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imprimée fût répandue dans tout Paris au moment même où elle était remise au ministre. Il en résulta tout un éclat qui finit par une disgrâce momentanée et une défense de paraître

à la Cour.

En 1820, comme major-général de la Garde royale, il faisait vigoureusement son devoir en déjouant la conspiration militaire du mois d'août, dont le capitaine Nantil était l'âme. Il se montra en même temps humain et moral, fidèle à ses principes de Lyon, en insistant pour qu'on prévint la conspiration une fois connue, au lieu de la laisser à demi éclater comme quelques ministres l'auraient voulu.

Vers ces années, pour se consoler des injustices de l'opinion publique à son égard, se sentant peu de goût d'ailleurs pour tout ce qui se pratiquait à la Cour, et croyant aussi qu'il était séant à une époque de paix d'inaugurer le rôle d'une espèce de grand seigneur industriel, il conçut l'idée de fonder dans sa terre de Châtillon un vaste établissement où il assemblerait toutes les industries, et moyennant lequel il doterait son pays des innovations utiles en tout genre. Ici il est permis de dire que, malgré les connaissances scientifiques très-étendues du maréchal et ses talents d'exécution, il aurait eu besoin de quelque contre-poids et de quelque contrôle. Son imagination, en ces matières, lui faisait tableau, et il était incapable par lui-même de ces lentes économies de détail qui seules assurent le succès des grandes entreprises particulières. D'autres ont profité pourtant de cette initiative libérale, dont il n'a recueilli que les embarras et les ennuis; et il est arrivé que les débris mèmes de son naufrage ont été pour Châtillon des bienfaits. Son existence toutefois s'en ressentira dans sa liberté d'action et son indépendance.

Envoyé pendant l'été de 1826 à la Cour de Russie pour y assister en qualité d'ambassadeur extraordinaire au couronnement de l'empereur Nicolas, il a laissé dans cette ambassade de quatre mois, tant à Moscou qu'à Pétersbourg, des souvenirs qui n'ont pas seulement ébloui les yeux, mais qui lui ont conquis une estime durable pour ses qualités personnelles.

Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très-aimé de ses amis, absous et plus qu'absous de tous ceux qui l'approchaient, et qui lisaient à nu dans cette

nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d'un bon juge, et je le reproduis); piquant d'ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu'un qui n'est pas toujours froidement raisonnable. Sa physionomie était des plus expressives; des sourcils noirs proéminents ombrageaient un œil bleu qui ne cachait jamais ses pensées.

Vers 1828, il songea à rédiger ses Mémoires. Établi à Grandchamp près de Saint-Germain, il repassait en idée ses souvenirs. Quatorze années de réflexions avaient succédé pour lui à l'époque de l'action et des combats. Il se demandait si c'en était fait pour lui de la grande gloire, si l'avenir lui réservait encore quelque occasion, et, comme il le disait amoureusement, « si la Fortune aurait encore pour lui un dernier sourire. » Un moment il crut avoir trouvé ce dernier retour de faveur qu'elle lui devait bien. On parlait de l'expédition d'Alger; bien des personnes en haut lieu paraissaient la croire impossible. On s'adressa à lui comme militaire éminent, et comme ayant eu affaire en Égypte et en Bosnie à des populations barbares et musulmanes. Il eut ordre de se livrer à un travail spécial pour éclairer la question. Il s'enferma avec l'amiral Mackau, réfuta les objections, indiqua les moyens et prépara tout le plan d'une expédition africaine. Il semblait naturellement être désigné pour la commander, et lui-même il se crut nommé jusqu'au jour où il vit le nom du général Bourmont, qui n'avait rien négligé pour le tromper, inséré, au lieu du sien, dans le Moniteur (1).

Le sort lui réservait une autre tâche. Le lundi 26 juillet 1830, il était le matin à Saint-Cloud, où il avait couché comme majorgénéral de service; il se disposait à venir à Paris pour aller à

(4) Un ancien officier, attaché à l'état-major de M. de Bourmont, M. d'Ault-Dumesnil, a cru devoir réclamer sur ce point par une lettre insérée dans le Constitutionnel du 27 avril 1852. Il allègue que M. de Bourmont, dans la liste de présentation au roi, avait placé le nom du maréchal Marmont en tête. Mais c'est précisément parce que M. de Bourmont faisait montre de cette liste, c'est parce qu'aux questions confidentielles et aux ouvertures du maréchal il répondait : « Je ne

l'Institut (il était membre libre de l'Académie des sciences depuis 1816), lorsqu'un de ses aides-de-camp le prévint qu'on disait que le Moniteur renfermait de graves Ordonnances. Il fit chercher le journal officiel sans pouvoir le trouver à SaintCloud: il n'y avait dans tout le château qu'un exemplaire que le roi avait emporté en partant pour la chasse. Le maréchal arriva à Paris, rue de Suresne où il demeurait, et se procura le Moniteur chez son voisin le général de Fagel, encore aujourd'hui ministre de Hollande en France. Il jugea ces mesures comme tout homme sensé les appréciait alors; il en parla ainsi à toutes les personnes qu'il vit dans la journée, et à l'Institut même : « Jamais insulte plus grande n'avait été faite au bon sens d'une nation. >>

Et j'irai ici au-devant de toute méprise. On est revenu de bien des illusions aujourd'hui, et je continuerai pourtant de parler des Ordonnances de Juillet à peu près comme on en pensait alors. On a vu depuis de grandes mesures de salut, et que les prudents eussent jugées impossibles, réussir et se réaliser. Mais qu'on n'établisse aucun parallèle. En politique, dans ces actes extraordinaires, tout dépend de la manière, du but et du moment. L'habileté, la prévision, le calcul précis, la force et la combinaison des moyens, la vigueur de l'exécution assurent le triomphe: mais il est autre chose encore que le triomphe du jour. Il y a l'effet produit sur le corps social. Dans le traitement des sociétés, il est tout différent d'agir au hasard, sans préparation, sans consulter l'état moral de l'ensemble, ou de tenir compte de ces données générales qu'on dirige et qu'on modifie ensuite, mais qu'on ne supprime pas. Une société qui a épuisé son feu et qui a vu en face les dangers, se présente tout autre qu'une société confiante en la théorie et qui a oublié l'expérience. La société française, en juillet 1830, était dans une situation d'esprit telle que la trai

veux pas être nommé; c'est vous que j'appuie et que je propose; » c'est parce qu'il parlait ainsi, tout en sachant très-bien que le maréchal ne serait pas nommé et qu'il devait l'être lui-même, c'est par toutes ces raisons que j'ai dû m'exprimer sur son compte comme je l'ai fait. Les contemporains les mieux informés, et qui ne se payent pas de réponses officielles, savent très-bien comment l'illusion du maréchal Marmont, que M. de Bourmont favorisait de son mieux, dura jusqu'au dernier instant.

ter comme on l'a fait, avec ce mélange de témérité et de légèreté, avec cette absence de connaissance et de crainte, était de la folie. Ce qui ne veut pas dire qu'elle-même alors fût trèssage. Cela dit, je reviens au maréchal Marmont.

Ses amis pourtant commençaient à s'alarmer du rôle imprévu qui pouvait lui échoir dans ce brusque changement de scène. Pour lui, il espérait que la résistance serait légale, qu'il ne serait plus de service au moment où les élections, avec leurs orages, commenceraient, dans les premiers jours de septembre prochain, et il se promettait alors de partir au plus tôt pour l'Italie. Ce lundi, au sortir de la séance de l'Institut, il dîna à Paris (1) et retourna coucher à Saint-Cloud. Le lendemain, mardi au matin, le roi le fit appeler et lui dit: << Monsieur le maréchal, j'apprends qu'il y a quelques rassemblements à Paris. Vous allez vous y rendre pour y prendre le commandement des troupes; vous ferez dissiper les attroupements, et si, comme je l'espère, tout est tranquille ce soir, vous reviendrez coucher à Saint-Cloud. Dans tous les cas, passez chez le prince de Polignac, qui vous donnera des instructions. >>

Le maréchal, arrivé à Paris, passa chez le prince de Polignac, à l'hôtel des Affaires étrangères, et c'est là seulement qu'il eut connaissance de l'Ordonnance signée depuis le dimanche, qui le nommait au commandement des troupes de la 4re division.

Marmont, depuis 1814, avait été accusé dans l'opinion pour avoir interprété trop librement son devoir militaire. Étrange retour! en 1830, il allait être victime pour ce même devoir strictement suivi. « Le maréchal se perd, » dirent ses amis en apprenant cette nomination. Mais il n'est pas un militaire alors qui ne répondît pour lui : « Peut-il faire autrement? »

Au sortir de chez M. de Polignac, il se rendit à l'état-major de la Garde aux Tuileries, où il était vers une heure. Il n'y trouva que l'officier de service, et c'est en ce moment qu'il dut, en ces circonstances critiques, improviser toute une organisation avec des moyens épars que la plus souveraine im· prévoyance semblait avoir pris d'avance à tâche d'affaiblir.

(1) Avec deux de ses confrères de l'Académie des sciences, MM. Arago et Champollion, je crois.

On a souvent écrit l'histoire des Journées de Juillet au point de vue parisien et populaire; au point de vue militaire, elle est encore à écrire, et j'ai sous les yeux des documents précieux où je ne puis que glaner (1).

Ce serait aujourd'hui la matière d'un chapitre assez piquant par le contraste, et qu'on pourrait intituler: « Comment il faut s'y prendre quand on veut mal faire un coup d'État. »

Non-seulement le prince de Polignac s'était mépris sur le chiffre de l'effectif des troupes qui étaient alors à Paris, prenant ce mot d'effectif au pied de la lettre sans les déductions considérables qu'il y faut faire; mais la plupart des chefs étaient absents. La Garde royale comptait quatre lieutenants généraux, et tous les quatre se trouvaient absents de Paris pour le moment. La plupart des officiers de la Garde étaient allés par congé aux récentes élections et n'en étaient point revenus; il y avait des compagnies où il n'y avait qu'un officier présent sur trois. Tout le reste était sur un pied analogue d'incurie et d'imprévoyance. Le maréchal, en arrivant à l'état-major, trouva les troupes dispersées par la ville, comme il arrive quand elles n'ont pas été consignées le matin; on ne put les prévenir qu'à la rentrée, à la soupe de quatre heures. Ce ne saurait être un récit détaillé que je présente ici, et il n'y a que deux points qu'il importerait de constater:

1° Que, comme militaire, le maréchal usa avec force et habileté de tous les moyens incomplets qu'il put réunir;

2° Que, comme Français et comme homme, il accueillit, il invoqua jusqu'à la dernière heure tous les moyens de conciliation qui étaient en son pouvoir.

Je crois que ces deux points, pour qui désormais examinera en détail et dans un esprit d'entière impartialité, seront résolus en faveur de Marmont.

Le mercredi matin fut l'instant décisif. De très-grand matin, le maréchal, qui ne recevait aucun renseignement de la Préfecture de Police, avait dû envoyer ses officiers d'étatmajor en bourgeois pour reconnaître l'état de la ville. L'insur

(1) Je regrette surtout de ne pouvoir mieux profiter d'un travail qui m'est communiqué par M. le général de La Rue, ancien aide-de-camp du maréchal, et où ce côté de la question est exposé en toute exactitude et précision.

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