Page images
PDF
EPUB

a fait hésiter les juges, est évidemment l'ouvrage d'un homme de talent, que des études sévères ont conduit ou ramené à la pureté classique, sans que son imagination en ait moins d'éclat et de liberté. La fiction de ses vers, qui me rend peut-être partial pour lui, n'est autre que le récit supposé d'un des élèves de nos colléges accueillis et conduits dans les galeries de Versailles par le roi, qui leur donné ses fils pour camarades et pour rivaux d'études. Le poëte, un peu trop habile pour un écolier, décrit avec talent et les siècles qui ne sont plus, et le siècle qui commence; et il ne manque ni de grâce ni de force, soit qu'il rêve les fêtes enchantées et la cour pompeuse de l'antique Versailles, soit qu'il montre les héros parvenus dans nos guerres de la révolution :

Ces soldats inspirés dont la race est en France.

L'Académie, en appréciant cet ouvrage qui honore le talent de M. Ernest Fouinet, a réservé le prix pour une composition lyrique, dont le mouvement heureux et le tour poétique ont entraîné ses suffrages. L'auteur, madame Louise Colet-Revoil, a pris pour devise un des vers de son poëme :

<< Versailles, c'est le Panthéon. >>

Et elle n'est pas restée trop au-dessous de l'enthousiasme qui lui fait jeter ce cri d'apothéose.

Je n'ai pas à louer ce que le public va juger. L'auteur ne lira pas elle-même son ouvrage, comme le fit avec tant de succès, il y a deux ans, le lauréat de l'Arc de Triomphe. La règle de l'Académie est inflexible: et elle ne permet, dans cette enceinte, que la séduction du talent et l'ascendant gracieux des beaux vers.

RAPPORT

SUR

LES CONCOURS DE L'ANNÉE 1843.

MESSIEURS,

Les prix fondés par un philosophe bienfaisant du dernier siècle pour l'encouragement des bons livres, des livres utiles au progrès moral, devaient recevoir de nos jours une application de plus en plus immédiate, et se lier à tous les efforts que fait maintenant l'État pour l'instruction et le bien-être du grand nombre. De même que cette Académie, uniquement destinée dans l'origine à rehausser l'éclat des arts de l'esprit, se plaît aussi à la mission nouvelle de rechercher et d'honorer publiquement les plus humbles vertus; ainsi, et dans la même vue, elle décerne volontiers les récompenses du talent aux ouvrages solides et purs qui peuvent le mieux préparer de zélés instituteurs et de salutaires leçons pour les écoles du peuple. Et en cela, sans doute, elle ne croit pas déroger. Il lui semble, au contraire, qu'elle embrasse un des soins les plus graves de l'avenir, et qu'elle contribue pour sa part à un des plus nobles résultats du règne et du temps actuels.

En effet, lorsque, dans cette France où les premiers

rangs de la société polie avaient longtemps jeté tant d'éclat, et où le génie des lettres brillait sans cesse à l'horizon, deux hommes d'une infatigable et modeste vertu, l'abbé de La Salle et le chevalier Paulet, furent touchés profondément de l'ignorance misérable des enfants du peuple, et qu'alors l'un d'eux fonda les écoles des frères, et que l'autre après lui multiplia par l'enseignement mutuel le bienfait des écoles laïques, ils étaient loin d'espérer que cette œuvre tardive s'accroìtrait si rapidement, et que, dans le siècle suivant, chaque commune de France aurait son école à côté de son église. L'opinion même du monde savant était partagée sur cette question. Le paradoxe anti-social vantait la rude ignorance des classes les plus pauvres; le préjugé politique croyait cette ignorance nécessaire, et ne concevait pas qu'elle fût jamais remplacée par une instruction élémentaire universellement répandue.

Cette transformation, jugée suspecte, inutile, impossible, s'est réalisée cependant, et, ce qui doit augmenter l'étonnement et l'espérance, elle a cheminé assez vite, quoique souvent interrompue, traversée, ralentic par les événements et les passions. L'homme vénérable, assis aujourd'hui parmi nous, qui a tant honoré la tribune nationale et l'enseignement public, disait, il y a plus de vingt ans, dans cette même enceinte, que « la << raison étendant incessamment son empire, avait enfin « relevé l'instruction primaire de l'abaissement où elle <«< languissait oubliée.... et qu'un jour, en France, il se« rait donné à tous de lire la parole de Dieu et la loi du pays. >> Bien des obstacles alors rendaient douteuse et lointaine l'exécution d'un tel vou. Celui qui le formait cependant, et qui avait à le protéger de son intègre et puissante éloquence, le voit maintenant presque accompli. Dix années seulement, les dix dernières où

་་

"

cette grande œuvre a été suivie sans entrave et sans relâche, ont suffi pour la mener si loin, et pour créer ou vivifier tant d'asiles de l'enfance, tant d'écoles diversement élémentaires, ouvertes au premier âge, à l'adolescence des jeunes apprentis et même au zèle laborieux des adultes. Mais le moment où cette tâche paraît si avancée est celui-là même où il faut redoubler d'attention et d'effort, non pas seulement pour hâter le terme de l'entreprise entière, mais pour en affermir, pour en épurer tous les effets, et justifier pleinement la belle prophétie que vous avez applaudie tout à l'heure.

ce

Telle est la pensée qui a dicté l'ouvrage que l'Académie place le premier dans le concours actuel : l'Essai de M. Wilm sur l'éducation du peuple. Le titre indique l'intention du livre. Ce qui préoccupe M. Wilm, n'est pas l'instruction matérielle, technique, qui n'est qu'un instrument, c'est l'éducation morale, telle que toute créature humaine la mérite et peut la recevoir dans toute condition. L'école n'est pas un atelier de lecture et d'écriture; c'est le lieu où ces premiers procédés du savoir doivent servir à fixer l'intelligence, à la rendre attentive, docile, pour qu'elle soit plus facilement religieuse et morale, et par là capable de tout bien. A ce point de vue, sans négliger aucun détail pratique, et sans sortir du sujet qu'il agrandit, l'auteur a dû naturellement élever son langage. Pour lui, l'école primaire contient plusieurs degrés d'éducation également essentiels, depuis les exercices qui fortifient et domptent le corps, jusqu'à cette culture délicate qui développe dans l'âme le sentiment du beau. Peut-être ses distinctions à cet égard ne sont-elles pas assez simples, ni ses expressions assez familières; mais qu'importe, si sa théorie en elle-même n'est pas moins applicable que généreuse? Dans cette éducation tour à

tour logique, religieuse, intellectuelle, sociale et même esthétique, comme la nomme l'auteur, ce que verront les appréciateurs équitables, c'est la grande part faite aux devoirs moraux, c'est la scrupuleuse attention à n'instruire que pour rendre meilleur, c'est la gravité passionnée de l'homme de bien, qui craindrait de rabaisser par l'humilité des paroles ce qui lui paraît grand, même dans une école de village, et ce qu'il perfectionne, avec une sagacité pleine d'ardeur, précisément parce qu'il le croit grand.

Aussi, chaque point du cadre que l'auteur parcourt, il le remplit de notions précises, d'idées utiles, de purs et religieux conseils. Sous des termes nouveaux, et avec une inévitable infériorité, c'est au fond la méthode de saint Augustin, de Gerson et de Fénelon, celle qu'ils proposaient d'employer avec les esprits les plus simples pour les conduire à Dieu par la contemplation de la nature, et à la vertu par la pensée de Dieu. Ce que leur génie faisait avec tant de grâce, l'auteur le prescrit judicieusement pour les écoles populaires; non qu'il veuille porter trop haut l'enseignement de ces écoles, et nourrir la vanité des élèves par un savoir superficiel : « Cela est « loin de notre pensée, dit-il; nous voulons que l'on « cultive leur raison dans l'intérêt mème de leur foi et << de leur bonheur. » C'est vers ce but qu'il tend et qu'il dirige les autres. A ses yeux, les notions que l'enseignement élémentaire peut emprunter aux progrès continus des sciences naturelles doivent surtout servir à la démonstration de la divine Providence, en même temps qu'elles préparent pour les enfants du peuple de nouveaux moyens de travail et d'industrie. Dans cette pensée, l'auteur indique et appelle de ses vœux la composition bien désirable en effet d'un livre de lecture consacré à cette philosophie sensible et populaire dont parlait

« PreviousContinue »