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le respect des Lettres et des nobles études, on ne saurait les présenter trop sérieuses, trop essentielles à la nature humaine et à son développement, trop liées avec tout ce qui est utile dans l'histoire, dans la politique, trop conformes à la vraie connaissance morale et à l'expérience. Il faut, en un mot, des vues et un langage que je ne me charge pas de trouver, que quelques-uns sont en voie de découvrir peut-être, mais qui auraient pour effet ce qu'il y a de plus difficile au monde: créer de nouveau un besoin élevé, réveiller un désir! Dans tout ceci, en resongeant au bon Rollin dont le nom revient encore par un reste d'habitude, je crois qu'il est impossible d'en faire autre chose qu'un honorable, un pieux et lointain regret.

Lundi 12 juillet 1852.

MÉMOIRES

DE

DANIEL DE COSNAC,

ARCHEVÊQUE D'AIX.

(2 vol. in-8°. - 1852.)

« Si les Mémoires de ce Cosnac sont imprimés, je vous prie de me les envoyer, » écrivait Voltaire à Thieriot le 21 juillet 1756; et il écrivait encore le 9 août suivant : « C'est grand dommage qu'on n'imprime pas les Mémoires de ce fou d'évêque, Cosnac. >>

Cosnac n'était pas fou; il était fin, sensé, habile, mais gai, brusque, pétulant, et en tout un original. Mme de Sévigné, qui, en revenant de Provence de chez Mme de Grignan, visitait Cosnac dans son évêché de Valence où il était avant de devenir archevêque d'Aix, écrivait à sa fille, le 6 octobre 1673 : « M. de Valence (Cosnac) m'a envoyé son carrosse avec Montreuil et Le Clair, pour me laisser plus de liberté : j'ai été droit chez le prélat; il a bien de l'esprit; nous avons causé une heure; ses malheurs et votre mérite ont fait les deux principaux points de la conversation. » Ses malheurs;· en effet, Cosnac, qui n'avait guère que quarante-trois ans à l'époque où Mine de Sévigné en parlait de la sorte, et qui était évêque depuis l'àge de vingt-quatre ans, avait eu jusque-là une vie très-active,

très-intrigante (comme il le dit lui-même, en ne prenant pas le mot en mauvaise part), et très-bigarrée. Attaché dès sa première jeunesse et sur la fin de la Fronde au prince de Conti, qui se destinait alors à l'Église, il avait été des plus influents dans cette petite Cour, s'était rendu l'un des plus utiles agents de la Paix de Bordeaux, et avait par là mérité la reconnaissance ou du moins l'estime du cardinal Mazarin, laquelle n'avait pas dû diminuer quand il eut procuré le mariage d'une nièce du cardinal avec le prince. Payé à vingt-quatre ans de ce service par un bon évêché, de la familiarité du cardinal et du jeu de la reine, Cosnac, par tempérament, par goût et par esprit d'intrigue (je mets toujours le mot comme lui-même, indifféremment), se mêlait alors de beaucoup de choses, et on l'y jugeait propre. Ayant acheté, sur l'invitation du cardinalministre, la charge de premier aumônier de Monsieur, frère de Louis XIV, il se trouva introduit plus qu'il n'aurait voulu dans une autre petite Cour plus périlleuse encore et plus semée d'écueils que celle du prince de Conti; il s'y conduisit bien et avec honneur; il donna à Monsieur des conseils virils et dignes de sa royale naissance, que ce prince puéril ne suivait que par accès et faiblement. Il se lia avec Madame, cette charmante princesse, dont il apprécia les qualités, et dont il a tracé un vif portrait qu'a cité le président Hénault. Mais en prenant parti pour ce qu'il y avait de noblement et de raisonnablement attrayant dans cette Cour du Palais-Royal, il s'attira l'inimitié de Monsieur et de son favori le chevalier de Lorraine, et il en résulta pour lui une vraie catastrophe et ce que Mme de Sévigné appelle ses malheurs. Cosnac eut ordre du roi de se retirer dans son diocèse, et de ne pas reparaître à la Cour ni à Paris. Il obéit; mais, sur l'invitation de Madame, avec laquelle il entretenait correspondance, et qui lui redemandait des papiers secrets et importants, il se trouva enhardi à faire incognito un voyage au commencement de 1670. C'est durant ce voyage qu'il fut dénoncé, surpris à Paris où il était au lit malade, arrêté comme si on ne savait pas à qui l'on avait affaire et comme s'il était un faux-monnayeur, traité indignement, jeté au For-l'Évêque, et de là exilé en Armagnac à l'Ile-Jourdain où il resta plus de deux ans. On conçoit donc que Mme de Sévigné, le revoyant au sortir de cet exil, s'entretînt avec lui du malheur dont il était plein.

Ce malheur ne devait pas durer. L'évêque de Valence était un homme politique et utile : l'estime de Mazarin l'avait désigné d'avance à celle de Louis XIV, qui n'avait fait que le sacrifier pour un temps à la colère de Monsieur, mais sans y mêler rien de personnel. Quand Louis XIV eut besoin d'évêques capables et à lui dans ses dissentiments avec la Cour de Rome, il songea à l'évêque de Valence, et le trouva tout disposé. Cosnac reparut à la Cour, se distingua par son zèle et son talent à l'Assemblée du clergé de 1682, y fut un des premiers auxiliaires du très-habile et très-politique archevêque de Paris, Harlai de Champvalon, et dès lors Louis XIV compta sur lui en toute rencontre : « Il faut le garder pour un grand poste, » disaitil à M. de Harlai. Ce grand poste fut l'archevêché d'Aix, dont Cosnac n'aurait pas voulu d'abord pour plusieurs raisons, parmi lesquelles il en était de très-positives, telles que le peu de revenus de cet archevêché; mais le roi avait besoin, dans cette province difficile, en face de ces esprits fâcheux et par trop libres des Provençaux, d'un homme ferme et qui ne reculât point devant l'obstacle. A toutes les objections de Cosnac, Louis XIV répondit : « Monsieur, je crois que vous êtes bien homme pour eux (c'est-à-dire l'homme qu'il leur faut), et on ne manquera pas de vous donner de l'appui, en faisant bien, comme je l'espère. » Dans toute cette dernière partie de sa carrière, Cosnac devient donc un personnage considérable, un des instruments actifs et perfectionnés de la politique de Louis XIV dans l'administration ecclésiastique de son royaume. Ses Mémoires fournissent à cet égard des renseignements précieux, et sur les débats des Assemblées générales du clergé dans les questions difficiles, et sur l'état des couvents et des communautés religieuses dans le Midi, et particulièrement aussi sur les dragonnades et les conversions en masse des protestants. Pourtant, tout cela ne répond pas à l'idée première qu'on se faisait de l'amusant, du libre, du badin et hardi Cosnac, de ce fou de Cosnac, comme dit Voltaire qui n'est que l'écho de la tradition. Il nous faut donc revenir à la première partie de sa vie.

Cosnac causait beaucoup et bien, et trop; il racontait son passé avec plaisir, avec délices, avec variantes, et il s'en était formé de son vivant comme une légende que lui-même entretenait. On a un récit de sa première vie tracé par un homme

qui fit auprès de lui plusieurs séjours, et qui ne paraît pas avoir été autre que l'abbé de Choisy. A toutes les raisons qu'on a de croire que ce récit très-amusant et ce portrait du premier Cosnac est de l'abbé de Choisy, j'en ajouterai une qui me paraît décisive, c'est la manière délicate et toute féminine dont il est parlé de cette nature et de ces inclinations toutes féminines aussi de Monsieur, duc d'Orléans. Il n'y avait qu'un abbé de Choisy pour toucher ces choses équivoques avec cette grâce et cette complaisance. Cet agréable épisode des Mémoires de Choisy était connu dès le milieu du xvm° siècle, et je conçois que, sur cet aperçu, on ait eu envie de lire les vrais Mémoires de Cosnac. Pour peu qu'ils ressemblassent à cet échantillon de sa personne, combien ils devaient être divertissants! « C'est un homme, disait en terminant l'abbé de Choisy, d'une vivacité surprenante, d'une éloquence qui ne laisse pas la liberté de douter de ses paroles, bien que, à la quantité qu'il en dit, il ne soit pas possible qu'elles soient toutes vraies. Il est d'une conversation charmante, d'une inquiétude qui fait plaisir à ceux qui ne font que l'observer et qui n'ont point affaire à lui. »

Maintenant, voici les Mémoires mêmes qui sortent de l'oubli où ils étaient tombés. Adressons, avant tout, nos remercìments à la Société de l'Histoire de France, qui, au milieu des circonstances pénibles où les Lettres ont passé depuis 4848, n'a pas désespéré un seul instant de la patrie, je veux dire des études historiques sérieuses, et qui n'a pas fait trève à ses publications. Adressons nos remercîments en second lieu à M. le comte Jules de Cosnac, de l'illustre famille du prélat, et qui, en préparant l'édition du manuscrit qu'il possédait, en y adjoignant dans une Introduction étendue tous les éclaircissements et toutes les notices désirables sur l'auteur, n'a reculé en rien devant certaines parties de ces Mémoires qu'une plume moins vouée à la vérité aurait pu rayer discrètement et vouloir dérober à la connaissance du public. M. le comte Jules de Cosnac a été un éditeur tel qu'il convenait de l'étre à notre date, comptant les intérêts du public lettré avant ceux même qui ne touchaient qu'à la gloire de son ancêtre et à l'amourpropre de sa maison. Il est survenu dans le cours de ce travail, que préparait M. de Cosnac, un incident assez curieux : il a appris qu'il existait un manuscrit de ces Mémoires autre que celui dont il se croyait l'unique possesseur, et d'une rédac

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