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es cœurs au lieu de les laisser en commun, et c'est ce qui a aisément donné sujet de croire qu'elle était bien aise de plaire à tout le monde et d'engager toutes sortes de personnes.

« Pour les traits de son visage, on n'en voit pas de si achevés; elle avait les yeux vifs sans être rudes, la bouche admirable, le nez parfait, chose rare! car la nature, au contraire de l'art, fait bien presque tous les yeux et mal presque tous les nez. Son teint était blanc et uni au delà de toute expression, sa taille médiocre mais fine (1). On eût dit qu'aussi bien que son âme, son esprit animait tout son corps; elle en avait jusqu'aux pieds et dansait mieux que femme du monde.

« Pour ce je ne sais quoi tant rebattu, donné Gi souvent en pur don à tant de personnes indignes, ce je ne sais quoi qui descendait d'abord jusqu'au fond des cœurs, les délicats convenaient que chez les autres il était copie, qu'il n'était original qu'en Madame. Enfin, quiconque l'approchait demeurait d'accord qu'on ne voyait rien de plus parfait qu'elle.

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Je n'ai plus rien à dire de cette princesse, sinon qu'elle aurait élé la gloire et l'honneur de son siècle, et que son siècle l'aurait adorée, s'il avait été digne d'elle.

« Avec cette princesse, je perdis l'envie et l'espérance de mon retour, et, pleinement dégoûté du monde, je tournai toutes mes vues du côté de mon ministère. >>

L'époque de la mort de Madame fut un événement pour plusieurs. Ce jour-là, La Fare raconte qu'il ramena de SaintCloud M. de Tréville, un des amis particuliers de Madame, un de ceux dont elle appréciait le plus l'esprit fin, un peu subtil et extrêmement orné : « Tréville, que je ramenai ce jour-là de Saint-Cloud, et que je retins à coucher avec moi, pour ne le pas laisser en proie à sa douleur, en quitta le monde et prit le parti de la dévotion, qu'il a toujours soutenu depuis. » Mme do La Fayette elle-même, depuis qu'elle eut perdu Madame, se retira de la Cour et vécut avec M. de La Rochefoucauld de cette vie plus particulière qu'elle ne quitta plus.

Morte à vingt-six ans, et ayant été pendant neuf ans le centre de l'agrément et des plaisirs, Madame marque le plus beau ou du moins le plus gracieux moment de la Cour de Louis XIV. Il y eut après elle, dans cette Cour, plus de splendeur et de grandeur imposante peut-être, mais moins de distinction et de finesse. Madame aimait l'esprit, le distinguait en lui-même, l'allait chercher, le réveillait chez les vieux

4) La Fare est moins favorable sur l'article de la taille, et il dit même un mot désagréable, que je ne répéterai pas.

poëtes, comme Corneille, le favorisait et l'enhardissait chez les jeunes, comme Racine; elle avait pleuré à Andromaque, dès la première lecture que le jeune auteur lui en fit : « Pardonnez-moi, Madame, disait Racine en tête de sa tragédie, si j'ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. »> Dans toutes les Cours qui avaient précédé de peu celle de Madame, à Chantilly, à l'hôtel Rambouillet et à l'entour, il y avait un mélange d'un goût déjà ancien, et qui allait devenir suranné avec Madame, commence proprement le goût moderne de Louis XIV; elle contribua à le fixer dans sa pureté. Madame appelle naturellement la comparaison avec cette autre princesse aimable des dernières années de Louis XIV, avec la duchesse de Bourgogne; mais, sans prétendre sacrifier l'une à l'autre, notons seulement quelques différences. La duchesse de Bourgogne, élève chérie de Mme de Maintenon, et qui la désolait quelquefois par ses désobéissances, appartenait déjà à cette génération de jeunes femmes qui aimaient démesurément le plaisir, le jeu, par moments la table; enfin elle était bien faite pour être la mère de Louis XV. Madame, qui, venue au temps de la duchesse de Bourgogne, eût pêutêtre aimé toutes ces autres choses, aimait davantage celles de l'esprit; la solidité et le sens se mêlaient insensiblement à ses grâces; la décence et la politesse ne l'abandonnaient pas. Louis XIV, en se liant avec elle d'une amitié si vraie et qui avait dominé l'amour, semblait avoir voulu s'attacher à régler cet heureux naturel et à lui donner de ses propres qualités: «< il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées. » Dans les quelques jours qu'elle passa à Saint-Cloud, au retour de son voyage d'Angleterre et à la veille de sa mort, La Fare nous la montre jouissant de la beauté de la saison et de la conversation de ses amis, « comme M. de Turenne, M. le duc de La Rochefoucauld, Mme de La Fayette, Tréville et plusieurs autres. » Ce n'est pas là, j'imagine, le cercle que la duchesse de Bourgogne, plus folâtre, aurait choisi et groupé autour d'elle.

Les lettres que Madame a écrites à Cosnac, et qui se publient pour la première fois, sont courtes, amicales, assez bien tournées, mais sans rien de remarquable: évidemment, elle n'avait pas cette imagination qui se répand à distance; ce sont de ces esprits légers et sacrés qu'il faut saisir et adorer à leur

source. La littérature ici n'a autre chose à faire qu'à enregistrer les témoignages des contemporains et, en quelque sorte, à les découper au milieu des pages d'autrefois. C'est ce que j'ai tâché de faire aujourd'hui avec le plus de simplicité et le moins de frais possibie, en demandant grâce à mes lecteurs, car nous autres, serviteurs du public, nous sommes quelquefois fatigués aussi.

Lundi 26 juillet 1852.

PAUL-LOUIS COURIER.

Il y a quelques jours que, causant avec un magistrat homme d'esprit, à qui ses fonctions n'ont point fait oublier les Lettres, après quelques propos sur divers sujets : « Savez-vous que c'est moi, me dit-il, qui, le premier, ai relevé le corps de PaulLouis Courier dans le bois où il fut assassiné? J'étais alors substitut à Tours; on vint me chercher de Véretz au milieu de la nuit ; j'arrivai à l'aube... » Et j'entendis alors un récit vrai, simple, attachant, dramatique, qui me remit en mémoire cette singulière et originale figure, et qui me tente aujourd'hui de la retracer. Moi-mème j'ai vu une seule fois Courier, et c'était environ trois semaines, si je ne me trompe, avant sa mort: il était à Paris, d'où il partait le lendemain; on l'avait invité à une soirée des rédacteurs du Globe; il y vint; on l'entourait, on l'écoutait. Je ne dirai pas que son image s'est gravée en moi, mais il m'est du moins resté de sa personne une idée qui n'est en rien le contraire du vrai, et que le souvenir et la réflexion peuvent achever très-fidèlement.

Courier n'était pas un très-grand caractère, nous le verrons; je dirai même tout d'abord que ce n'était pas un esprit trèsétendu ni très-complet dans ses points de vue. Il voit bien, mais par parties; il a de vives idées, mais elles ne sont ni trèsvariées ni très-abondantes : cela devient très-sensible quand on le lit de suite et dans sa continuité. Ce qu'il est avant tout, en même temps qu'un homme d'humeur, c'est un homme d'art et de goût; c'est un habile et, par endroits, un exquis écrivain : là est sa supériorité et sa gloire. Sa vie se partage très-nette

ment en deux parties, avant 1815 et après. Après 4845, on eut le Paul-Louis Courier soi-disant vigneron, ancien canonnier à cheval, ayant son rôle, sa blouse, son fusil de paysan et, peu s'en faut, de braconnier, tirant au noble et au capucin, guerroyant à tout bout de champ derrière la haie ou le buisson, ami du peuple, et le louant, le flattant fort, se vantant d'en être, enfin le Paul-Louis que vous savez. Avant 1815, on a un autre Courier, qui a devancé l'autre et qui l'explique, mais qui n'a rien encore de l'homme de parti; soldat déjà trop peu discipliné sous la République, devenu incompatible et tout à fait récalcitrant sous l'Empire, mais curieux de l'étude, amateur du beau en tout; un Grec, un Napolitain, un Italien des beaux temps, le moins Gaulois possible; s'abandonnant tant qu'il peut à tous les caprices de sa libre vocation; indépendant avec délices; délicat et quinteux; misanthrope et pourtant heureux; jouissant des beautés de la nature, adorant les anciens, méprisant les hommes, ne croyant surtout pas aux grands hommes, faisant son choix de très-peu d'amis. Tel il était à l'âge de quarante-trois ans, tel au fond il resta jusqu'à la fin; mais les dix années finales (1815-1825) où il devint et où il fit un personnage populaire, méritent d'être comprises à part aujourd'hui je ne m'occuperai que du premier Courier, du Courier avant le rôle et le pamphlet.

On a pour cette étude un secours inestimable, ce sont les lettres de Courier même, cent lettres rangées par lui et préparées pour l'impression, datant de 1804 à 1812, et qui composent ses vrais Mémoires durant ce laps de temps. Courier a fait pour ses lettres ce que Pline le Jeune avait fait pour les siennes, avec cette seule différence qu'il les a disposées par ordre chronologique. Il les aura sans doute retirées des mains de ceux à qui il les avait écrites pour en faire ainsi collection, ou bien il les a refaites et corrigées à loisir, d'après ses propres brouillons conservés. Quoi qu'il en soit du procédé, on a cette suite de lettres, auxquelles il s'en est ajouté depuis beaucoup d'autres, et plus anciennes, et plus récentes; de telle sorte que la vie de Courier se retrouve peinte en entier dans sa correspondance. Des lettres ainsi refaites et retouchées laissent toujours à désirer quelque chose, je le sais bien; elles n'ont pas la même autorité biographique que des lettres toutes naïves, écrites au courant de la plume, oubliées au fond d'un tiroir et

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