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état français, et que M. Augustin Thierry complète ainsi ses droits non-seulement à l'estime, mais à la reconnaissance du pays. L'Académie n'a pas pensé non plus que les ingénieuses recherches, les narrations précises et piquantes de M. Bazin sur l'époque de Louis XIII aient mérité de céder la place à des travaux plus récents; et elle maintient cette seconde couronne, comme la première.

Après ces mentions si diverses, et ces prix d'importance inégale, nous arrivons enfin, Messieurs, à l'ancienne institution, au prix originel de l'Académie, à ce prix de poésie, qui, fondé vers 1660, par Pelisson, traversa sans bruit le grand siècle de la poésie française, qui plus tard tenta l'émulation de Voltaire au commencement et à la fin de sa longue vie poétique, et que de nos jours ont disputé parfois avec éclat quelques-uns des juges qui le décernent aujourd'hui.

L'Académie avait proposé pour sujet le monument que la ville de Paris vient d'élever à Molière avec une sage munificence qui fait de cet hommage une œuvre d'utilité publique et populaire. Ce sujet, sous la main du talent, c'était Molière tout entier, dans sa vie et dans son art, le grand poëte, le grand philosophe, je dirai presque le grand honnête homme, puisqu'il s'est représenté lui-même dans le Misanthrope; c'était cet incomparable Molière non moins infaillible dans ses juge'ments que vigoureux dans ses peintures, ne calomniant pas la vertu comme Aristophane, mais sachant, comme Platon et comme Pascal, poursuivre d'une immortelle raillerie les sophistes corrupteurs, et osant donner, au XVIIe siècle, dans une comédie profonde, la suite et comme le cinquième acte du Gorgias ou des Provinciales.

L'admiration d'un tel génie, le contraste de ses souf

frances et de sa gloire, sa lutte avec les vices de son siècle, son intelligence avec Louis XIV, tant de grandeurs et d'idées que ce siècle et ce roi nous rappellent, c'était là de quoi sans doute attirer et inspirer le talent. Aussi ce concours a-t-il offert plusieurs essais remarquables par le tour heureux des vers, la fermeté du goût et du style, les vues ingénieuses, et même l'intérêt animé, le pathétique des sentiments et des images.

A ce dernier titre surtout, l'Académie a jugé digne du prix un poëme qui porte pour épigraphe quelques mots de La Fontaine, et qui, dès l'abord, nous place près du lit de Molière expirant, pour reprendre ensuite à traits rapides son humble naissance, sa jeunesse agitée, les épreuves de son âme et les créations de son génie. L'auteur est madame Louise Colet. Dans cet ouvrage, où la forme des vers change plusieurs fois selon le mouvement du récit, une expression élégante et souvent de nobles pensées rendues avec force ont décidé le suffrage des juges.

Deux autres pièces, par une exception très-rare, ont paru à l'Académie mériter, non pas seulement des mentions, mais des médailles. L'une, de M. Alfred des Essarts, portant la devise poétique d'Horace, Monumentum ære perennius, exprime dans un style nerveux une vive et spirituelle admiration pour Molière, et semble vouloir lui emprunter plus d'un trait de satire, malignement détourné sur notre siècle. C'est aussi, à quelques égards, l'artifice d'une Épitre à Molière, où M. Bignan, couronné tant de fois par l'Académie, résume dans des vers énergiques et purs les titres de gloire du grand poëte comique, et le fait parler lui-même sans trop d'invraisemblance.

Deux pièces encore, les numéros 58 et 41, ont ob

tenu de l'Académie deux mentions publiques, et pourraient offrir à la critique quelques intéressants détails ou d'éloge ou de blame mais il est temps de laisser parler la poésie, et de vous occuper seulement de Molière.

RAPPORT

SUR

LES CONCOURS DE L'ANNÉE 1844.

MESSIEURS,

Malgré l'attente et la curiosité plus que littéraire qui s'attachent à un des sujets de prix annoncés pour cette séance, nous devons vous indiquer d'abord les résultats de nos autres concours annuels. Deux fondations dignes de notre temps, deux encouragements destinés, l'un au talent historique, l'autre à l'enseignement moral, sont confiés à l'Académie : elle en doit compte au public; et, soit qu'elle maintienne une sorte de dotation permanente en faveur du même ouvrage et du même homme, soit qu'elle ait à signaler par ses récompenses quelque production supérieure et récente, il lui est imposé de justifier sa décision devant vous.

Cette fois encore, après un mûr examen, l'Académie renouvelle à M. Thierry, au peintre célèbre de la conquête des Normands, à l'auteur savant et expressif des Considérations et des Récits sur l'histoire de France, la couronne qu'elle lui décernait il y a cinq ans. Sans qu'il soit besoin d'entrer ici dans un detail critique, dans une

analyse comparative, et de nommer des ouvrages pour les déclarer inférieurs à ceux qui sont en possession du prix, on concevra facilement, par la nature même de ce prix, la persistance de nos suffrages. Ce n'est pas, en effet, ainsi l'a recommandé le testateur, un prix des recherches érudites, mais de talent et d'art, une palme pour l'éloquence simple et sévère, telle que la veut l'histoire. Or, dans les temps même les plus cultivés, cette perfection heureuse de l'art se rencontre rarement; et tandis que des travaux d'investigation remarquables par la science et la sagacité se succèdent et souvent se modifient l'un l'autre, l'oeuvre de l'historien éloquent, comme celle du poëte, demeure intacte et longtemps sans rivale.

Que M. Thierry conserve donc la distinction, je voudrais dire nationale, qu'une prévoyance généreuse semble avoir préparée pour lui. Comme ce Romain dont parle Pline, il a payé de la perte de la vue l'honneur insigne acquis par ses efforts 1; et ni cet honneur qui permettait le repos, ni la souffrance qui décourage le talent, n'ont diminué son ardeur pour de nouvelles études qu'il rapporte tout entières à notre pays. Sous sa direction habile, déjà se coordonne le recueil des documents relatifs à l'histoire du tiers état en France, vaste et dernier aspect de nos annales naturellement réservé pour l'époque où le tiers état serait devenu la France. L'Académie a pu lire et juger la première partie du discours élevé, méthodique, plein d'idées générales et cependant précises, qui doit ouvrir ce recueil, en éclairer d'avance toutes les parties, en marquer les détours et le terme. Puisse l'auteur trouver aujourd'hui dans l'unique consolation permise à son isolement, dans les marques

1 Magnum, sed pro oculis datum. Pline, liv. VII.

A

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