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de montrer dans la longue et pénible guerre d'Afrique, prouvent que toujours et partout ils répondront aux besoins et aux exigences de la patrie.

« Les premiers étaient l'objet de mes soins les plus assidus et de ma sollicitude la plus vive;

<< Les derniers, tant que je vivrai, auront mes plus ardentes sympathies.»

On remarquera qu'il ne fait aucune allusion aux injustices de tout genre dont il était atteint. En effet, après le premier moment passé, il dédaigna toujours les justifications et les apologies « Je ne puis paraître vouloir me justifier, disaitil; je ne veux surtout pas laisser croire que j'en sens le besoin. >>

Le Gouvernement de Juillet ne fut jamais bien pour Marmont; d'anciens camarades maréchaux mirent peu d'empressement et de bonne volonté à le servir. Lui-même, il était incapable de ces ménagements et de ces adresses qu'il aurait fallu avoir pour se faire amnistier. Après le Procès des ministres, et sur l'impression favorable qu'avaient laissée les dépositions des témoins, il aurait, certes, pu rentrer en France: mais il n'était pas homme à y rentrer par la petite porte, et, de la nature qu'il était, il n'y pouvait reparaître que la tête haute. Disons tout le Gouvernement de Juillet n'était pas, à l'égard de l'opinion, en position de combattre le préjugé populaire qui régnait encore sur les événements de 1844, et particulièrement sur ceux de 1830, dont il était issu. Pour avoir mission et vertu de relever dans la juste mesure le nom de Marmont, il faut être un Bonaparte même : c'est à la lance d'Achille à guérir la blessure.

Le maréchal, qui, en vieillissant, avait gardé tout son feu, sa vivacité d'impression et d'intelligence, vécut assez pour apprendre et juger les derniers événements qui ont changé le régime de la France. Il serait prématuré et peu convenable de détacher ici ces jugements, qui seraient nécessairement tronqués, et qui sembleraient intéressés sous notre plume. Vivant ou mort, il ne faut pas que, de la part du maréchal, une approbation, une louange exprimée dans l'intimité semble venir solliciter une faveur et une grâce; ce serait aller contre sa pensée. Comme on préparait, vers le temps de sa mort, une nouvelle édition de ses Voyages, et que l'un de ses amis avait

songé que ce pourrait être une occasion de faire appel à la justice, il écrivait (8 janvier 1852):

« En résumé, mon cher ami, je vous le répète, celte publication me fera plaisir, et j'espère qu'elle me donnera quelque jouissance. Je ne suppose pas qu'elle puisse influer sur ma position d'une manière notable. S'il en était autrement, j'en serais bien aise assurément; mais pour rien au monde, à quelque titre que ce soit et de quelque manière que ce puisse être, je ne voudrais pas que ce fût pour moi, ou de la part de mes amis pour moi, l'occasion d'une provocation. ›

>>

Ces événements du 2 Décembre, qu'il jugeait en homme qui considère avant tout le salut de la société européenne et celui de la patrie, et qui croit « que la civilisation ne marche d'une manière utile et prompte que lorsqu'elle est l'effet de la volonté du pouvoir, » contribuerent pourtant à précipiter sa fin. Par un sentiment précurseur, et comme il arrive à ceux qui, loin du ciel natal, se sentent décliner et approcher du terme, il nourrissait depuis quelque temps un vif et secret désir de revoir la France. Il crut lire, dans l'avènement et l'affermissement du pouvoir nouveau, un ajournement désormais indéfini de ses espérances : le mal du pays le gagna; ce cœur si fort fut brisé. Il expira le 3 mars 1852, à neuf heures et demie du matin, au palais Lorédan, à Venise, entouré de soins pieux par les plus nobles amitiés; il avait soixante-dix-sept ans et sept mois. La maladie dont il mourut, restée assez obscure, paraît avoir tenu aux organes de la circulation et du cœur. Il garda sa présence d'esprit jusqu'aux derniers instants.

Ses restes seuls vont rentrer en France et reposer dans le cimetière paternel de Châtillon, où un tombeau l'attend. Que les haines, s'il en était encore, se taisent; que les préjugés daignent achever de s'éclairer et de se dissiper; que la justice et la générosité descendent, au nom de l'Empereur même, sur cette rentrée funéraire du dernier des grands lieutenants de l'Empire; que les armes de nos soldats l'honorent et la saluent, et il y aura dans le cercueil de Marmont quelque chose qui tressaillera (1).

(1) Le vœu que nous exprimions s'est accompli. Les restes du maréchal Marmont, arrivés à Châtillon-sur-Seine le 3 mai 1852, y ont été reçus avec tous les honneurs militaires dus à son rang, et avec des témoignages unanimes d'affection et de sympathie de la part d'une population qui ne l'avait jamais oublié ni méconnu.

fundi 23 avril 1833.

MADAME SOPHIE GAY.

La mort nous dicte des sujets d'étude dont quelques-uns sont des devoirs. Un critique qui est, comme nous le sommes, à son poste de chaque semaine, ne saurait laisser passer, sans les saluer, les pertes les plus remarquables que font la littérature et la société. Mme Sophie Gay, morte à Paris le 5 mars dernier, a été une personne de trop d'esprit et trop distinguée dans les Lettres pour être ensevelie en silence. Elle a beaucoup écrit, et, en ce moment, je n'ai guère moins d'une quarantaine de volumes d'elle rangés sur ma table, romans, contes, comédies, esquisses de société, souvenirs de salons, et tout cela se fait lire, quelquefois avec un vif intérêt, toujours sans ennui. Mais Mme Gay était bien autre chose encore qu'une personne qui écrivait, c'était une femme qui vivait, qui causait, qui prenait part à toutes les vogues du monde depuis plus de cinquante ans, qui y mettait du sien jusqu'à sa dernière heure. Elle eut, vers le milieu de sa carrière, un bonheur dont toutes les mères qui écrivent ne se seraient pas accommodées : elle eut des filles qui l'égalèrent par l'esprit, et dont l'une la surpassa par le talent. La mère de Mme Émile de Girardin présida longtemps aux succès et à la renommée poétique de sa fille; elle en reçut des reflets qui la réjouirent, qui la rajeunirent, et qui ne l'éclipsèrent pas. Quand on voyait Mme Gay en compagnie de ses filles, de Mme de Girardin et de Mme la comtesse O'Donnell, ce qu'il y avait de plus jeune, de plus moderne de façon, de

plus élégant en celles-ci, ce que leur esprit avait, si je puis dire, de mieux monté dans son brillant et de mieux taillé par toutes les facettes, ne faisait que mieux ressortir ce qu'il y avait de vigoureux et de natif en leur mère. C'est de ce caractère original, de cette vitalité puissante de femme du monde ́ et de femme d'esprit que je voudrais toucher ici quelque chose, en rapportant Me Gay à sa vraie date, et en indiquant aussi, en choisissant quelques-uns des traits fins et des observations délicates qui distinguent ses meilleurs écrits.

Marie-Françoise-Sophie Nichault de Lavalette, née à Paris, le 1er juillet 1776, d'un père homme de finances, attaché à la maison de Monsieur (depuis Louis XVIII), et d'une mère trèsbelle, dont la ressemblance avec Mlle Contat était frappante, reçut une très-bonne éducation, une instruction très-soignée, et se fit remarquer tout enfant par la gaieté piquante et la promptitude de ses reparties. A l'une des cérémonies qui accompagnèrent sa première communion, comme elle était en toilette avec une robe longue et traînante qui l'embarrassait, et qu'elle se retournait souvent pour la rejeter en arrière, une de ses compagnes lui dit : « Cette Sophie est ennuyeuse avec sa tête et sa queue. » - « Toi, ça ne te gênera pas, réponditelle, car tu n'as ni queue ni tête. » Toute la personne même de Mlle de Lavalette était celle d'une jolie brune piquante, avec des regards pleins de feu, plus faits encore pour exprimer l'ardeur ou la malice que la tendresse; d'une charmante taille, qu'elle garda jusqu'à la fin, d'une taille et d'une tournure bien françaises. Mariée à un agent de change, M. Liottier, elle débuta dans le monde sous le Directoire; elle a rendu à ravir l'impression de cette époque première dans plusieurs de ses romans, mais nulle part plus naturellement que dans les Malheurs d'un Amant heureux. Ce fut un moment de grande confusion et de désordre, mais aussi de sociabilité ; la joie d'ètre ensemble, le bonheur de se retrouver et de se prodiguer les uns aux autres, dominait tout. Un dîner chez Mme Tallien, ure soirée chez Mme de Beauharnais, les Concerts-Feydeau, ces réunions d'alors avec leur mouvement et leur tourbillon, avec le masque et la physionomie des principaux personnages, revivaient jusqu'à la fin sous la plume et dans les récits de Me Gay. Bayle, le grand critique, a remarqué que nous avons tous une date favorite où nous revenons volontiers, et autour

de laquelle se groupent de préférence nos fantaisies ou nos souvenirs. Cette date est d'ordinaire celle de notre jeunesse, de notre première ivresse et de nos premiers succès . il se fait là au fond de nous-mêmes un mélange chéri, que rien plus tard n'égalera. La date favorite de Mme Gay, quand elle y songeait le moins et qu'elle laissait faire à son imagination, était celle précisément qui répond à la fin du Directoire et au Consulat; jeune personne sous le Directoire et femme sous l'Empire, voilà son vrai moment, et qui lui imprima son cachet et son caractère, en littérature comme en tout; ne l'oublions pas.

Au milieu des mille choses qu'une jeune femme, lancée dans le monde comme elle l'était, avait droit d'aimer à cette époque et à cet âge, il en était une que Mme Gay mit dès l'abord sans hésiter au premier rang, je veux dire l'esprit, les talents, la louange et le succès qui en découlent. On la voit liée de bonne heure avec tout ce que la littérature et les arts offraient alors de distingué. Excellente musicienne, elle recevait des leçons de Méhul; elle composait des romances, musique et paroles. Le vicomte de Ségur avait pour elle une amitié coquette; le chevalier de Bouflers lui apprenait le goût; mais elle ne s'en tenait pas à des aperçus timides, et, sa nature l'emportant, elle prit bientôt la plume. Le premier usage qu'elle en fit fut d'écrire en faveur de la grande gloire controversée du jour, en faveur de Me de Staël.

Le roman de Delphine venait de paraître, et soulevait bien des questions et des querelles. Mme Gay, sous le masque et par une lettre insérée dans un journal, prit parti, elle brisa une lance. Le premier roman qu'on a d'elle, et qui date de ce temps, porte également témoignage de ses opinions et de ses couleurs. Laure d'Estell, publiée en l'an X (1802) par [me ***, en trois volumes, n'est pas un bon roman, mais il y a déjà des parties assez distinguées. Une jeune femme, orpheline et veuve à vingt ans, se retire dans un château, chez sa bellesœur, pour s'y livrer à son deuil d'Artémise auprès du mausolée de son époux, et s'occuper de l'éducation de sa fille. Elle y trouve, ainsi que dans un château voisin, une société qui lui donne occasion de développer par lettres à une amie ses principes et ses maximes. Mme de Genlis y est fort maltraitée: elle figure dans ce roman sous le nom de Mme de Ger

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