

Tome V

N

prévûe, qui m'a furprise autant que vous; & je n'é tois point préparée à une pareille aventure. CLEANT E.

Il eft vrai que mon pere, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, & que ce m'eft une fenfible joie que l'honneur de vous voir; mais, avec tout cela, je ne vous affurerai point que je me réjouïs du deffein où vous pourriez être de devenir ma bellemere. Le compliment, je vous l'avoue, eft trop difficile pour moi, & c'eft un titre, s'il vous plaît, que je ne vous fouhaite point. Ce difcours paroîtra brutal aux yeux de quelques-uns; mais je fuis affuré que vous ferez perfonne à le prendre comme il faudra; que c'eft un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance; que vous n'ignorez pas, fachant ce que je fuis, comme il choque mes intérêts; & que vous voulez bien enfin que je vous dife, avec la permiffion de mon pere, fi les chofes dépendoient de moi, cet hymen ne fe feroit point.

que,

HARPAGON.

Voilà un compliment bien impertinent. Quelle belle confeffion à lui faire ?

MARIAN E.

Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les chofes font fort égales ; & que fi vous auriez de la répugnance à me voir votre belle-mere, je n'en aurois pas moins, fans doute, à vous voir mon beaufils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce foit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serois fort fâchée de vous caufer du déplaifir; &, fi je ne m'y vois forcée par une puiffance abfolue, je vous donne ma parole que je ne confentirai point au mariage qui vous chagrine..

HARPAGON. Elle a raison. A fot compliment, il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils ; c'est un jeune fot, qui ne

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