publique, dans les doctrines que cette liberté proclame et le zèle qu'elle favorise, un accroissement d'indépendance et d'ascendant moral. La question que Bossuet avait décidée pour Louis XIV s'est posée de nouveau. Mais si Louis XIV disait : « L'État c'est moi;» l'État lui-même aujourd'hui ne dit pas : « Je suis souverain absolu. » Son pouvoir a pour contrepoids ses propres maximes et la liberté de chacun. De là des prétentions renaissantes et excessives auxquelles le défenseur du pouvoir civil oppose les traditions de l'histoire, les souvenirs de la magistrature, le texte des lois, et ce principe du bon sens que le culte de la majorité ne saurait être, dans son action extérieure, plus illimité que ne l'était autrefois un culte unique et exclusif. Concilier le respect de la loi et celui de la conscience, placer la religion dans l'ordre social et non pas au-dessus, tel est le problème actuel; et c'est pour cela que l'ouvrage de M. Filon, simple, méthodique, sans exagération et sans faiblesse, mérite la distinction qu'il obtient. Le mouvement qui porte aujourd'hui les esprits vers les questions religieuses, sous toutes les formes, n'est pas moins attesté par un autre ouvrage admis dans ce concours. En même temps que Bossuet, défendu contre un zèle plus exigeant que le sien, est invoqué à l'appui du pouvoir civil, saint Augustin, le maître chéri de Bossuet, est cité de toutes parts et curieusement étudié. On retrace sa vie, on analyse ses opinions et son génie, non plus pour l'instruction du cénobite ou l'inspiration du poëte, mais pour bien des lecteurs depuis Paris jusqu'à Alger. Le XVIIe siècle avait cherché dans Augustin des autorités conformes à la foi, des arguments de controverse théologique. Le xvir siècle lui aurait demandé, s'il l'avait lu, de vives peintures et de libres confidences. Le nôtre recueillera volontiers dans ses écrits deux grandes choses, la philosophie du christianisme telle que la conçoit un heureux génie longtemps éprouvé par le noviciat de l'erreur et le travail du doute, la civilisation chrétienne telle que les mœurs adoucies du culte nouveau, la science et la charité de ses nombreux évêques, la diffusion de ses écoles, la propageaient dans cette Afrique où la dureté et la licence romaines avaient seules modifié d'abord les rites sanguinaires de Carthage et la barbarie de ses sujets dispersés. Écrire maintenant une vie d'Augustin, après avoir parcouru la province de Bone, vu de près les peuplades indigènes, étudié les inscriptions et les ruines, c'est traiter un sujet devenu national pour nous, c'est travailler sur les antiquités de l'Afrique française, qui ne sera pas moins grande que l'Afrique romaine, et n'aura pas à subir comme elle une invasion des Vandales. Le sujet que s'est proposé M. Poujoulat nous a donc paru favorable, plus rapproché de nous qu'il ne l'était autrefois, et encore nouveau par les détails, mêlant l'histoire générale à la biographie, et l'intêrêt des lettres à toutes deux, offrant la leçon morale d'un grand caractère qui se dévoue et d'une société en décadence qui se relève et s'améliore par les vertus d'un homme. Dans Augustin, c'était l'homme privé surtout qu'on connaissait et qu'on aimait. Ses Confessions étaient en grande partie sa renommée. Eh bien, sa vie publique, sa vie de prêtre, de réformateur de la discipline, de tuteur des faibles, de conseiller des puissants, de pacificateur entre les sectes, de chrétien aimant tous les hommes, et de Romain mourant pour son pays et inspirant jusqu'à sa dernière heure la résistance d'Hippone assiégée, cette vie toute en exemples a bien plus de grandeur que les séductions et les repentirs de sa jeunesse n'ont d'intérêt romanesque et de mélancolie. Même pour le monde profane, le saint surpasse de beaucoup le pécheur c'est que, dans son nouveau caractère, dans son caractère de converti et d'évêque, avec l'ardente activité du prosélytisme devenu sa passion dernière, Augustin a gardé des traces nombreuses de sa première disposition spéculative et tendre. Sa charité est encore de l'amour; sa foi orthodoxe une méditation vaste et libre, quoique soumise. Sa sévérité conserve l'empreinte aimable qui s'attachait à ses erreurs ; et sa vie épiscopale, sa vie de sacrifices et de controverses, d'humble abnégation de soi-même et d'autorité impérieuse au nom du dogme, respire encore un charme d'imagination philosophique et d'indulgence que lui ont laissé ses études et ses souvenirs. C'est ainsi que, rigoureux dans sa doctrine théologique et dans ses prévoyances de la justice divine, il demande ici-bas l'adoucissement des lois humaines et la réforme pénitentiaire du coupable, au lieu d'une punition irréparable. C'est ainsi que, menacé dans sa vie et dans celle de ses prêtres, il n'oppose aux idolâtres furieux, aux dissidents armés, que les conseils de la persuasion et l'amnistie qu'il réclame pour eux. C'est ainsi que, génie brillant, paré de tout le luxe des lettres, il abaisse, il humilie sa parole, pour la faire servir à l'instruction des esprits les plus grossiers, et toucher leur barbarie par sa bonté encore plus que par son éloquence. Les prédications, les traités, les lettres d'un tel homme étaient des actions, et des actions puissantes, au milieu de cette société divisée qui cherchait la vérité, la justice et un peu de bonheur. L'historien devait donc suivre Augustin dans la variété de ses écrits, et souvent le traduire. Ces fragments, qui se succèdent comme autant de discours directs et d'aveux personnels, viennent soutenir et animer le récit. Le grand évêque s'y peint tout entier; et avec soi il fait connaître son temps et son pays. Tantôt, dans un sermon prêché à Carthage, il ajoute à ses confessions l'aveu que lui inspire le lieu témoin de ses faiblesses; tantôt, dans ses discussions contre les Manichéens, il repasse, en le redressant, le long circuit d'erreurs qu'il avait lui-même parcouru; tantôt, dans ses traités de morale et d'éloquence, il peint et les mœurs de l'Église et la puissance de la parole apostolique, et le travail intérieur d'une société qui, après un intervalle de barbarie, sera le commencement du monde moderne. Et ce n'est pas seulement l'Afrique moderne qui revit dans Augustin; ses voyages, ses amitiés, les inquiétudes de sa foi le font communiquer sans cesse avec l'Italie, l'Espagne, la Gaule, la Judée; sa charité s'intéresse à tous les maux; son autorité surveille toutes les erreurs. Il a dans le monde chrétien des correspondants dignes de lui, saint Jérôme à Bethléem, saint Paulin à Nole; il a des disciples partout; il recueille des fugitifs de tous les coins du monde; il préside, il dirige les conciles d'Afrique, et les soumet à celui de Rome même saccagée par Alaric. Il est, par son âme et par son génie, le plus grand lien de l'unité chrétienne au ve siècle, et le promoteur de cette unité dans l'avenir. Né dans un siècle de décadence, et lui-même mélange singulier du rhéteur et de l'apôtre, il aura la gloire d'inspirer les plus grands hommes d'un siècle éclairé, et de contribuer à la philosophie de Descartes, à l'éloquence de Bossuet. Le tableau de cette vie forte et bienfaisante dont les travaux étaient de grandes choses, et les repos même de bonnes œuvres, ne peut lasser un siècle comme le nôtre. L'admiration de l'historien est peut-être, non pas trop vive, mais trop générale et trop arrêtée d'avance. Elle semble un article de foi plutôt qu'une libre conviction de l'étude. Quelques-unes des digressions qui s'y mêlent peuvent être contestées. Enfin, si l'auteur fait connaître heureusement, par de fidèles extraits d'Augustin, la société chrétienne d'alors, il est loin de peindre avec la même exactitude ce qui restait encore de l'ancien monde et de la vie romaine. Mais l'ouvrage entier instruit et attache; on y entend comme l'écho des premiers siècles du christianisme au milieu des bruits de notre temps. En nous faisant assister aux conciles, aux conférences, à la vie théologique de ces anciennes cités, il nous montre ce que le génie moderne, armé de la religion et des arts, pourra faire de ce pays arraché à la barbarie par la guerre. L'Académie décerne aux ouvrages que nous venons de caractériser trop faiblement ses deux premières médailles. D'autres livres offrant soit un mérite général de moralité, soit un objet spécial d'instruction, se sont recommandés à ses suffrages. Un recueil d'observations et de conseils, sous le titre de Morale militaire, a frappé par la fermeté judicieuse du sens et la simplicité du langage. Que le titre paraisse un cadre plus ou moins exact, il n'importe; ce que renferme le livre est utile et vrai. Sous une forme très-différente, dans un style ingénieux et pur, l'auteur de Fables nouvelles, M. la Chambeaudie, a mis en action d'excellentes maximes et retracé quelques piquantes peintures de mœurs. Une médaille de 2,000 fr. est décernée à chacun de ces deux ouvrages. Un travail inspiré par la plus respectable sollicitude, le résultat des recherches de Mme Mallet sur les prisons des femmes, réclamait la plus scrupuleuse attention. L'auteur, uniquement préoccupé de la vérité à dire et du bien à faire, a revu soigneusement son ouvrage, pour |